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04/01/1994 | FRANCE | N°91-16797

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 04 janvier 1994, 91-16797


Sur le premier moyen pris en ses deux branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 1991), que la société Laboratoires de prothèses oculaires (LPO) commercialise sur prescriptions médicales, par l'intermédiaire de ses agences ou de distributeurs liés avec elle par des contrats de franchise, des lentilles de contact, des implants intra-oculaires et leurs produits connexes ; que, s'estimant victime des agissements exercés à son encontre par plusieurs syndicats d'opticiens-lunetiers qui ont demandé aux juridictions judiciaires de lui interdire la vente de ces produi

ts en invoquant les dispositions des articles L. 505, L. 508 et ...

Sur le premier moyen pris en ses deux branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 1991), que la société Laboratoires de prothèses oculaires (LPO) commercialise sur prescriptions médicales, par l'intermédiaire de ses agences ou de distributeurs liés avec elle par des contrats de franchise, des lentilles de contact, des implants intra-oculaires et leurs produits connexes ; que, s'estimant victime des agissements exercés à son encontre par plusieurs syndicats d'opticiens-lunetiers qui ont demandé aux juridictions judiciaires de lui interdire la vente de ces produits en invoquant les dispositions des articles L. 505, L. 508 et L. 509 du Code de la santé publique, elle a saisi les juges du fond pour qu'ils sanctionnent de telles pratiques qu'elle considère comme anti-concurrentielles ; que la cour d'appel a débouté la société LPO de sa demande et, faisant droit à la demande reconventionnelle des syndicats appelés dans la cause, a interdit sous astreinte à cette entreprise de poursuivre la commercialisation des lentilles de contact auprès des particuliers dans les points de vente contrôlés par elle et exploités par des responsables non titulaires du diplôme de lunetier-opticien ;

Attendu que la société LPO fait grief à l'arrêt de lui avoir interdit de livrer des lentilles de contact et leurs produits d'entretien, alors, selon le pourvoi, d'une part, que toute réglementation des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intra-communautaire est à considérer comme mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives même si elle affecte aussi bien la vente des produits nationaux que celle des produits importés ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 30 du traité de Rome ; et alors, d'autre part, qu'en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation d'un produit, quelle que soit la qualification de celui-ci en droit national, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si le monopole conféré aux titulaires d'un diplôme déterminé pour sa commercialisation est nécessaire à la protection de la santé ou des consommateurs et si ces deux objectifs ne peuvent pas être atteints par des mesures moins restrictives du commerce intra-communautaire ; qu'en s'abstenant de rechercher si le monopole dont se prévalent les opticiens-lunetiers pour vendre en l'état des lentilles de contact est nécessaire à la protection de la santé et si ce dernier impératif ne peut pas être atteint par des mesures moins restrictives, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions des articles 30 et 36 du traité de Rome ;

Mais attendu que dans un arrêt du 25 mai 1993, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant sur une demande de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation, faite en application de l'article 177 du Traité a dit pour droit :

1°) l'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale qui réserve la vente d'optique-lunetterie et de verres correcteurs aux seuls titulaires du diplôme d'opticien-lunetier ; 2°) l'article 36 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une législation nationale qui interdit la vente des lentilles de contact et des produits connexes dans des établissements commerciaux qui ne sont pas dirigés ou gérés par des personnes remplissant les conditions nécessaires pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier est justifiée pour des raisons tenant à la protection de la santé publique ; qu'en l'état de cette interprétation d'où il résulte que la vente des lentilles de contact ne peut être considérée comme une activité commerciale similaire à toute autre et peut être réservée, dans un objectif de protection de la santé publique, à des établissements commerciaux dirigés ou gérés par des personnes titulaires du diplôme de lunetier-opticien, la cour d'appel, qui a effectué les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société LPO fait grief à l'arrêt, de l'avoir condamnée alors, selon le pourvoi, d'une part, que pour être susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, il suffit qu'un accord, une décision ou une pratique permette d'envisager, sur la base d'éléments objectifs de droit ou de fait, une éventuelle influence directe ou indirecte sur le courant des échanges entre Etats membres ; qu'un système de distribution exclusive en optique lunetterie couvrant, sur l'ensemble du territoire français, toutes les ventes de verres scléro-cornéens, lentilles de contact et produits d'entretien a un effet sensible sur le commerce intra-communautaire, dès lors que l'entente formée entre les syndicats d'opticiens-lunetiers pour assurer l'efficacité du monopole de leurs adhérents contribue au cloisonnement d'un marché de dimension européenne et rend plus difficile l'interpénétration économique voulue par le Traité ; de sorte qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 85 du traité CEE ; et alors, d'autre part, que l'article 86 du Traité est applicable à des entreprises détenant collectivement une position dominante sur un marché donné, même lorsque cette position est imputable non pas à l'activité des entreprises elles-mêmes, mais à la circonstance qu'en raison de dispositions législatives ou réglementaires il ne peut y avoir de concurrence sur ce marché ; qu'en s'abstenant de rechercher si les dispositions de la législation française n'étaient pas génératrices d'un abus de position dominante dans la mesure où toute concurrence est éliminée du fait du monopole conféré aux opticiens-lunetiers pour la vente des lentilles de contact et verres scléro-cornéens, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article 86 du traité CEE ;

Mais attendu que le fait pour des professionnels ou des syndicats professionnels de s'unir pour faire respecter une législation qui leur est favorable ne saurait, en l'absence de griefs spécifiques démontrant l'existence de pratiques discriminatoires, constituer une entente ou un abus de position dominante au sens des articles 85 et 86 du Traité ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société LPO reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée alors, selon le pourvoi, qu'il appartient au demandeur à la mesure d'interdiction d'établir la licéité de son monopole au regard des règles communautaires protégeant la libre concurrence ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu que le défendeur qui invoque, comme en l'espèce, une exception d'illicéité au regard du droit communautaire concernant un monopole institué par la réglementation interne, doit apporter la preuve de cette illicéité ; qu'en relevant que la société LPO ne prouvait pas " en quoi le monopole critiqué constituerait une mesure restrictive d'importation ", la cour d'appel n'a pas violé le texte susvisé ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 91-16797
Date de la décision : 04/01/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives à l'importation - Mesure d'effet équivalent - Interdiction - Exception - Santé publique - Lentilles de contact - Vente.

1° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives à l'importation - Mesure d'effet équivalent - Opticien-lunetier - Vente d'optique-lunetterie et de verres correcteurs - Vente réservée aux titulaires du diplôme d'opticien-lunetier 1° PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin chirurgien - Auxiliaires médicaux - Opticien-lunetier - Vente de lentilles de contact et produits connexes - Vente réservée aux titulaires du diplôme d'opticien-lunetier - Exception à la libre circulation des marchandises - Exception justifiée par l'article 36 du traité de Rome 1° PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin chirurgien - Auxiliaires médicaux - Opticien-lunetier - Vente d'optique-lunetterie et de verres correcteurs - Vente réservée aux titulaires du diplôme d'opticien-lunetier - Monopole contraire à l'article 30 du traité de Rome.

1° La Cour de justice des Communautés européennes ayant dit pour droit, dans un arrêt du 25 mai 1993, que l'article 30 du traité de la Communauté économique européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale qui réserve la vente d'optique-lunetterie et de verres correcteurs aux seuls titulaires du diplôme d'opticien-lunetier mais que l'article 36 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une législation nationale qui interdit la vente des lentilles de contact et des produits connexes dans des établissements commerciaux qui ne sont pas dirigés ou gérés par des personnes remplissant les conditions nécessaires pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier est justifiée pour des raisons tenant à la protection de la santé publique, il en résulte que la vente des lentilles de contact ne peut être considérée comme une activité commerciale similaire à toute autre et peut être réservée, dans un objectif de protection de la santé publique, à des établissements commerciaux dirigés ou gérés par des personnes titulaires du diplôme de lunetier-opticien.

2° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Libre concurrence - Articles 85 et 86 du traité de Rome - Article 85 - paragraphe 1er - Accords visés - Union pour le respect d'une législation (non).

2° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Libre concurrence - Articles 85 et 86 du traité de Rome - Article 86 - Abus de position dominante - Union pour le respect d'une législation (non).

2° Le fait pour des professionnels ou des syndicats professionnels de s'unir pour faire respecter une législation qui leur est favorable ne saurait, en l'absence de griefs spécifiques démontrant l'existence de pratiques discriminatoires, constituer une entente ou un abus de position dominante au sens des articles 85 et 86 du traité de la Communauté économique européenne.

3° PREUVE (règles générales) - Charge - Applications diverses - Communauté économique européenne - Exception d'illicéité d'un monopole institué par la réglementation interne.

3° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Libre concurrence - Atteintes - Monopole institué par la réglementation interne - Illicéité - Preuve - Charge.

3° Le défendeur qui invoque une exception d'illicéité au regard du droit communautaire concernant un monopole institué par la réglementation interne doit apporter la preuve de cette illicéité.


Références :

1° :
2° :
traité de Rome CEE du 25 mars 1957 art. 30, art. 36
traité de Rome CEE du 25 mars 1957 art. 85, art. 86

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 15 avril 1991

A RAPPROCHER : (1°). Chambre commerciale, 1992-06-02, Bulletin 1992, IV, n° 216, p. 151 (sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice des Communautés européennes).


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 04 jan. 1994, pourvoi n°91-16797, Bull. civ. 1994 IV N° 2 p. 1
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1994 IV N° 2 p. 1

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Bézard .
Avocat général : Avocat général : M. de Gouttes.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Léonnet.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Defrénois et Levis, la SCP Lemaitre et Monod, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:91.16797
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