AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle Jean-Jacques GATINEAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- A... Robert, - VERVEL X..., contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 14 juin 1994, qui, pour faux et usage de faux en écriture privée, les a condamnés, chacun, à 6 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Robert A... et pris de la violation des articles 485, 510, 592 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Amiens était composée, à l'audience du 19 mai 1994, lors de laquelle la cause a été débattue, de M. Bricout, président et de MM. Lemoine et Delculry, conseillers et à l'audience du 14 juin 1994, lors de laquelle est intervenue la décision sur le fond, de M. Bricout, président, et de MM. Gillet et Delculry, conseillers ;
"alors qu'aux termes de l'article 592 du Code de procédure pénale, sont déclarées nulles les décisions rendues par les juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences sur le fond au cours desquelles la cause a été instruite, plaidée ou jugée et qu'aux termes de l'article 485 du même Code, seul un des magistrats du siège ayant participé aux débats et au délibéré peut donner lecture de la décision ;
que les mentions de l'arrêt qui font état d'un changement de composition de la juridiction non accompagné d'une reprise des débats contradictoires en présence de M. Gillet, et qui n'indiquent ni qui a délibéré sur l'affaire ni que M. Bricout ou Y... aient donné lecture de la décision, ainsi que le permettent les dispositions de l'article 485 dernier alinéa du Code de procédure pénale, ne font pas la preuve de la régularité de la composition de la cour d'appel, cette régularité ne pouvant être présumée" ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Christian E... pris de la violation des articles 486, 510, 512, 592 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt que la composition de la cour d'appel a été modifiée entre la date des débats et celle de la lecture de l'arrêt, qui constate expressément avoir été "rendu" par la Cour, en l'absence de M. Lemoine, conseiller présent lors des débats, et en présence de M. Gillet, conseiller qui n'avait pas participé aux débats ;
"alors qu'en ne mettant pas la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la composition de la juridiction ayant statué, l'arrêt, qui n'indique pas qu'il ait été fait application, pour la lecture de la décision, des dispositions de l'article 485 dernier alinéa du Code de procédure pénale et qui fait état, pour l'audience des débats et celle du prononcé de la décision, de deux compositions différentes, sans mentionner une reprise des débats, se trouve entaché de nullité" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était composée, lors des débats et du délibéré, de M. Bricout, président, et de MM. Lemoine et Delcurry, conseillers, et lors du prononcé de la décision, de M. Bricout, président, et de MM.
B... et Z..., conseillers ;
Qu'il se déduit de ces mentions que le président a donné lecture de l'arrêt, conformément aux prescriptions de l'article 485 du Code de procédure pénale ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Robert A... et pris de la violation des articles 147, 150 et 151 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré A... "coupable de faux et d'usage de faux relatif à l'extrait du procès-verbal de la séance du conseil d'administration du 10 mai 1988" ;
"au motif, d'une part, que s'il n'est pas établi que "A... ait matériellement et personnellement fabriqué le procès-verbal dont il s'agit, l'information a permis d'établir qu'il a coopéré activement à l'élaboration de l'extrait du procès-verbal incriminé et que le document a été signé par M. F... ;
"au motif, d'autre part, que l'altération de la vérité est constituée, que l'extrait du procès-verbal comporte des énonciations fausses quant au contenu de la décision réellement prise par le conseil d'administration le 10 mai 1988 ;
que la presque totalité des administrateurs présents lors de cette réunion ayant affirmé que seul l'accord sur le principe de la vente avait été décidé, le prix et les modalités du paiement devant être étudiés ;
"alors, d'une part, qu'en se référant, après avoir retenu que A... n'avait pas fabriqué personnellement et matériellement le procès-verbal incriminé, d'une manière globale à l'information pour déclarer établie la coopération active de A... à l'élaboration du prétendu faux, sans procéder elle-même aux constatations des éléments de fait de nature à déterminer parmi les modes de commission prévus par l'article 147 du Code pénal pour caractériser le délit poursuivi celui qu'il aurait effectivement utilisé, la cour dappel a entaché sa décision d'un défaut de motivation qui la voue à une nullité certaine ;
"alors, d'autre part, que le faux pour être punissable doit porter sur un écrit ayant force probatoire et de nature à porter préjudice à autrui ;
que le simple procès-verbal de délibération d'un conseil d'administration dont l'arrêt constate "qu'il devait être approuvé par le conseil d'administration à suivre" et qu'à cette réunion "il était décidé d'apporter une correction au texte présenté", ne détient en lui-même aucune valeur probante et n'ouvrant l'ouverture à aucun droit n'est pas susceptible d'entraîner un préjudice ; qu'en retenant cependant un tel écrit pour caractériser les délits de faux et usage de faux, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Christian E... et pris de la violation des articles 441-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de faux et usage et l'a condamné pénalement et civilement ;
"aux motifs que "E... ne peut invoquer sa bonne foi ;
que, par sa fonction, il a assisté à toutes les séances soit du bureau, soit du conseil d'administration ;
qu'il est manifeste qu'il a signé un procès-verbal alors qu'il le savait contraire à la réalité des délibérations ;
... que seul est à prendre en considération le préjudice qu'il peut occasionner à autrui, comme cela est le cas en l'espèce" ;
"alors, qu'en statuant par ces motifs d'ordre général sans caractériser le préjudice ni rechercher si, comme le faisait valoir E..., il n'avait pas pu se rendre compte des inexactitudes du document qu'il s'était borné à signer sans le lire, en raison de la confiance qu'il faisait à A..., directeur de longue date de la coopérative, la cour d'appel a privé sa décision des motifs propres à la justifier" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnels, les délits de faux et usage de faux dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Gondre conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. D..., Roman, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mmes C..., Verdun conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;