AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Paul Y..., demeurant route d'Adoncourt à Dommartin-aux-Bois (Vosges), en cassation d'un arrêt rendu le 2 mars 1993 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), au profit :
1 / de la compagnie d'assurances Allianz, dont le siège est ... Armée à Paris (17e),
2 / de M. Daniel Z..., demeurant route du Paradis, bâtiment 2 à Saint Dié (Vosges),
3 / de M. X..., demeurant ..., pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de la société As de coeur, défendeurs à la cassation ;
La compagnie d'assurances Allianz a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident, invoque à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 16 mai 1995, où étaient présents : M. de Bouillane de Lacoste, président, M. Aubert, conseiller rapporteur, M. Fouret, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mme Lefort, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Aubert, les observations de la SCP Tiffreau et Thouin-Palat, avocat de M. Y..., de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la compagnie d'assurances Allianz, de Me Brouchot, avocat de M. X..., ès qualités, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Nancy, 2 mars 1993), M. Z..., qui exploitait en location un restaurant discothèque appartenant à la société l'As de coeur, est entré en relations avec M. Y..., agent général d'assurances, en vue de souscrire un contrat garantissant cet établissement ;
qu'à cet effet il a, le 19 juin 1984 signé une proposition d'assurance et remis à M. Y... un chèque de 1 000 francs en acompte ;
que, le 25 juin 1984, les locaux concernés ont été la proie d'un incendie ;
que la compagnie Allianz ayant refusé la proposition de contrat, M. Z..., condamné à réparer le préjudice causé à la société anonyme l'As de coeur, a assigné la compagnie Allianz, M. Y... et M. X..., en qualité de liquidateur de la société l'As de coeur, aux fins de faire déclarer la compagnie Allianz, et subsidiairement M. Y..., tenus de garantir le sinistre et de réparer les dommages subis tant par la société As de coeur que par lui-même ;
que l'arrêt attaqué, accueillant ces demandes, a condamné la compagnie Allianz à payer une somme de 908 555, 54 francs, comme mandant responsable du dommage causé par la faute de son agent général, sauf son recours en garantie contre lui et son assureur ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de M. Y... et le deuxième moyen du pourvoi incident de la compagnie Allianz, qui sont identiques :
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir dit que M. Y... avait commis une faute ayant entraîné le préjudice subi par M. Z..., alors qu'en se fondant pour cela sur des attestations émanant des parents de M. Z..., de l'un de ses salariés et d'un futur associé, la cour d'appel aurait violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant énoncé que la suspicion que les défendeurs tentaient de faire peser sur les témoignages recueillis n'était étayée par aucune preuve "ni même par aucun indice", la cour d'appel a pu en déduire que M. Y... avait fautivement persuadé M. Z... qu'il était assuré dès le moment de la signature de la proposition et de la remise du chèque de 1 000 francs ;
qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de M. Y..., pris en ses quatre branches et sur le troisième moyen du pourvoi incident de la compagnie Allianz, pris en ses trois branches :
Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir ainsi statué alors, d'une part, qu'en décidant que le préjudice de M. Z... aurait consisté dans le fait de ne pas avoir été assuré et non pas seulement dans la perte d'une chance d'être assuré, la cour d'appel aurait violé les articles 1382 et 1383 du Code civil et L. 511-1 du Code des assurances ;
qu'elle aurait de surcroît privé sa décision de base légale au regard de ces mêmes textes et de l'article 1315 du Code civil en ne recherchant pas si M. Z... avait établi, comme il en était tenu, le lien de causalité existant entre ce dommage et la faute imputée à M. Y... ;
alors que, d'autre part, en déclarant que M. Z... n'aurait eu à rapporter que la preuve du fait qu'il n'était pas assuré et qu'il incombait à l'agent général de prouver qu'il n'aurait pas pu, en toute hypothèse, être assuré, la cour d'appel aurait renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;
alors que, enfin, en ne s'expliquant pas sur le délai nécessaire à la prise de décision de l'assureur en raison de la nature du risque dont la garantie était recherchée, et dont M. Y... soutenait qu'il rendait impossible la conclusion d'un contrat d'assurance en temps utile, la cour d'appel aurait privé son arrêt de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, qu'ayant souverainement apprécié que la faute commise par l'agent général avait eu pour conséquence immédiate que M. Z... n'avait pris attache avec aucune autre compagnie d'assurances et s'était trouvé ainsi non assuré, la cour d'appel a pu admettre que le dommage subi par M. Z... consistait dans l'absence d'assurance et qu'elle a par là même légalement justifié sa décision au regard de l'exigence d'un lien de causalité reliant le dommage à la faute ;
qu'ensuite, c'est sans inverser la charge de la preuve qu'après avoir caractérisé le dommage subi par M. Z..., et dûment établi par lui, elle a dit qu'il incombait à M. Y... de rapporter la preuve contraire ;
qu'enfin la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à la simple allégation d'une impossibilité d'assurer en temps utile dont elle relève souverainement que rien ne vient la conforter ;
qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches et doit être rejeté ;
Et sur le premier moyen du pourvoi incident de la compagnie Allianz :
Attendu que la compagnie Allianz reproche à la cour d'appel de l'avoir condamnée à réparer les conséquences de la faute de son agent général, alors qu'en ne recherchant pas si M. Y... avait effectivement conservé sa qualité d'agent et agi comme un mandataire lors de la rédaction de la proposition d'assurance, elle aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-1 du Code des assurances ;
Mais attendu que l'arrêt attaqué, après le rappel du principe que les entreprises d'assurances doivent répondre des dommages causés par la faute commise par leurs agents généraux dans l'exercice de leurs fonctions, énonce que tel était le cas en l'espèce ;
que, par cette constatation souveraine qu'elle a complétée en relevant notamment que le contrat de mandat d'agent général de la compagnie Allianz était versé au débat de sorte que la qualité de M. Y... ne pouvait être contestée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur la demande présentée par la compagnie Allianz au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que seule la partie condamnée aux dépens, ou à défaut, la partie perdante, peut être condamnée en vertu de ce texte ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette la demande présentée par la compagnie Allianz au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne M. Y... et la compagnie d'assurances Allianz, envers M. Z... et M. X..., ès qualités, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-sept juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze.