AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Norsk Hydro Azote, société anonyme, dont le siège est à Paris (17e), ..., en cassation de deux arrêts rendus le 9 mars 1990 et le 26 octobre 1990 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), au profit :
1 / de Mme X... et 735 autres salariés dont les noms figurent sur une liste annexée au présent arrêt,
2 / du syndicat CGT de la société Norsk Hydro Azote,
3 / du syndicat CFDT de la même société, sis tous deux à Paris (17e), ..., défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 novembre 1994, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, Mlle Sant, conseiller référendaire rapporteur, MM. Waquet, Ferrieu, Monboisse, Mme Ridé, MM. Merlin, Desjardins, conseillers, MM. Frouin, Boinot, conseillers référendaires, M. Martin, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mlle le conseiller référendaire Sant, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Norsk Hydro Azote, de Me Guinard, avocat des salariés et des syndicats CGT et CFDT de la société Norsk Hydro Azote, les conclusions de M. Martin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, suivant appel formé contre un jugement rendu le 6 juin 1988 par le tribunal d'instance de Lourdes, la cour d'appel de Pau, par arrêt du 9 mars 1990 a condamné la société Norsk Hydro Azote, notamment, à payer à Mme X..., et divers autres salariés, des indemnités compensatrices de réduction d'horaire pour la période postérieure au 1er mars 1974, et une somme à titre de dommages-intérêts ; que la même cour d'appel, par arrêt du 26 octobre 1990, a statué sur la requête dont elle avait été saisie, en rectification et interprétation de sa précédente décision ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société reproche à la cour d'appel de l'avoir condamnée à payer aux intéressés une indemnité compensatrice de réduction d'horaires de 3,6242 % à compter du 1er mars 1974, alors, selon le moyen, de première part, que, dans son jugement du 19 septembre 1979, le tribunal a exclu l'ICRH de 3,6242 % de la rémunération reçue par le salarié non pas pour en déduire que l'employeur ne l'avait pas payée jusqu'alors et devrait dorénavant la payer en sus de cette rémunération, mais uniquement à l'effet de vérifier si la rémunération perçue par le salarié était égale au minimum garanti tel que le définissait la convention collective ;
qu'en déduisant de ce que cette comparaison avait conduit à ordonner un rappel de salaire, que c'est l'ICRH qui n'avait jamais été payée par l'employeur avant 1974, la cour d'appel a méconnu le sens des dispositions de ce jugement, et violé l'article 1351 du Code civil ;
alors, de deuxième part, que, dans leur assignation en justice, les salariés n'ont jamais demandé davantage que le paiement du minimum conventionnel garanti ; que le tribunal a estimé que pour rechercher si ce minimum leur avait bien été versé, il y avait lieu d'exclure de leur rémunération, pour la période antérieure au 28 février 1974, les primes de production et de fin d'année et l'ICRH et pour la période postérieure uniquement l'ICRH ; qu'il s'ensuit que les salariés ont nécessairement été remplis de tous leurs droits, y compris l'ICRH dès lors qu'après déduction de cette indemnité de la rémunération qu'ils ont effectivement perçue, celle-ci reste encore supérieure ou égale au minimum conventionnel ;
qu'en refusant de rechercher, comme l'y invitait la société et le rapport de l'expert, si tel n'était pas le cas en l'espèce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 12 de la convention collective nationale des industries chimiques et de l'article 1134 du Code civil ; alors, de troisième part, que, dans son jugement devenu définitif du 19 septembre 1979, le tribunal d'instance de Lourdes a décidé que les primes de production et de 13e mois ne seraient plus, à compter du 1er mars 1974, déduites de la rémunération perçue par le salarié avant comparaison de celle-ci avec le minimum conventionnel garanti ; qu'il s'ensuit qu'en dépit de l'absence d'augmentation du montant global de la rémunération du salarié à compter de cette date, la portion de celle-ci devant être comparée au minimum garanti s'est trouvée sensiblement augmentée, rendant de ce fait même inutile le supplément de rémunération qu'aurait dû verser l'employeur pour la période antérieure ; qu'en déduisant que les salariés n'avaient pas été remplis de tous leurs droits, notamment au titre de l'ICRH de la seule constatation que les salariés n'avaient pas été augmentés en 1974, sans aucunement avoir égard à la circonstance que la méthode permettant de déterminer leurs droits au regard du minimum garanti avait été modifiée en 1974 en application du jugement précité, la cour d'appel en a méconnu les dispositions, et violé à nouveau l'article 1351 du Code civil ; alors, enfin, que l'absence de mention d'un élément de rémunération sur le bulletin de salaire n'autorise pas à déduire que celui-ci n'a pas été versé, l'employeur demeurant en tout état de cause en droit de rapporter la preuve, par tous moyens, que cet élément de rémunération a été payé au salarié ; qu'en déduisant l'absence de paiement de l'ICRH de ce qu'aucune indication de paiement ne figurait sur le bulletin de salaire, la cour d'appel a violé l'article L. 143-3 du Code du travail ;
Mais attendu que, le jugement du 17 septembre 1979, devenu irrévocable, ayant reconnu aux salariés un droit à l'indemnité compensatrice de réduction d'horaire de 3,6242 % en plus du salaire de base, la cour d'appel, sans violer l'autorité de la chose jugée, d'une part, a retenu que le tribunal d'instance n'avait pas statué sur les sommes dues aux intéressés à ce titre à compter du 1er mars 1974, d'autre part, appréciant les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a estimé que l'employeur n'apportait pas le preuve du paiement aux salariés de cette indemnité ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que l'employeur reproche encore à la cour d'appel de l'avoir condamné à payer à chacun des salariés une somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que le juge ne peut accorder au créancier des dommages-intérêts compensatoires en sus des intérêts légaux sans constater que le débiteur, par sa mauvaise foi, lui a causé un préjudice distinct de celui résultant du seul retard dans le paiement de la dette ; qu'en se bornant à relever que les salariés de la société Cofaz avaient subi un préjudice incontestable en attendant plusieurs années le versement de l'ICRH sans constater que la société Cofaz avait refusé de payer cette indemnité de mauvaise foi, et que les salariés avaient subi un préjudice distinct de celui déjà réparé par les intérêts légaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153, alinéa 4 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société, qui ne contestait pas le droit des salariés à l'indemnité litigieuse, s'opposait à la demande sans justifier de l'exécution de son obligation, la cour d'appel a fait ressortir la mauvaise foi de l'employeur et le préjudice, dont elle a souverainement apprécié le montant, indépendant du retard dans le paiement, subi par les salariés ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Norsk Hydro Azote, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-quinze.