AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Banque hypothécaire européenne (BHE), société anonyme dont le siège est ... (8e), en cassation d'un arrêt rendu le 24 mars 1992 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile, 2e section), au profit :
1 / de M. Pierre Z...,
2 / de Mme Marcelle C..., épouse Z..., demeurant ensemble ... (Indre-et-Loire),
3 / de M. le greffier en chef du tribunal de grande instance de Tours, domicilié en cette qualité au Palais de justice de ladite ville, Place Jean Jaurès, Tours (Indre-et-Loire), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 février 1995, où étaient présents :
M. de Bouillane de Lacoste, président, M. Pinochet, conseiller rapporteur, M. Y..., Mmes B..., X..., Marc, M. Aubert, conseillers, M. A..., Mme Catry, conseillers référendaires, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Pinochet, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la Banque hypothécaire européenne, les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte authentique du 23 avril 1982, la Banque hypothécaire européenne (BHE) et le Crédit immobilier européen (CIE) ont consenti aux époux Z..., pour financer l'achat d'un immeuble, deux crédits, d'un montant global de 365 000 francs, remboursables par échéances mensuelles et soumis aux dispositions de la loi du 13 juillet 1979 ;
que M. Z... a souscrit, auprès de son assureur personnel, les Assurances générales de France (AGF), un contrat garantissant le remboursement des sommes prêtées en cas de décès ou d'invalidité de l'emprunteur ;
qu'il a été reconnu invalide à compter du 1er avril 1985 et a cessé de rembourser les échéances ;
que les AGF ont versé au groupe BHE-CIE, en décembre 1988, une somme de 360 977 francs ;
que, le 16 février 1989, la BHE a fait délivrer aux époux Z... un commandement de saisie immobilière pour avoir paiement de la somme de 331 257,19 francs calculée, selon elle, conformément aux dispositions de l'article 13 de la loi de 1979 en cas de défaillance de l'emprunteur ;
que l'arrêt attaqué (Orléans, 24 mars 1992) a, sur opposition des époux Z..., annulé ce commandement ;
Attendu que la BHE fait grief à cet arrêt d'avoir ainsi statué, alors que, d'une part, en se fondant, pour retenir la responsabilité de la banque, sur la supposition que le contrat souscrit par M. Z... était moins favorable que le contrat d'assurance de groupe souscrit par le prêteur et auquel l'emprunteur devait adhérer selon l'article 9 du contrat de crédit, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1146 et suivants du Code civil et aurait violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile en se fondant sur un motif hypothétique ;
alors que, d'autre part, les juges du second degré auraient violé l'article 1146 précité en considérant que le prêteur avait manqué à son devoir de conseil envers l'emprunteur quant au choix du contrat d'assurance décès-invalidité ;
Mais attendu que l'arrêt attaqué a relevé que l'article 9 du contrat de crédit prévoyait que l'emprunteur adhérait à l'assurance de groupe souscrite par les prêteurs auprès de la compagnie AGF pour le risque décès-invalidité ;
que le bulletin d'adhésion rempli par M. Z... le 17 février 1982 avait été annulé le 19 avril suivant avant la signature du contrat de prêt ;
qu'un contrat distinct souscrit par M. Z..., le 6 mai 1982, avait été remplacé par un autre du 16 mai 1984, auprès des AGF, comportant les mêmes clauses que le précédent pour garantir le remboursement des sommes empruntées ;
que ces deux polices avaient été signées par les prêteurs ;
que, contrairement aux stipulations de l'article 9 du contrat de crédit, M. Z... n'avait pas adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par les prêteurs, pour souscrire à deux reprises, avec le consentement de la banque, des contrats personnels d'assurance vie-invalidité en garantie de l'emprunt que la BHE avait elle-même reconnu moins favorable que le contrat d'assurance de groupe ;
que la cour d'appel, qui en a justement déduit que la BHE devait supporter les conséquences de cette substitution qu'elle avait acceptée, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la BHE à une amende civile de vingt mille francs, envers le Trésor public ;
la condamne également, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt et un mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze.