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23/01/1995 | FRANCE | N°94-81642

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 janvier 1995, 94-81642


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois janvier mil neuf cent quatre vingt quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller HECQUARD, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- A... Rémy,

- A... Michel, contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre corr

ectionnelle, en date du 25 février 1994, qui les a condamnés pour abus de biens sociau...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois janvier mil neuf cent quatre vingt quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller HECQUARD, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- A... Rémy,

- A... Michel, contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 25 février 1994, qui les a condamnés pour abus de biens sociaux et complicité, le premier à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende, le second à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-3 et 463 de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Rémy A... coupable du délit d'abus de biens sociaux en qualité de dirigeant de fait de la société A... ;

" aux motifs que Rémy A... déclare lui-même qu'à partir de 1988, il avait les pleins pouvoirs sur les agences de Langres, Nancy et Strasbourg ;

qu'il participait aux décisions prises par les responsables de la société au cours des réunions mensuelles et qu'il était, à cette époque, considéré comme le numéro deux de la société, juste derrière son frère Michel ;

qu'il est d'ailleurs désigné dans l'organigramme de la société comme directeur général Est et avait le pouvoir de représenter la société ;

que MM. Bernard Y..., Jacques A..., Gérard X..., James Z..., qui ont confirmé l'étendue des pouvoirs de Rémy A..., le considéraient comme le numéro deux de la société, juste derrière le président-directeur général ;

que les collaborateurs les plus proches de Rémy A... sont évidemment les mieux placés pour apprécier l'étendue des pouvoirs de celui-ci et le rôle joué par lui dans la société ;

qu'il résulte de l'ensemble des déclarations que Rémy A... ne participait pas seulement à des actes d'exécution des décisions et mesures prises par d'autres, mais exerçait une activité positive de gestion et de direction en toute souveraineté et indépendance ;

qu'un tel comportement caractérise à son encontre une activité de dirigeant de fait ;

qu'en ce qui concerne les éléments constitutifs de l'infraction, le paiement par la société d'amendes infligées personnellement à Rémy A... est contraire à l'intérêt de celle-ci ;

que les usages invoqués par Rémy A..., même s'ils étaient établis, ne peuvent conduire à une violation de la loi ;

que Rémy A... ne peut prétendre être de bonne foi alors que le commissaire aux comptes, M. B..., avait signalé dans son rapport du 6 juin 1992 que les amendes pénales ne pouvaient pas être mises à la charge d'une société commerciale et que l'existence d'une provision de 200 000 francs pour risque pénal ne pouvait être admise que dans son rapport du 5 mai 1993 relatif à l'exercice 1992, il avait renouvelé cet avertissement, en précisant que le montant des amendes pénales devait être comptabilisé au débit du compte courant de Rémy A... et que le règlement de ces amendes par la société le conduisait à ne pas certifier les comptes ;

qu'en transmettant en connaissance de cause au comptable, M. X..., les pièces relatives aux condamnations le frappant personnellement afin que le paiement soit assuré par la société, Rémy A... a commis l'abus de biens sociaux reproché ;

" alors que, d'une part, le dirigeant de fait d'une société est celui qui aura, en fait, exercé la gestion d'une société aux lieu et place de son dirigeant légal ;

qu'en l'espèce, la cour d'appel se borne à affirmer que le demandeur dirigeait les agences de Langres, Nancy et Strasbourg ;

que les collaborateurs les plus proches de Rémy A... indiquent que celui-ci exerçait une activité positive de gestion et de direction en toute souveraineté et indépendance ;

qu'ainsi, la Cour n'a pas caractérisé les éléments propres à établir la qualité de dirigeant de fait de la société Jacques A... par le demandeur et qu'elle n'a relevé aucun acte positif de direction dans le fonctionnement de la société aux lieu et place de Michel A..., président-directeur général de la société ;

que la Cour, qui n'a pas caractérisé d'actes de gestion de fait, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

" alors, d'autre part, que la cour d'appel a omis de répondre aux chefs péremptoires des conclusions d'appel du demandeur dans lesquelles celui-ci faisait valoir que depuis son engagement en 1981 par la société Jacques A..., celui-ci a constamment été lié à la société par un contrat de travail et était placé sous l'autorité et la subordination hiérarchique de la direction générale de la société ;

que la délégation de pouvoirs qui lui a été consentie en 1988 pour les agences de Langres, Nancy et Strasbourg, était de nature commerciale et technique et était exclusive d'une délégation de direction générale et de gestion de la société ;

qu'il ne pouvait engager la société que dans le cadre du budget qui lui était octroyé ;

que le fait pour le demandeur d'avoir été appelé, en 1991, à " superviser " l'activité de l'ensemble des agences de la société Jacques A... n'a pas été de nature à modifier ses prérogatives ;

" alors, enfin, que la mauvaise foi est un élément constitutif du délit incriminé ;

que le fait d'avoir fait supporter par la trésorerie de la société le règlement des amendes prononcées pour infractions au Code de la route infligées dans le cadre de l'entreprise n'est pas constitutif du délit d'abus de biens sociaux eu égard aux usages dans la profession, aux risques encourus et aux charges importantes que représentent les amendes ;

que, par suite, la cour d'appel, qui se borne à affirmer que le prévenu ne peut prétendre être de bonne foi, a statué par des motifs hypothétiques insusceptibles de justifier légalement la mauvaise foi du prévenu et a privé sa décision de toute base légale " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 59 et 60 anciens du Code pénal, 121-7 du nouveau Code pénal, 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a requalifié les faits poursuivis à l'encontre de Michel A... sous la dénomination de délit d'abus de biens sociaux en complicité d'abus de biens sociaux pour le déclarer coupable de ce délit ;

" aux motifs que Michel A..., président-directeur général de la société, reconnaît avoir été au courant de la pratique consistant à faire payer par la société les amendes pénales prononcées contre son frère Rémy, et avoir accepté cette façon de procéder qui a toujours été en usage dans la société ;

que sa mauvaise foi est cependant établie en raison des observations faites par le commissaire aux comptes sur ce point ;

que malgré ces avis et, en toute hypothèse, en n'ignorant pas que le paiement par la société d'amendes prononcées personnellement contre Rémy A... ne pouvait être conforme à l'intérêt de celle-ci, il a accepté de perpétrer une pratique irrégulière et à laquelle sa fonction devait au contraire le conduire à mettre un terme ;

qu'il a ainsi donné à Rémy A... les moyens de commettre l'infraction d'abus de biens sociaux qui lui est reprochée ;

qu'il convient dès lors de requalifier les faits reprochés à Michel A... en délit de complicité d'abus de biens sociaux, faits dont il doit être déclaré coupable, y compris pour les amendes correspondant à l'année 1993, dont le comptable, M. X..., a précisé que le règlement avait été effectué le 28 décembre 1992, soit à une époque où Michel A... était toujours en fonctions ;

" alors, d'une part, que s'il appartient aux tribunaux de modifier la qualification des faits et de substituer une infraction nouvelle à celle qui leur était déférée, c'est à la condition, nécessaire à la protection des droits de la défense, qu'il ne soit rien changé à ces faits et qu'ils restent tels qu'ils ont été dénoncés dans les actes de procédure, le juge correctionnel ne pouvant statuer sur des faits autres que ceux qui leur sont déférés, à moins que le prévenu, qui doit être informé de la nature et de la cause de la prévention dont il est l'objet pour pouvoir préparer utilement sa défense, n'ait accepté expressément le débat sur des faits nouveaux ;

qu'en l'espèce, où Michel A... était poursuivi pour délit d'abus de biens sociaux, les juges du fond ne pouvaient, sans violer les droits de la défense, le déclarer coupable de complicité d'abus de biens sociaux, ces faits n'étant pas visés par la prévention qui délimitait leur saisine ;

" alors, d'autre part, que le simple fait que le demandeur exerçât des fonctions de président-directeur général de la société ne saurait constituer un acte de complicité par fourniture de moyens en l'absence de tout motif propre à caractériser de tels actes ;

qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" alors, en outre, qu'en matière de complicité, l'intention coupable doit exister au moment de la fourniture de moyens ;

qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui se borne à constater que le demandeur a accepté, en connaissance de cause, de perpétrer une pratique irrégulière à laquelle sa fonction devait au contraire le conduire à mettre un terme, n'a pas caractérisé l'intention coupable et n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" et alors, enfin, que le demandeur ne pouvait être déclaré coupable pour les amendes correspondant à l'année 1993, celui-ci ayant quitté ses fonctions le 8 janvier 1993 ;

que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire et sans mieux s'en expliquer, indiquer que les amendes correspondant à l'année 1993 avaient été réglées en décembre 1992 " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, partiellement reprises aux moyens, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, a caractérisé dans les limites de sa saisine, en tous leurs éléments constitutifs tant matériels qu'intentionnel, les délits d'abus de biens sociaux et de complicité de cette infraction dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause ainsi que la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Gondre conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Hecquard conseiller rapporteur, MM. Culié, Roman, Schumacher, Grapinet conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme Mouillard, M. de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. le Foyer de Costil avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 94-81642
Date de la décision : 23/01/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, 25 février 1994


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 jan. 1995, pourvoi n°94-81642


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GONDRE conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1995:94.81642
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