AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF), société anonyme à forme mutuelle, dont le siège social est à Chaban-de-Chauray (Deux-Sèvres), Niort, en cassation d'un arrêt rendu le 4 octobre 1991 par la cour d'appel de Nancy (2e chambre civile), au profit de :
1 / la société à responsabilité limitée Teclim, dont le siège est ... (Meurthe-et-Moselle),
2 / la société anonyme papeteries Grégoire, dont le siège est à Saint-Nabord (Vosges), défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 novembre 1993, où étaient présents : M. de Bouillane de Lacoste, président, M. Pinochet, conseiller rapporteur, Mme Lescure, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Pinochet, les observations de Me Baraduc-Benabent, avocat de la MAAF, de Me Brouchot, avocat de la société papeteries Grégoire, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, le 16 juillet 1985, la société Papeteries Grégoire a commandé à la société Teclim deux installations de récupération de chaleur pour des machines de fabrication de papier ; que, quelques mois après leur installation, les récupérateurs de chaleur n'ont plus fonctionné de manière satisfaisante ; qu'au vu du rapport d'un expert judiciaire la société Papeteries Grégoire a assigné en déclaration de responsabilité et en réparation de son préjudice, la société Teclim qui a appelé en garantie son assureur de responsabilité, la Mutuelle Assurance Artisanale de France (MAAF) ; que cet assureur lui ayant opposé une clause d'exclusion de garantie, la société Teclim a invoqué un manquement dudit assureur à son devoir d'information et de conseil lors de la souscription du contrat d'assurance ;
Attendu que la MAAF fait grief à l'arrêt attaqué (Nancy, 4 octobre 1991) de l'avoir condamnée à payer à ce titre la somme de 3 000 000 francs alors que, de première part, l'obligation de conseil de l'assureur doit s'apprécier au jour où le contrat est souscrit ;
que le contrat multigaranties du chef d'entreprise "responsabilité civile" avait été souscrit par la société Teclim le 5 septembre 1978, et non le 3 octobre 1979, la société Teclim n'ayant pas alors informé la MAAF du contrat précédemment souscrit auprès de la compagnie Concorde, et le nouvel assureur n'ayant pas été en mesure d'apprécier les garanties offertes par ce contrat ; qu'en prenant en compte la lettre de résiliation de la police Concorde postérieure à la signature de la police MAAF, la cour d'appel aurait violé les articles R. 511-1 du Code des assurances et 1147 du Code civil ;
alors que, de deuxième part, au jour de la résiliation de la police Concorde, la société Teclim, assurée depuis près de neuf mois auprès de la MAAF par un contrat dont les termes très clairs excluaient la prise en charge de l'inexécution des engagements contractuels pris
par l'assuré, avait été en mesure d'apprécier les garanties qui lui étaient offertes ; qu'en imposant à l'assureur de prendre l'initiative de proposer la souscription d'une police plus complète, la cour d'appel aurait conçu de façon trop extensive l'obligation de conseil qui n'est qu'une obligation de moyens ; alors que, de troisième part, la cour d'appel aurait dénaturé les clauses d'exclusion prévues par la police Concorde, en retenant que ces conclusions regroupaient seulement les évènements concernant l'atteinte aux biens fournis par l'assuré, leur réparation ou leur remplacement ; alors que, enfin, à supposer que la police Concorde eût pu offrir à la société Teclim la garantie demandée, cette compagnie devait alors garantir un dommage dont l'origine se trouvait dans un fait antérieur à la résiliation, le prétendu manquement de la MAAF à son devoir de conseil étant sans lien de causalité avec le préjudice subi par la société Teclim ;
Mais attendu que, contrairement à ce que soutient le premier grief, le contrat souscrit le 3 octobre 1979 auprès de la MAAF fait suite à une proposition d'avenant en date du 25 août 1979 remplaçant et annulant le précédent contrat du 5 septembre 1978 ; que l'arrêt attaqué a relevé que, lors de la signature du contrat du 3 octobre 1979, l'agent de la MAAF avait eu connaissance des contrats précédents et avait rempli la lettre de résiliation adressée le 12 juin 1979 à la compagnie la Concorde ; qu'en se fondant sur cette lettre, la cour d'appel n'a donc pas pris en compte des éléments postérieurs à la souscription du contrat d'assurance pour apprécier si, à cette date, la MAAF avait satisfait à son obligation d'information et de conseil envers la société Teclim ;
Attendu, en ce qui concerne le deuxième grief, que l'arrêt attaqué a retenu que la société Teclim était particulièrement exposée aux risques d'inexécution contractuelle dans son activité de récupération d'énergie ;
que l'exclusion de garantie contenue dans la police souscrite auprès de la MAAF recélait un piège indécelable pour un entrepreneur non juriste qui entendait souscrire une assurance pour garantir sa responsabilité générale du fait de son exploitation, envers les clients comme envers les tiers ; que la cour d'appel en a justement déduit que l'agent de la MAAF avait manqué à son devoir d'information et de conseil en n'attirant pas l'attention de l'assuré sur les conséquences de la résiliation de la police antérieure ou sur la nécessité de souscrire une police plus complète pour en prendre la suite ;
Attendu, sur le troisième grief, que par une interprétation que l'ambiguïté née du rapprochement des multiples clauses d'exonération contenues dans la police souscrite auprès de la compagnie Concorde rendait nécessaire, et, qui, par là même, est exclusive de dénaturation, la cour d'appel a retenu que cette police n'excluait pas la garantie des dommages immatériels hors des cas expressément prévus ;
Attendu, enfin, que la MAAF n'a pas soutenu devant la cour d'appel que l'éventuelle méconnaissance de son obligation de conseil était sans conséquence sur le dommage subi par la société Teclim, parce que celui-ci avait son origine dans un fait antérieur à la résiliation de la police Concorde, et survenu pendant la période de garantie de cet assureur ; que ce moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa quatrième branche, ne peut être accueilli en ses autres branches ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la MAAF à une amende civile de dix mille francs, envers le Trésor public ; la condamne, envers la société Teclim et la société papeteries Grégoire, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du six janvier mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.