AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par La Manufacture Française des Pneumatiques Michelin, dont le siège est ... (Puy-de-Dôme), agissant en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège, en cassation d'un arrêt rendu le 5 décembre 1990 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), au profit de M. Michel X..., demeurant ... à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 14 décembre 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Carmet, conseiller rapporteur, MM. Saintoyant, Lecante, Bèque, Boubli, Le Roux-Cocheril, Brissier, conseillers, Mmes Béraudo, Pams-Tatu, Bignon, Girard- Thuilier, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Carmet, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de La Manufacture Française des Pneumatiques Michelin, les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, que, selon l'article 2 d'un accord d'entreprise du 20 janvier 1984, les heures de délégation des représentants du personnel des établissements de la Manufacture Michelin, effectuées en dehors de l'horaire de travail, ouvrent "droit à récupération" ;
qu'invoquant cette clause, M. X..., dépanneur de l'usine de Blanzy et membre du comité d'établissement, a avisé le 21 juillet 1989 au matin son chef d'équipe qu'il ne prendrait pas son service pour la nuit du 21 au 22 juillet ; que, le 21 juillet 1989, à 14 heures, ce chef d'équipe lui a indiqué qu'il refusait d'accorder ce jour la récupération demandée afin de ne pas réduire à deux le nombre de dépanneurs présents sur le site ;
que M. X... ayant passé outre à ce refus, le salaire afférent à la durée de l'absence a fait l'objet d'une retenue ; que le salarié en a demandé le remboursement ;
Attendu que la société Manufacture Michelin fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Dijon, 5 décembre 1990) d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le moyen, d'une part, que l'accord du 20 janvier 1984 qui, par rapport au régime légal, procure aux représentants du personnel l'avantage de pouvoir, en toutes circonstances, "positionner" leurs heures de délégation en dehors de l'horaire de travail, n'a aucunement pour objet de constituer un deuxième avantage consistant dans le libre "positionnement" des heures de récupération ; qu'ouvrant un simple droit à récupération, l'article 2 de l'accord ne peut s'analyser que comme un crédit de congé, de sorte qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si le bénéficiaire ne devait pas prendre en considération les nécessités du service et obtenir l'accord de la hiérarchie, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; qu'au surplus, en assimilant le régime des heures de délégation et celui des heures de récupération, sans répondre aux conclusions de la société qui faisait valoir que si les salariés n'avaient pas à recueillir l'accord de l'employeur sur le "positionnement" des heures de délégation, il n'en était pas
de même pour les heures de récupération qui ne se rattachent pas directement à l'exercice du mandat, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que l'usage est une pratique constante dans l'entreprise ayant force obligatoire pour les parties qui l'ont admise ;
qu'en s'abstenant de s'expliquer sur les conclusions de l'employeur qui faisait valoir qu'en vertu d'une "pratique en vigueur depuis toujours dans l'entreprise, au demeurant non contestée, chacun étant bien conscient des nécessités du service, le choix du temps de récupération faisait l'objet d'une concertation entre le salarié et sa maîtrise, tenant compte de la charge de travail et de la disponibilité des membres d'une équipe", la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code du travail ; que, pour la même raison, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que les heures de délégation doivent être payées à l'échéance normale ; que la cour d'appel, répondant aux conclusions et sans dénaturer aucun document, a décidé à bon droit qu'à défaut de récupération desdites heures, celles-ci devaient être payées ;
que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne La Manufacture Française des Pneumatiques Michelin, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt trois février mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.