AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme des Editions Dupuy fils et compagnie, dont le siège est à Paris (8ème), ..., en cassation d'un arrêt rendu le 19 novembre 1990 par la cour d'appel de Paris (18ème chambre A), au profit de Mme Marie-Louise X..., demeurant ... (5ème), défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 31 janvier 1995, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, Mlle Sant, conseiller référendaire rapporteur, MM. Waquet, Ferrieu, Monboisse, Mme Ridé, MM. Merlin, Desjardins, conseillers, MM. Frouin, Boinot, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mlle le conseiller référendaire Sant, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la société Editions Dupuy fils et compagnie, de Me Brouchot, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 122-14-12 et L. 122-14-13 du Code du travail ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, sont nulles et de nul effet toute disposition d'une convention ou d'un accord collectif de travail et toute clause d'un contrat prévoyant une rupture de plein droit du contrat de travail d'un salarié en raison de son âge ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'employée depuis le 13 avril 1955, par la société Dupuy Fils et compagnie, Mme X... a été mise à la retraite à l'âge de 61 ans, le 1er janvier 1989 ;
Attendu que, pour condamner la société à payer à la salariée des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a énoncé que la convention collective dans un avenant du 31 mars 1981, qui n'a été ni dénoncé ni renégocié après la loi du 30 juillet 1987, a prévu la mise à la retraite automatique des employés lors de la survenance de 65 ans sauf accord entre les parties sur la prolongation du contrat, ce qui constitue une "clause couperet" ;
que l'employeur ne peut tirer argument de l'article L. 122-12-13 du Code du travail pour imposer à un salarié un départ à la retraite antérieur à l'âge prévu par la convention collective, nécessairement stipulé dans l'intérêt de chacune des parties ;
que les dispositions de l'article L. 122-14-12 du Code du travail qui prononcent la nullité des dispositions d'une convention collective prévoyant une rupture de plein droit du contrat de travail d'un salarié en raison de son âge ne peuvent permettre de légitimer cette rupture à un âge antérieur sans dénaturer le sens de cette convention collective et de la loi elle-même ;
que l'employeur pourrait seulement être fondé à soutenir que Mme X... aurait pu être mise à la retraite, dans les formes de droit énoncées par l'article L. 122-14-13, à l'âge de 65 ans ;
que le jeu de la nullité doit en effet être limité à ce qui dans la convention collective concerne la clause couperet, c'est-à -dire l'automaticité de la rupture du contrat de travail ;
qu'au surplus, les dispositions d'ordre public de l'article L. 122-14-12 précité, étant édictées dans l'intérêt des seuls salariés, la société ne dispose pas d'aucune action pour invoquer contre les droits des personnes ainsi protégées, la nullité d'une disposition conventionnelle à laquelle elle est soumise ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en application de l'article L. 122-14-12, alinéa 2, du Code du travail, la clause d'une convention collective prévoyant une rupture de plein droit du contrat de travail du salarié à un âge déterminé est entachée d'une nullité d'ordre public absolue, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme X..., envers la société Editions Dupuy fils et compagnie, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du quinze mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze.