AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- D... Alain, - Y... Noëlle, épouse SAUVAGE, - F... Michel, - Z... Ridha, parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9ème chambre, en date du 29 juin 1994, qui, après relaxe de Patricia B..., épouse A... du chef de dénonciation calomnieuse, les a déboutés de leur demande ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation et pris de la violation des articles 373 du Code pénal, 226-10 du nouveau Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Mme A... du chef de dénonciation calomnieuse ;
"aux motifs qu'après le licenciement de Mme A..., son employeur, M. D... a découvert des anomalies sur les registres comptables et notamment sur les encaissements d'espèces dont la salariée avait la charge ;
qu'elle a été conviée à s'expliquer dans un bureau de l'entreprise en présence de l'expert comptable, F..., de deux salariés, Mme X... et M. Z... et de Mme D... ;
que l'intérieur du bureau pourvu de vitrages multiples est visible des lieux environnants ; qu'au cours de l'entrevue, Mme A... était accusée d'avoir détourné des fonds au préjudice de son employeur ;
que les témoignages établissent que l'ambiance était très tendue ;
que Mme A... était autorisée à joindre son mari par téléphone et qu'elle a joint son père avec lequel elle a pu s'entretenir ;
que l'ensemble des parties civiles conteste l'allégation de Mme A... selon laquelle M. D... voulait lui faire signer une reconnaissance de dettes ;
que Mme A... prétend avoir été séquestrée mais elle reconnaît pourtant n'avoir pas essayé de sortir du bureau et avoir pu téléphoner ;
qu'elle ne conteste pas non plus avoir pu sortir librement du bureau ;
que l'impression de Mme A... de cette entrevue au moment où elle se déroulait importe peu ;
qu'il convient de se reporter à l'existence de faits matérialisant une séquestration au temps du dépôt de la plainte ;
qu'en l'espèce, la position du bureau dont l'intérieur était visible, la possibilité d'avoir des contacts avec l'extérieur excluent qu'il y ait pu y avoir séquestration ainsi conçue par Mme A... lors de l'entretien ;
que Mme A..., salariée protégée à l'égard de laquelle la procédure régulière de licenciement n'avait pas été suivie, à l'encontre de laquelle aucune action n'était intentée ne cherchait pas à résister ou à défendre à une quelconque action et pouvait à cette date porter sa liberté d'aller et venir au crédit de l'intervention paternelle (arrêt attaqué p. 5 et 6) ;
"1 ) alors que l'arrêt attaqué a relevé que la disposition des lieux et le fait que Mme A... ait pu avoir des contacts téléphoniques avec des membres de sa famille "excluent qu'il y ait pu y avoir séquestration ainsi conçue par Mme A... lors de l'entretien" ;
que l'arrêt attaqué relève aussi que Mme A... a reconnu ne pas avoir essayé de sortir pendant la durée de l'entretien ;
que ces constatations démontrent qu'au moment de cet entretien dans le bureau de M. D..., elle ne pouvait pas avoir le sentiment d'avoir été séquestrée ;
qu'en énonçant néanmoins qu'au moment du dépôt de la plainte, Mme A... "pouvait porter sa liberté d'aller et venir au crédit de l'intervention paternelle" et que sa mauvaise foi n'était donc pas établie sans relever aucun élément postérieur à l'entretien susceptible de modifier l'impression qu'elle avait pu avoir à ce moment, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision en violation des textes susvisés ;
"2 ) alors que les parties civiles avaient soutenu dans leurs conclusions d'appel que la plainte de Mme A... constituait une mesure de rétorsion contre son employeur qui lui avait annoncé, lors de l'entretien litigieux, son intention de déposer une plainte contre elle pour faux et abus de confiance ;
qu'en se bornant à énoncer que la prévenue ne cherchait pas en déposant une plainte à se défendre d'une action engagée contre elle sans répondre à ce moyen démontrant le mobile déterminant de la dénonciation calomnieuse, la cour d'appel a de ce chef encore violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Patricia B..., épouse A..., a déposé plainte auprès du procureur de la République pour séquestration arbitraire contre son ancien employeur, Alain D..., et des proches de ce dernier, Noelle Y..., Michel F... et Ridha Z..., qui auraient tenté de lui faire souscrire une reconnaissance de dette portant sur des sommes qu'elle aurait détournées ;
Que cette plainte ayant été classée sans suite, Alain D..., Noëlle Y..., Michel F... et Ridha Z... ont porté plainte en se constituant partie civile contre Patricia B... pour dénonciation calomnieuse ;
Attendu que, pour renvoyer la prévenue des fins de la poursuite et débouter les parties civiles de leur action, la cour d'appel énonce que, si la prévenue a quitté librement le bureau dans lequel elle prétendait avoir été retenue, elle a pu attribuer sa liberté d'aller et venir à l'intervention téléphonique de son père ; qu'elle relève qu'au moment de son dépôt de plainte, Patricia B..., salariée protégée, ne faisait l'objet d'aucune procédure, qu'elle n'a pas cherché, par une plainte abusive ou dilatoire, à résister ou à défendre à une quelconque action et en déduit qu'elle n'a pas agi de mauvaise foi ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs procédant de leur appréciation souveraine des faits de la cause, soumis aux débats contradictoires, les juges, qui ont répondu aux conclusions dont ils étaient saisis, ont justifié leur décision sans encourir les griefs du moyen, lequel ne saurait être accueilli dans aucune de ses deux branches ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Gondre conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. E..., Roman, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mmes C..., Verdun conseillers référendaires, M. le Foyer de Costil avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;