AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, et de Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- P. Michel, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 8ème chambre, en date du 18 février 1994, qui, dans la procédure suivie contre Jean L. du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a relaxé le prévenu et débouté la partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite du chef de diffamation publique d'un citoyen chargé d'un mandat public ;
"aux motifs que l'article "Echos de campagne" du journal de Saint-Germain du 23 mars 1993, fait sur lequel portaient les imputations diffamatoires, étaient en rapport avec la campagne électorale des élections législatives, auxquelles Michel P. et Jean L. avaient tous deux participé ;
que la parution de ce texte dans le journal municipal était sans lien avec la fonction de maire de Saint-Germain exercée par Michel P. ;
"alors, d'une part, que constitue une diffamation publique d'un citoyen chargé d'un mandat public le fait d'imputer à un tel citoyen, en l'espèce un maire, au cours d'une réunion du conseil municipal, d'avoir commis un faux, lorsque le public devant lequel cette accusation est proférée n'est pas en mesure de déterminer immédiatement si ce faux a été ou non commis par le maire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ;
qu'en effet, une telle accusation, dans la mesure où elle est proférée au moment même où le maire est dans l'exercice de ses fonctions et devant ses électeurs, vise à porter atteinte à l'honneur et à la considération de ce dernier, non pas en tant que personne privée, mais en sa qualité de citoyen chargé d'un mandat public, en le présentant comme étant coupable de recourir à tout moment, y compris dans l'exercice de ses fonctions, à tous les moyens, y compris ceux pénalement punissables, pour parvenir à ses fins ; qu'ainsi, c'est à tort que les juges d'appel ont déclaré que la diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public n'était pas constituée pour faire bénéficier le prévenu d'une décision de relaxe ;
"alors, d'autre part, que, lorsqu'un maire, désigné par le conseil municipal en qualité de directeur de la publication du journal municipal, organe de la mairie, est l'objet d'attaques diffamatoires à raison d'un article qu'il a lui-même publié dans ledit journal et qui mettait en cause un conseiller municipal à raison de son comportement au cours d'une campagne électorale relative aux élections législatives, lesdites attaques visent nécessairement le citoyen chargé d'un mandat public auquel ses fonctions de maire ont permis d'utiliser le journal municipal pour effectuer la publication litigieuse ;
qu'en énonçant de façon générale, pour écarter le délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, que le journal municipal n'était pas obligatoirement l'oeuvre du maire et de ses collaborateurs, et que la responsabilité de directeur de la publication d'un tel journal n'était pas nécessairement confiée au maire de la commune et ne relevait pas de son mandat public, cependant qu'en l'espèce, il était établi que, traditionnellement, le maire de la commune était le directeur de la publication du journal municipal, organe de la mairie, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881" ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Michel P., député-maire de Saint-Germain-en-Laye, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, Jean L., conseiller municipal, en raison des propos suivants tenus par celui-ci en séance publique du conseil municipal :
"Ce que vous avez écrit est un faux, Monsieur.
"Je n'ai jamais écrit ce que vous m'attribuez...
"Je suis indigné par la lâcheté de vos propos...
"Le devoir d'un journaliste digne de ce beau métier est de vérifier la véracité des informations. C'est cela la déontologie. Inventer les faits est une calomnie." ;
Attendu que, pour relaxer le prévenu, sur son appel et celui du ministère public, et débouter la partie civile, la cour d'appel relève que les propos incriminés font suite à un article publié dans "le Journal de Saint-Germain", dont Michel P. était le directeur de la publication ;
que sous le titre "Echos de campagne", ledit article imputait à Jean L. d'avoir adressé à un autre conseiller municipal, à l'occasion de l'élection législative remportée par Michel P., un document de propagande électorale avec la dédicace "Jésus est plus près du parti socialiste que du RPR" ; que l'article ajoutait : "Il reste que cette "récupération" qui rappelle fâcheusement le "Gott mit uns" (Dieu est avec nous) des Allemands durant la guerre, est particulièrement mal venue" ;
que les juges ont considéré que cet article ne constituait ni un acte d'administration du maire, ni un abus de ses fonctions de dirigeant de la commune, la parution de l'article dans le journal municipal étant sans lien avec la fonction de maire de Saint-Germain-en-Laye ;
qu'ils en ont déduit que Michel P. avait été visé en sa seule qualité de directeur de la publication, responsable des écrits insérés dans le journal, et que, dès lors, l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 n'était pas applicable ;
Attendu que, par ces constatations et énonciations, pour partie déduites d'une appréciation souveraine d'éléments de preuve extrinsèques aux propos incriminés, et desquelles il résulte que la direction de la publication était distincte et dissociable des fonctions municipales du plaignant, la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Guerder conseiller rapporteur, MM. Fabre, Joly, Pibouleau conseillers de la chambre, M. Nivôse, Mmes Fossaert-Sabatier, Fayet conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;