AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Compagnie nationale Air France, dont le siège est ... (15ème), en cassation d'un arrêt rendu le 10 novembre 1988 par la cour d'appel de Versailles (audience solennelle), au profit de Mme Jacqueline X..., demeurant Résidence Versailles, D 41, ... (Nord), défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 26 octobre 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Waquet, conseiller rapporteur, MM. Guermann, Saintoyant, Ferrieu, Monboisse, Mme Ridé, MM. Merlin, Brissier, Desjardins, conseillers, M. Aragon-Brunet, Mlle Sant, M. Frouin, conseillers référendaires, M. Chambeyron, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Waquet, les observations de Me Cossa, avocat de la Compagnie nationale Air France, de Me Hemery, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Chambeyron, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu que la compagnie Air France a, le 31 décembre 1978, mis fin aux fonctions de sa salariée Mlle X..., en application de l'article 75 de son réglement intérieur, approuvé par le ministre chargé de l'aviation civile et par le ministre des Finances et des Affaires économiques, lequel fixait à cinquante ans l'âge de cessation d'activité du personnel navigant commercial féminin ; que le Conseil d'Etat ayant, le 6 février 1981, à la requête d'une autre salariée de la compagnie, déclaré illégales ces dispositions en tant qu'elles réservaient au personnel masculin la possibilité de prolonger son activité en vol jusqu'à cinquante cinq ans, la compagnie Air France a autorisé Mlle X... à reprendre son poste à compter du 1er janvier 1981 ; que Mlle X... a, cependant, réclamé diverses sommes en compensation des pertes de salaires et d'avantages qu'elle avait subies entre le 1er janvier 1979 et le 31 décembre 1980 ;
Attendu que la Compagnie fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 10 novembre 1988), rendu après cassation, d'avoir accueilli les prétentions de Mme X..., alors, selon les moyens, de première part, que dans son arrêt du 6 février 1981, le Conseil d'Etat s'est borné à déclarer illégale l'existence d'une discrimination entre sexes dans l'article 75 du réglement intérieur d'Air France applicable au personnel navigant commercial, sans préciser dans quel sens cette discrimination devait être résolue, et n'a pas déclaré illégales les dispositions de l'alinéa 1er de ce texte fixant à cinquante ans l'âge normal de départ à la retraite de ce personnel, dont la légalité a été affirmée par un arrêt de la Haute Assemblée en date du 27 mars 1985 ; que, dès lors, en prétendant déduire de la déclaration d'illégalité prononcée par l'arrêt du Conseil d'Etat du 6 février 1981 l'impossibilité pour la compagnie Air France de décider légalement la mise à la retraite de l'intéressée, au seul motif qu'elle avait atteint l'âge de cinquante ans, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'arrêt du 6 février 1981 ; qu'en outre, la cour d'appel a, du même coup, méconnu les limites de l'autorité de la chose jugée acquise par cet arrêt et, par là-même, violé
l'article 1351 du Code civil ;
et que, encore, en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 75 du réglement du personnel navigant commercial de la compagnie Air France, non déclarées illégales par l'arrêt du Conseil d'Etat du 6 février 1981 et, au contraire, déclarées légales par son arrêt du 27 mars 1985 ; alors, de deuxième part, qu'en se livrant, sous couvert d'une interprétation des dispositions de l'article 75 du réglement du personnel navigant commercial de la compagnie Air France, à une interprétation de la déclaration d'illégalité prononcée par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 6 février 1981, la cour d'appel a excédé sa compétence et violé le principe de séparation des pouvoirs consacré par la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ; alors, de troisième part que la compagnie Air France avait fait valoir dans ses conclusions d'appel, que l'alinéa 1er de l'article 75 du réglement du personnel navigant commercial, fixant l'âge normal de cessation de service de ce personnel à cinquante ans, n'était pas concerné par la déclaration d'illégalité résultant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 6 février 1981 et que sa légalité avait, en outre, été expressément consacrée par arrêt de la Haute Assemblée en date du 27 mars 1985 ; que, dès lors, dénature ces conclusions et viole l'article 1134 du Code civil, la cour d'appel qui, affirmant "que les deux alinéas de l'article 75 du réglement intérieur d'Air France ne peuvent être dissociés, contrairement à ce que prétend la compagnie Air France, et forment un tout qui doit être appliqué aux salariés des deux sexes", réfute une dissociation (celle entre les a) et b) du deuxième alinéa) qui n'était pas celle invoquée par la compagnie aérienne qui se prévalait de la dissociation entre l'alinéa 1er, relatif à l'âge normal de cessation de service, et l'alinéa 2ème qui regroupe les a) et b) ;
et que, dumême coup, en laissant sans réponse le moyen tiré par la compagnie Air France de ce que l'alinéa 1er de l'article 75 du réglement du personnel navigant commercial fixant à cinquante ans l'âge normal de cessation de service de ce personnel, non seulement n'avait pas été déclaré illégal par l'arrêt du 6 février 1981, mais encore avait été expressément jugé légal par l'arrêt du 27 mars 1985, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors que la fixation à cinquante ans de l'âge normal de cessation de service du personnel navigant commercial de la compagnie Air France, édictée par l'article 75 du réglement intérieur applicable à ce personnel, constitue une contrainte imposée par l'autorité détentrice du pouvoir réglementaire et justifiée par les exigences particulières de sa fonction, ainsi que l'a affirmé le Conseil d'Etat dans son arrêt du 24 mars 1985 qui a, en outre, souligné que ces dispositions réglementaires étaient étrangères au droit du licenciement ; que, dès lors, la mise à la retaite à l'âge de cinquante ans d'un agent du personnel navigant commercial de la compagnie Air France ne peut constituer une faute engageant la responsabilité de la compagnie nationale ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 75 du réglement en cause, ainsi que celles des articles 1134 et 1147 du Code civil ; et que, en laissant sans réponse le
moyen des conclusions d'appel de la compagnie Air France faisant valoir que les dispositions légales de l'alinéa 1er de l'article 75 du réglement du personnel navigant commercial fixant à cinquante ans l'âge normal de cessation de service avaient la valeur impérative d'un texte réglementaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel relève exactement que l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 6 février 1981 a déclaré illégales, parce qu'entachées de discrimination illicite, les dispositions de l'article 75 du réglement intérieur réservant la possiblité de poursuivre sa carrière à Air France jusqu'à l'âge de cinquante cinq ans au seul personnel masculin, ce dont il résulte que la possibilité de poursuivre sa carrière au delà de l'âge normal de la retraite est ouvert à tout membre de cette catégorie de personnel sans distinction de sexe dans les limites et conditions prévues par les statuts ;
Qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a, sans encourir aucun des griefs du pourvoi, décidé, à bon droit, que Mme X... pouvait prétendre à la réparation du préjudice ayant résulté pour elle de la décision par laquelle Air France avait rejeté, au seul motif de son sexe, sa demande de poursuivre sa carrière jusqu'à cinquante cinq ans ;
D'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Compagnie nationale Air France, envers Mme X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du sept décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize.