AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mlle le conseiller référendaire MOUILLARD, les observations de Me Le PRADO et de ME CHOUCROY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- Y... Roger,
- TAIEB X..., contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 29 mars 1994, qui, pour abus de biens sociaux, les a condamnés, le premier à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende, le second à 16 mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 francs d'amende ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation présenté par Me Le Prado pour Claude Z..., pris de la violation des articles 425 de la loi du 24 juillet 1966, 591 et 593 du Code de procédure pénale, renversement des charges de la preuve, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Claude Z... coupable d'abus de biens sociaux commis au détriment de la SARL Informatique France pour avoir fait acquitter par cette entreprise deux factures de 729 204 francs et 600 000 francs, émises par la société Informatique France Formation, et avoir mis gratuitement à la disposition de cette dernière des locaux loués par Informatique France ;
"aux motifs que s'il a contesté la réalité des délits d'abus de biens sociaux, faisant valoir qu'Informatique France n'avait nullement été lésé dans ses intérêts, dès lors qu'il travaillait pour cette société et que, par ailleurs, la mise à disposition d'une pièce faisant partie des locaux en cause au profit d'Information France Formation avait en définitive bénéficié à Informatique France en lui amenant sur le lieu de son exploitation une clientèle toujours renouvelée, laquelle était susceptible de lui acheter son matériel, les premiers juges, relevant outre le fait que ces arrangements financiers n'avaient fait l'objet d'aucune approbation par l'assemblée des associés et la confusion des patrimoines des deux sociétés considérées, ont rappelé les déclarations de Claude Z... au magistrat instructeur, selon lesquelles la refacturation des salaires par Informatique France Formation à Informatique France avait été opérée pour soulager la trésorerie ; qu'il convient par ailleurs de noter qu'il n'a jamais justifié de prétendus avantages tirés par Informatique France de la mise à disposition gratuite d'une partie de ses locaux au bénéfice de la société Informatique France Formation ;
"alors que, d'une part, Claude Z... ayant fait valoir dans ses conclusions que le montant des factures réglées par Informatique France à Informatique France Formation correspondait au montant des salaires et charges sociales réglés pour le compte d'Informatique France afin, précisément, de soulager la trésorerie de cette société, la Cour, qui a ainsi retenu cette dernière circonstance, sans préciser laquelle des deux sociétés elle concernait, pour déclarer établie la prévention d'abus de biens sociaux, n'a pas légalement justifié de sa décision faute, en l'état de ces motifs manifestement entachés d'insuffisance, d'avoir caractérisé un usage contraire à l'intérêt social de la société Informatique France ;
"alors que, d'autre part, l'usage contraire à l'intérêt social supposant l'absence de toute contrepartie ne saurait être caractérisé, dès lors que l'avantage a été consenti dans la perspective d'un développement de clientèle ou de chiffre d'affaires, quand bien même cette espérance ne se serait pas réalisée, de sorte qu'en l'espèce, Claude Z... ayant fait valoir que la présence d'Informatique France Formation dans les locaux d'Informatique France avait pour effet d'amener à cette dernière une clientèle susceptible de lui acheter son matériel, la Cour, qui pour retenir la prévention d'abus de biens sociaux, a ainsi considéré qu'il n'avait pas été justifié de la preuve de cette contrepartie, a tout autant renversé la charge de la preuve qu'entaché sa décision d'insuffisance, la mise en relation avec une clientèle constituant indéniablement un avantage même si ses répercussions sur l'augmentation du chiffre d'affaires ne peuvent être, par définition, qu'incertaines ;
"qu'enfin, en l'état de ces énonciations, la Cour n'a aucunement établi l'élément intentionnel requis en matière d'abus de biens sociaux, autrement dit la recherche par Claude Z... d'un avantage personnel, laquelle ne saurait résulter de la constatation de l'existence d'une confusion entre les patrimoines des deux sociétés, pas plus que du défaut d'approbation par l'assemblée des associés des arrangements financiers présentement incriminés dans la mesure où, en tout état de cause, une telle approbation est sans incidence sur la constitution ou non de l'infraction" ;
Sur le second moyen de cassation présenté par Me Le Prado pour Claude Z..., pris de la violation de l'article 425 de la loi du 24 juillet 1966, 591 et 593 du Code de procédure pénale, renversement de la charge de la preuve, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Claude Z... coupable d'abus de biens sociaux pour avoir disposé, dans le cadre de la société Informatique France, d'un compte courant débiteur de 166 011 francs au 1er janvier 1988 ;
"aux motifs que les premiers juges ont, sur ce point, à juste titre relevé qu'il ne justifiait pas davantage de ses affirmations, d'ailleurs contredites par les mentions figurant au rapport dressé au vu des documents comptables de la société Informatique France par la société Européenne de Contrôle Comptable et Financier-Union National Fiduciaire à la requête du tribunal de commerce de Paris ;
"qu'en effectuant l'ensemble de ses prélèvements sur la trésorerie d'Informatique France, le prévenu n'a donc pas justifié qu'ils avaient été opérés dans le seul intérêt social de cette entreprise ;
"alors que Claude Z... faisant valoir dans ses conclusions qu'au moment du contrôle, toutes les écritures correspondant à des notes de frais avancées par lui n'avaient pas encore été passées en comptabilité et qu'en fait, le montant de ces frais compensait le débit constaté, la Cour, qui s'est totalement abstenue d'examiner le bien-fondé de cet argument en se référant aux énonciations des premiers juges, qui n'apportaient pas davantage de réponse sur ce point, et en faisant de nouveau grief à Claude Z... de ne pas rapporter la preuve de ses dires, à là encore méconnu les règles relatives à la charge de la preuve et entaché sa décision, tout autant d'insuffisance que de manque de base légale" ;
Sur le moyen unique de cassation présenté par Me Choucroy pour Roger Y..., pris des articles 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, 132-29 et suivants du nouveau Code pénal, 1315 du Code civil, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions, renversement de la charge de la preuve, manque de base légale, violation des droits de la défense ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Hagege coupable d'abus de biens sociaux ;
"aux motifs que les premiers juges relevant, outre le fait que les arrangements financiers entre les deux sociétés Informatique France et Informatique France Formation n'avaient fait l'objet d'aucune approbation par l'assemblée des associés et la confusion des patrimoines des deux sociétés considérées, ont rappelé les déclarations exemptes de toute ambiguïté de Claude Z... selon lesquelles la refacturation des salaires par Informatique France Formation à Informatique France avait été opérée pour soulager la trésorerie ;
que les prévenus n'ont jamais justifié de prétendus avantages tirés par Informatique France de la mise à disposition gratuite d'une partie de ses locaux au bénéfice de la société Informatique France Formation ;
"qu'en ce qui concerne les comptes courants débiteurs, les premiers juges ont également, à juste titre, relevé qu'ils ne justifiaient pas davantage de leurs affirmations, d'ailleurs contredites par les mentions figurant au rapport dressé par la société SECCF/UMF ainsi que par les déclarations d'Yves Y... selon lesquelles il aurait été créditeur d'au moins 90 000 francs à l'époque concernée ;
"qu'en effectuant l'ensemble de ces prélèvements dont les prévenus n'ont pas justifié qu'ils avaient été opérés dans le seul intérêt social de France Informatique et alors qu'ils ont bénéficié soit personnellement soit à la société Informatique France Formation dans laquelle ils étaient intéressés, les prévenus se sont rendu coupables des délits d'abus de biens sociaux ;
"alors que, d'une part, en matière pénale c'est au ministère public partie poursuivante, qu'il incombe de rapporter la preuve de la réunion de tous les éléments constitutifs des infractions poursuivies et non aux prévenus qu'il appartient de démontrer leur innocence ;
que, dès lors, en l'espèce, s'agissant de poursuites pour abus de biens sociaux, les prévenus ne pouvaient être déclarés coupables de cette infraction que si conformément aux dispositions de l'article 425-4 de la loi du 24 juillet 1966 il avait été établi qu'ils avaient agi de mauvaise foi et que l'usage qu'ils avaient fait des biens de la société qu'ils avaient gérée, avait été contraire à son intérêt ;
qu'en entrant en voie de condamnation sous prétexte que les prévenus ne rapportaient pas la preuve que les prélèvements de fonds sociaux qu'ils ont opérés l'avaient bien été dans l'intérêt de la société, les juges du fond ont à la fois renversé illégalement la charge de la preuve et méconnu les conditions d'application du texte précité ;
"alors, d'autre part, que les juges du fond ont laissé sans réponse le moyen péremptoire de Y... tiré, d'une part, de l'importance du travail fourni tant par lui-même que par son co-prévenu au profit de la SARL Informatique France et qui justifiait une refacturation partielle des salaires qui leur avaient été versés par Informatique France Formation bien que dans un arrêt du même jour rendu par la même juridiction, la Cour ait elle-même souligné l'existence du travail de marketing effectué par le demandeur au profit d'Informatique France ;
"et, enfin, que Y... expliquait toujours dans ses conclusions, que l'existence du solde créditeur de son compte courant résultait d'une erreur du comptable qui avait débité son compte courant créditeur d'une somme prélevée par son frère Yves sur son compte courant personnel également créditeur ;
qu'en se bornant, pour écarter ce moyen péremptoire de défense, à invoquer le caractère créditeur du compte courant du frère du demandeur, les juges du fond n'ont énoncé qu'un motif inopérant ne pouvant constituer une réponse à ses conclusions" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, et sans inverser la charge de la preuve, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnels, les délits d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré Roger Y... et Claude Z... coupables ;
Que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Gondre conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Mouillard conseiller rapporteur, MM. Culié, Schumacher, Martin conseillers de la chambre, M. de Larosière de Champfeu conseiller référendaire, M. Perfetti avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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