AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Delabie, dont le siège est ... (Nord), en cassation d'un arrêt rendu le 2 juin 1992 par la cour d'appel de Versailles (5ème chambre sociale section A), au profit de la Caisse de mutualité sociale agricole d'Eure-et-Loir, dont le siège est ... (Eure-et-Loir), défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 2 février 1995, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Berthéas, conseiller rapporteur, MM. Vigroux, Pierre, Favard, Gougé, Ollier, Thavaud, conseillers, Mme Kermina, M. Choppin Haudry de Janvry, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Berthéas, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Delabie, de Me Vincent, avocat de la Caisse de mutualité sociale agricole d'Eure-et-Loir, les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens réunis :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la Caisse de mutualité sociale agricole (CMSA) a demandé à la société Delabie d'acquitter des cotisations sociales pour avoir employé, de janvier à mars 1989, sur un chantier forestier, M. X... et six autres bûcherons ;
que la société a contesté être redevable de ces cotisations, en raison de ce qu'elle aurait conclu avec l'intéressé un contrat d'entreprise ;
que la cour d'appel a rejeté son recours ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juin 1992) d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, de première part, que la présomption légale de salariat prévue pour toute personne occupée à des travaux forestiers moyennant rémunération ne s'applique qu'entre personnes liées par un contrat ;
qu'en décidant que la société Delabie serait redevable des cotisations des six bûcherons embauchés par M. X... et avec lesquels la société n'avait aucun lien contractuel, la cour d'appel a violé les articles 1024, 1144 et 1147-1 du Code rural, ensemble l'article 1165 du Code civil ;
alors, de deuxième part, que la présomption de salariat est écartée si la personne occupée à des travaux forestiers moyennant rémunération satisfait à des conditions de capacité ou d'expérience professionnelle et d'autonomie de fonctionnement ;
que remplit cette dernière condition la personne qui, soit est personnellement employeur de main d'oeuvre salariée pour son activité, soit remplit au moins deux des conditions suivantes :
a) être propriétaire ou locataire permanent d'un outillage qui excède les moyens nécessaires à l'exercice d'une activité salariée ;
b) être inscrit au registre du commerce et des sociétés ;
c) être inscrit à un centre de gestion agréé pour la tenue de sa comptabilité ;
qu'en déclarant que l'immatriculation au registre du commerce de M. X... était sans importance pour écarter la présomption de salariat et en refusant de considérer que la condition d'autonomie était remplie, bien que M. X... ait personnellement embauché six bûcherons, la cour d'appel a violé l'article 2 du décret n 86-949 du 6 août 1986 et l'article 1147-1 du Code rural ;
alors, de troisième part, qu'une carte d'assuré agricole attestant une affiliation en cours de validité au régime des non-salariés établit la levée de présomption de salariat pour les entrepreneurs de travaux forestiers ;
qu'en l'espèce, la société Delabie faisait valoir que M. X... lui avait présenté une carte justifiant de son immatriculation comme employeur à la CMSA sous le numéro d'identification 01-134-326-00 ;
qu'en considérant que la présomption de salariat n'était pas levée à l'égard de la société dès lors que la commission administrative du 3 mai 1988 avait rejeté la requête en affiliation de M. X..., sans s'expliquer sur la justification d'affiliation donnée à la société et sans rechercher si cette dernière avait pu être informée de la situation réelle de M. X..., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des mêmes articles ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir rappelé que la présomption de salariat instituée par l'article 1147-1 du Code rural bénéficie à toute personne occupée, moyennant rémunération, dans une exploitation forestière et que cette présomption n'est levée que dans le cas où sont réunies des conditions cumulatives de capacité professionnelle et d'autonomie fixées par décret, la cour d'appel constate que la commission admnistrative, seule compétente pour apprécier à cet égard la situation de M. X..., a considéré que celui-ci ne répondait pas à toutes les conditions réglementairement exigées pour être affilié comme entrepreneur de travaux forestiers ;
que la cour d'appel en déduit exactement que, même s'il était inscrit au registre du commerce et possédait une carte d'assuré agricole, l'intéressé était présumé avoir, pour l'exécution des travaux en cause, la qualité de salarié travaillant pour le compte de la société Delabie, laquelle était en réalité son employeur, quels qu'aient été les termes du contrat liant les parties ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que M. X... n'avait pas déclaré à la Caisse de mutualité sociale agricole les personnes oeuvrant sur le chantier et qu'il n'avait pu présenter aucune pièce justifiant qu'elles étaient ses salariés, la cour d'appel, faisant application aux intéressés de la présomption de salariat à l'égard du donneur d'ouvrage instituée par le texte précité, a, sans encourir les griefs du pourvoi, décidé à bon droit que la société Delabie, pour le compte de laquelle les travaux étaient exécutés, était l'employeur des bûcherons et qu'elle était redevable de cotisations au titre de leur emploi comme de celui de M. X... ;
D'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé ;
PAR CES MOTIFS ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Delabie, envers la C.M.S.A. d'Eure-et-Loire, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze.