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03/05/1995 | FRANCE | N°94-83621

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 03 mai 1995, 94-83621


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller de E... de MASSIAC, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE et de la société civile professionnelle ANCEL et COUTURIER-HELLER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- MAURY X..., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'a

ppel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, du 28 juin 1994 qui, dans les poursuit...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller de E... de MASSIAC, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE et de la société civile professionnelle ANCEL et COUTURIER-HELLER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- MAURY X..., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, du 28 juin 1994 qui, dans les poursuites exercées contre Gilbert Y..., Maurice GASTON et Max B... du chef de concussion, après avoir constaté la prescription de l'action publique envers Gilbert Y... et Maurice Z..., a prononcé la relaxe de Max B..., et a rejeté les demandes de la partie civile ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 513 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la Cour d'appel a rejeté la demande d'audition de témoins de la partie civile ;

"alors qu'aux termes de l'article 513 du Code de procédure pénale, l'appel est jugé à l'audience sur le rapport oral d'un conseiller ;

que le rapport qui a pour objet de faire connaître au juge d'appel les éléments de la cause sur laquelle ils auront à se prononcer, est une formalité substantielle dont l'accomplissement constitue un préliminaire essentiel à tout débat et que la formalité du rapport ayant eu lieu après qu'ait été rejetée la demande d'audition de témoins et non avant les débats qui ont eu lieu sur cette demande, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé en sorte que la cassation est encourue" ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 513 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a rejeté la demande d'audition de témoins ;

"alors qu'en vertu du principe de l'égalité des armes, consacré par la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée, le droit pour le prévenu de faire entendre des témoins appartient également à la partie civile et que par suite, la cour d'appel qui a rejeté la demande d'audition d'un témoin régulièrement cité sans donner un quelconque motif à sa décision a, en statuant ainsi, violé les textes susvisés" ;

les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'audition de témoins présentée par la partie civile et procéder, après rapport, à l'examen au fond de l'affaire, la juridiction du second degré relève que ces témoins ont été entendus devant le tribunal correctionnel, que la teneur de leurs déclarations a été notée au plumitif de l'audience, et qu'il n'est pas soutenu que leur audition devant la cour d'appel serait susceptible d'apporter des éléments nouveaux ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que la cour d'appel s'est prononcée par le même arrêt sur l'incident et sur le fond elle a légalement justifié sa décision sans encourir le grief du moyen, lequel ne saurait être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 174 de l'ancien Code pénal, de l'article 432-10 du nouveau Code pénal, des articles 7, 8, 203, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré prescrite l'action publique en ce qui concerne Maurice Gaston et Gilbert Y... ;

"aux motifs qu'il est constant que les actes allégués comme délictueux sont en date du 26 juin 1984 pour ce qui concerne Maurice Z... et que l'année 1987 pour ce qui concerne Gilbert Y... ;

qu'André D... ne peut soutenir que la réalisation des délits allégués s'est constituée par le moyen de la procédure et de son développement ;

que le texte de l'article 174 de l'ancien Code pénal applicable à l'époque des faits prévoit comme élément matériel de la concussion le fait d'avoir "reçu exigé ou ordonnée de percevoir" les droits, taxes ou contributions non dus ;

que cet élément est donc circonscrit dans les pouvoirs et fonctions du fonctionnaire ;

qu'il ne se prolonge pas par la contestation du droit par le contribuable à moins que le fonctionnaire en cause ne réitère l'exigence de paiements dans le cadre de ses fonctions ;

que tel n'est pas le cas en l'espèce pour Maurice Gaston et Gilbert Y... qui, après avoir établi les impositions dues à leur sens par André D... dans les années 1986 et 1987, ont cessé le traitement du dossier et des recours, suivi désormais par d'autres agents ;

qu'il est donc exclu de considérer que la position prise par d'autres fonctionnaires au nom de l'administration a prolongé le fait personnel de Maurice Z... et de Gilbert Y... dans la durée alors qu'il n'apparaît pas qu'ils aient eu quelque intervention personnelle que ce soit au-delà de la date des actes qu'ils ont accomplis ;

"alors que, d'une part, lorsque les faits délictueux constituent un délit unique continuellement prolongé, il n'y a pas lieu de rechercher, pour déterminer la prescription, les conditions propres à chacune des infractions poursuivies ;

que l'arrêt a relevé, tant par motifs propres que par adoption des motifs des premiers juges que la responsabilité pénale de Max B..., directeur des services fiscaux était mise en cause sur le fondement de l'article 174 de l'ancien Code pénal devenu l'article 432-10 du nouveau Code pénal pour avoir rédigé le mémoire en réplique devant la cour administrative d'appel sur le recours d'André D... contre une procédure de redressement initiée par Maurice Z..., inspecteur des impôts, et continuée par Gilbert Y... précédemment directeur départemental des services fiscaux ;

que les juges du fond ont constaté qu'il était reproché à Max B... d'avoir "persisté dans la réclamation de sommes supérieures à celles qui étaient dues par le contribuable alors qu'il savait qu'elles excédaient celles qui étaient dues" ;

qu'ils ont encore précisé "qu'il n'était pas contesté que l'essentiel de l'imposition supplémentaire réclamée à André D... avait été provoqué par l'évaluation des stocks fondée sur la comparaison entre les éléments fournis par le contribuable et l'inventaire réalisé le 26 juin 1984", c'est-à -dire par Maurice Z... et qu'il s'en déduit que les trois agents de l'administration fiscale déférés devant la juridiction correctionnelle ont agi dans le cadre d'une action commune, ce qui caractérise l'indivisibilité, en sorte que la cour d'appel ne pouvait, sans violer le principe susvisé, déclarer l'action prescrite à l'égard de Maurice Gaston et Gilbert Y... ;

"alors que, d'autre part, aux termes de l'article 203 du Code de procédure pénale, les infractions sont connexes notamment lorsque leurs auteurs ont commis les unes pour faciliter l'exécution des autres, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité ;

que lorsque les infractions sont connexes, un acte interruptif de la prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre quand bien même les poursuites auraient été exercées séparément ;

que les faits reprochés à Maurice Z..., Gilbert Y... et Max C... présentaient à tout le moins un lien de connexité les unes avec les autres, Gilbert Y... et Max B... ayant agi devant le juge de l'impôt à la fois pour consommer l'exécution du délit de concussion perpétré par Maurice Z... et pour en assurer l'impunité et que dès lors, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître le principe susvisé, accueillir l'action dirigée contre Max B... et déclarer prescrites faute d'acte interruptif les poursuites engagées contre les deux autres prévenus" ;

Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 432-10 du nouveau Code de procédure pénale, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Max B... du chef de concussion ;

"aux motifs que les premiers juges ont relevé dans les motifs pertinents et complets et sur la base d'éléments suffisants, que la méthode de calcul utilisée par les agents des impôts pour le calcul des stocks de bois détenus par André D... n'était pas conforme aux usages professionnels, plus précis et visiblement plus exacts ;

mais qu'il n'est pas pour autant rapporté la preuve que c'est sciemment que Lucien B... a soutenu devant les juridictions une argumentations qui était celle de son Administration ;

qu'en premier lieu l'évaluation avait été faite au cours d'une vérification contradictoire même si l'évaluation elle-même s'est déroulée hors la présence d'André D... qui savait depuis le début des opérations qu'il pouvait y assister, qui a pu jugé préférable de se livrer à d'autres occupations et qui conservait la possibilité de requérir une mesure d'instruction sur les comptes contestés ;

qu'en second lieu, la position prise dans le cadre d'une procédure administrative est soumise à la critique procédurale et à la contradiction, d'où il résulte qu'il se conçoit mal comment la partie qui se soumet à ses juges sans commettre de falsification des pièces produites peut avoir conscience de participer à un acte visant à des paiements d'impôts non dus, la participation au procès sans esprit de fraude étant au contraire exclusive de cet élément intentionnel ;

qu'en troisième lieu, il n'est aucunement démontré que c'est sciemment et non par ignorance que les méthodes de calcul erroné ont été mises en oeuvres ;

qu'a fortiori quand il s'est agi pour Lucien B... de soutenir en justice la position de l'Administration, rien ne prouve qu'il avait même la possibilité de s'aviser de l'imperfection des mesures mises en oeuvre ;

"1-alors qu'il se déduit des termes tant de l'article 174 de l'ancien Code pénal, que de l'article 432-10 du nouveau Code pénal, qu'en matière de concussion l'élément moral consiste dans la connaissance par la personne dépositaire de l'autorité publique que les sommes demandées par elle ne sont pas dues ou excèdent ce qui est dû de sorte qu'en se référant à la circonstance selon laquelle Lucien B... avait soutenu devant les juridictions (administratives) une argumentation qui était celle de son Administration, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant faute de s'expliquer sur le point de savoir si ce fonctionnaire avait connaissance de ce que le redressement opéré par l'inspecteur Maurice Z... avait pour conséquence l'exigence par l'administration fiscale de sommes excédant ce qui était dû par le contribuable ;

"2-alors qu'il est interdit aux juridictions correctionnelles de fonder leur décision sur des motifs généraux et qu'en se référant à l'idée qu'en principe "l'honnête homme" a une attitude processuelle qui ne peut être critiquée, la cour d'appel à méconnu les dispositions de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"3-alors que les juges du fond ne pouvaient sans se contredire souligner le caractère "visible", "manifeste", "étonnant" et "gravement inexact" de la méthode utilisée par les fonctionnaires des impôts pour évaluer le stock de bois du demandeur entraînant de la part de l'administration fiscale des sommes réclamées à titre de redressement infiniment supérieures à celles qui étaient dues, relevé encore que le contribuable avait attiré avec insistance l'attention de cette Administration sur ce point précis et considéré qu'"il n'était démontré que c'est sciemment et non par ignorance, que les méthodes de calcul erroné avaient été mises en oeuvres ;

qu'à fortiori lorsqu'il s'est agi pour Lucien B... de soutenir en justice la position de l'Administration, rien ne prouvait qu'il avait même la possibilité de s'aviser de l'imperfection des mesures mises en oeuvres" ;

"4-alors que dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, André D... faisait valoir que l'élément intentionnel résultait du refus systématique, de l'obstination de l'Administration qui n'avait jamais reconnu ce qui à l'origine pouvait n'être qu'une erreur, sa faute lourde, tandis que de façon précise la méthode de décamétrage avait été décrite dans différents mémoires d'André D... et qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions du demandeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'André D..., dont l'entreprise a fait l'objet d'un contrôle fiscal, a cité Maurice Z... inspecteur des impôts, Gilbert Y... et Max A..., directeurs départementaux, devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de concussion, leur reprochant d'avoir ordonné le paiement d'impôt indu ;

Attendu que pour déclarer prescrits les faits reprochés aux deux premiers, la cour d'appel, après avoir observé que ceux-ci avaient été commis en 1984, dans un cas, et en 1987 dans l'autre, énonce que le délit de concussion est circonscrit, pour chaque fonctionnaire, à son intervention personnelle et n'est pas renouvellé par la position prise, au nom de l'administration, par un autre agent à l'occasion d'une procédure contentieuse ultérieure ;

Que, pour confirmer la décision de relaxe, prise par les premiers juges, l'arrêt attaqué ajoute qu'il n'est pas établi que Max B... ait eu conscience en représentant les intérêts de l'administration devant la juridiction administrative de participer à un acte visant au paiement d'impôts non dûs ;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens qui remettent en discussion devant la Cour de Cassation l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause débattus devant eux ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. de Mordant de Massiac conseiller rapporteur, MM. Roman, Pibouleau, Aldebert conseillers de la chambre, M. Amiel avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 94-83621
Date de la décision : 03/05/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, 28 juin 1994


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 03 mai. 1995, pourvoi n°94-83621


Composition du Tribunal
Président : Président : M. CULIE conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1995:94.83621
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