AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le trois janvier mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de Me CHOUCROY et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Maurice, contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7ème chambre, en date du 13 janvier 1993, qui l'a condamné, pour tenue irrégulière du registre de police et détention d'ouvrages d'or démunis de poinçons légaux de la garantie, à diverses amendes et pénalités fiscales ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 593 du Code de procédure pénale, 537, 538, 539, 1649 ter et 1791 du Code général des impôts, 370-B de l'annexe II audit Code, 150 et 151 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale, violation de l'autorité de la chose jugée ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré irrecevable l'exception tirée de la chose jugée invoquée par le prévenu ;
"aux motifs que les poursuites antérieures exercées devant le tribunal correctionnel de Grasse, actuellement pendantes devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence dont le jugement déféré reproduit la présention, concernaient des infractions pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux en écriture de commerce, ventes sans factures ou avec des factures ne mentionnant pas les noms des vraies parties et leur adresse réelle ; qu'outre le fait que l'administration des Impôts n'y était pas partie, elles avaient pour objet le prononcé des peines de droit commun prévues par le Code pénal, la loi du 24 juillet 1966 et l'ordonnance du 1er décembre 1986 et ne pouvaient donc pas faire obstacle à l'action de cette Administration, certes pour partie relative aux mêmes faits, mais ayant pour objet le prononcé de sanctions pécuniaires exclusivement fiscales prévues par le Code général des impôts ;
"alors que, aux termes de l'article 6 du Code de procédure pénale, la chose jugée est une cause d'extinction de l'action publique, en sorte que deux actions pénales ne peuvent, sans violation de la règle "non bis in idem", être exercées, même sous des qualifications différentes, contre un même prévenu pour des faits identiques ; que, dès lors, en l'espèce où la Cour a admis que les faits poursuivis devant elle étaient, pour partie, les mêmes que ceux ayant fait l'objet des poursuites exercées sous une autre qualification contre le prévenu devant une autre juridiction, les juges d'appel ont violé le texte précité en invoquant l'absence de l'administration des Impôts lors de la précédente instance et la nature différente des peines encourues" ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de chose jugée régulièrement présentée par Amsellem, l'arrêt attaqué énonce que la poursuite devant le tribunal correctionnel de Grasse concernait des infractions d'abus de biens sociaux, faux et usage de faux en écriture de commerce, ventes sans factures ou avec des factures contenant des mentions inexactes ;
qu'outre le fait quel'administration des Impôts n'y était pas partie, elle avait pour objet le prononcé des peines de droit commun prévues par le Code pénal, la loi du 24 juillet 1966 et l'ordonnance du 1er décembre 1986 et ne pouvait donc faire obstacle à l'action de cette Administration, certes pour partie relative aux mêmes faits, mais ayant pour objet le prononcé des sanctions pécuniaires exclusivement fiscales prévues par le Code général des impôts ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que les éléments constitutifs des infractions en cause étaient différents, la cour d'appel, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait au contraire l'exacte application ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 537, 538 et 539 du Code général des impôts, de la circulaire n° 207 du 19 juin 1922 et de l'instruction 2 GA-73 du 20 août 1980, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Amsellem coupable de tenue irrégulière du registre de police à raison des écritures omises ;
"aux motifs qu'une instruction ministérielle ne peut abroger les dispositions de nature législative des articles 537 à 539 du Code général des impôts, que, du reste, la note de service du 19 juin 1922, en prévoyant la possibilité d'une dispense de tenue du registre de police prévue par ces articles, soumettait implicitement cette dispense à une autorisation préalable de l'Administration, délivrée après enquête ;
que ces dispositions ont certes étéassouplies par les instructions ministérielles du 13 décembre 1973 et du 6 octobre 1980 qui prévoient notamment une dispense de tenue du registre de police pour les ouvrages usagés reçus pour réparation, si les fabricants et marchands peuvent présenter des documents comptables comportant les énonciations prévues par les articles 537 et suivants du Code général des impôts et la possibilité d'inscriptions globales, selon certaines modalités, pour les ouvrages neufs ; qu'il n'en reste pas moins nécessaire qu'en tout état de cause, les énonciations du registre de police et des documents comptables soient exactes et complètes ; que la défense du prévenu ne produit pas les livres et documents qu'elle invoque ; que la Cour n'est donc pas en état de vérifier si la comptabilité d'Amsellem est aussi complète qu'il le prétend ; que le prévenu croit néanmoins pouvoir le démontrer en rapprochant diverses énonciations des conclusions de première instance de l'administration des Impôts, notamment aux pages 2, 4 et 10, mais que son argumentation est totalement erronée puisque, précisément, comme le relate l'Administration, aux pages 4 et 10 des conclusions précitées, les flux de métal entre les entreprises Diamor et MBC (SARL Thomas) n'ont pu être reconstituées qu'à partir de la comptabilité de la SARL Thomas, ce qui démontre que celle de Diamor
était incomplète ;
qu'à partir d'une telle constatation, les agentsverbalisateurs étaient en droit de considérer qu'Amsellem ne pouvait bénéficier de la dispense de tenue du registre de police ;
"alors, d'une part, que, s'agissant de circulaires et notes de service émanant de l'administration fiscale et destinées à préciser l'application d'un article du Code général des Impôts, ces textes sont applicables à l'Administration qui exerce des poursuites sur le fondement dudit article du Code général des impôts, en sorte qu'en écartant leur application sous prétexte qu'elles ne pouvaient abroger des dispositions législatives, la Cour les a violées ;
"alors, d'autre part, que les articles 537 et suivants du Code général des impôts, s'ils imposent aux fabricants et marchands d'or, d'argent ou de platine de tenir un livre de police sur lequel ils inscrivent leurs transactions, ne prévoient aucunement la tenue d'un tel registre pour chacun des établissements dirigés par les intéressés ; que, dès lors, en l'espèce où il résulte des énonciations des procès-verbaux et des conclusions de l'administration fiscale, comme des constatations de l'arrêt attaqué, que les mouvements de métaux précieux au sein des différents établissements dirigés par le prévenu ont été reconstitués par les agents du fisc tels qu'ils apparaissent dans les livres de police ou substituts légalement autorisés, les juges du fond ont violé les textes précités en refusant d'admettre que, comme le soutenait le prévenu, la régularité de la comptabilité de ce dernier lui permettait de bénéficier de la dispense de tenue du registre de police" ;
Attendu que, pour écarter le moyen de défense du prévenu, qui invoquait, dans ses conclusions aux fins de relaxe du chef de tenue irrégulière du registre de police exigé par l'article 537 du Code général des impôts, une note de service (n 207 du 19 juin 1922) de l'administration des Impôts admettant que les fabricants et marchands d'or puissent être dispensés de la tenue dudit registre à condition d'être en mesure de présenter une comptabilité conforme aux prescriptions du Code de commerce, la juridiction du second degré énonce que le prévenu ne présente aucune comptabilité et retient qu'une instruction ministérielle ne peut abroger les dispositions de nature législative du Code général des impôts ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 236 du Livre des procédures fiscales, 1315 du Code civil, 535, 536, 1791 du Code général des impôts et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, renversement de la charge de la preuve, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Amsellem coupable d'avoir détenu des ouvrages achevés démunis des poinçons légaux ;
"aux motifs que dix ouvrages d'or d'un poids total de 133,8 grammes découverts au magasin et huit ouvrages à l'état achevé, d'un poids total de 166,6 grammes, découverts à l'atelier des établissements Diamor et non inscrits sur le registre de police ne comportaient pas les poinçons exigés ; que le prévenu estime ce fait non punissable au motif qu'il était en droit de conserver pour un bref délai des bijoux non marqués à condition qu'ils ne paraissent pas sur les étals et que l'Administration se contente d'affirmer, sans le démontrer, que ces ouvrages étaient détenus sans être marqués depuis plus de 72 heures ;
que les procès-verbaux font foijusqu'à preuve contraire ; qu'en l'espèce, cette preuve n'est nullement rapportée ; que le prévenu est mal fondé à faire une distinction, ne figurant pas dans la loi, entre "les faits circonstanciés" auxquels s'attacherait la force probante des procès-verbaux, et "les simples affirmations que rien ne permet d'étayer" qui n'en bénéficieraient pas ; que, par conséquent, les énonciations relatives à la durée de détention des ouvrages d'or non poinçonnés font foi ;
"alors que, si l'article L. 238 du Livre des procédures fiscales dispose que les procès-verbaux des agents de l'administration des Impôts font foi jusqu'à preuve contraire, cette force probante ne peut, sans renversement de la charge de la preuve, concerner que la constatation directe des faits constitutifs d'une infraction en matière de contributions indirectes ou des circonstances de nature à l'établir, mais non une pure et simple affirmation contenue dans un procès-verbal, relative à un fait que ses auteurs n'ont pu constater et ne prétendent d'ailleurs pas avoir constaté personnellement ;
que, dès lors, en l'espèce où rien dans le procès-verbal servant de base aux poursuites ne justifie l'affirmation qui y est contenue et selon laquelle les ouvrages démunis de poinçons légaux étaient détenus par le prévenu depuis plus de 72 heures lors de la vérification, les juges du fond ont violé le texte dont ils ont prétendu faire application et renversé la charge de la preuve" ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 537 à 539 du Code général des impôts, 1649 ter C et 370 B de l'annexe II au Code général des impôts, de l'article 1315 du Code civil et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, renversement de la charge de la preuve, violation des droits de la défense, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de tenue irrégulière du registre de police à raison des travaux à façon inscrits, considérés comme faux et non inscrits ;
"aux motifs que le procès-verbal du 24 octobre 1988 constate que les établissements Diamor avaient travaillé à façon 362 430,9 grammes d'or fournis par des clients auxquels ils avaient facturé 7 496 639,39 Francs hors taxes de prestation de service ; que les identités et adresses des donneurs d'ordre relevées par les agents verbalisateurs soit sur le registre de police, soit sur les doubles des factures, se sont avérées fausses ; que le prévenu, sa comptable et son expert-comptable ont été invités à fournir des précisions complémentaires sur les prétendus donneurs d'ordre sans aucun résultat ; que les vérifications complémentaires ont confirmé leur inexistence ; que tous les versements ont été effectués en numéraires ; qu'aucun recoupement n'a été possible avec des entrées de métaux précieux sur le registre de police ; que, dans ces conditions, dès lors qu'aucun élément de fait ne confirme l'existence de travaux effectués à façon pour le compte de tiers, le prévenu est mal fondé à prétendre avoir parfaitement tenu les documents prévus par les articles 1649 ter C et 370 B de l'annexe II au Code général des impôts ; que les agents verbalisateurs ont, à juste titre, considéré comme fictives toutes les écritures portées en sortie sur le livre des ventes faisant office de livre de police relatives à de telles prestations de service, rejeté la qualification de travaux à façon et estimé qu'il s'agissait, en fait, de ventes soumises aux dispositions des articles 537 à 539 dudit Code ;
"alors, d'une part, que, si les articles 1649 ter C et 370 B de l'annexe II au Code général des impôts prévoient que les façonniers doivent tenir un registre spécial indiquant les noms et adresses des donneurs d'ordre, aucun de ces textes n'impose au professionnel de s'assurer personnellement de la véracité des indications qui lui sont fournies à cet égard par ses clients, en sorte qu'en déclarant le prévenu coupable de tenue irrégulière du registre de police à raison des travaux inscrits parce que les noms et adresses des donneurs d'ordre qui y figuraient étaient inexacts, les juges du fond ont violé les textes susvisés" ;
"alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que ce n'était pas au prévenu qu'il incombait de rapporter la preuve de la réalité des travaux à façon figurant sur les livres, mais à l'Administration, partie poursuivante, qu'il appartenait, conformément aux principes généraux qui régissent la charge de la preuve en matière pénale, de prouver la réalité des infractions qu'elle imputait au prévenu en établissant que, comme elle le soutenait, les mentions figurant sur les livres de ce dernier comme constituant des travaux à façon étaient, en réalité, des ventes soumises aux dispositions des articles 537 à 539 du Code général des impôts, en sorte qu'en adoptant la version de l'administration fiscale sur ce point parce que le prévenu ne pouvait pas prouver la réalité des travaux à façon mentionnés par lui sur ses livres, les juges du fond ont renversé la charge de la preuve et violé les droits de la défense" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et sans renverser la charge de la preuve, a caractérisé, en tous leurs éléments constitutifs, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Tacchella conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Culié conseiller rapporteur, MM. Gondre, Hecquard, Joly conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme Mouillard conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;