AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Joseph Z..., notaire, demeurant à Argentan (Orne), rue Pierre Ozenne, en cassation d'un arrêt rendu le 26 avril 1990 par la cour d'appel de Caen (1re chambre), au profit :
1 / de M. D...,
2 / de Mme D..., son épouse, demeurant ensemble à Lille (Nord), ..., défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 21 octobre 1993, où étaient présents :
M. de Bouillane de Lacoste, président et rapporteur, MM.Fouret, Pinochet, Mmes B..., Y..., M. C..., Mme Marc, conseillers, M. Laurent-Atthalin, conseiller référendaire, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le président de X... de Lacoste, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Z..., de Me Bouthors, avocat des époux D..., les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte reçu le 4 décembre 1981 par M. Z..., notaire, les époux D... ont vendu aux époux A... pour le prix de 865 000 francs un immeuble qui était grevé de privilèges et d'hypothèques ; qu'il était stipulé à l'acte que les frais venant en déduction du prix étaient évalués par les parties à 72 000 francs, de sorte que le prix net de la vente s'établissait à 793 000 francs et que "tous les frais, droits et émoluments" concernant la vente seraient, par dérogation aux dispositions de l'article 1593 du Code civil, supportés par les vendeurs et prélevés sur le prix payé ; qu'en outre, l'office notarial avait reçu mandat d'effectuer la purge des inscriptions d'hypothèque, de consigner le prix de vente et de procéder à la suite de la purge ;
que les notifications à fin depurge ont été effectuées le 24 février 1982 et la requête en ouverture d'ordre présentée le 4 mai 1982 ; que le notaire a consigné le prix le 27 septembre 1982, après ordonnance du juge chargé des ordres du 6 septembre 1982 ; que les époux D... ont fait assigner l'officier public en lui reprochant notamment son refus systématique de procéder à la consignation judiciaire des fonds et de ne pas avoir réclamé aux acquéreurs les intérêts du prix de vente consigné ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. Z... reproche à l'arrêt attaqué (Caen, 26 avril 1990) de l'avoir condamné à payer aux époux D... une indemnité de 44 582 francs égale au montant des intérêts dus par les acquéreurs sur la somme de 793 000 francs entre le 24 février 1982 et le 27 septembre 1982, alors, selon le moyen, d'une part, qu'aucun texte légal n'impose dans le cadre d'une procédure d'ordre l'obligation pour l'acquéreur de consigner, en plus du prix en principal, les intérêts de ce prix au taux légal qui auraient couru entre la notification et la consignation, et ce d'autant plus qu'en l'espèce l'acquéreur n'était plus détenteur des fonds depuis la signature de l'acte de cession amiable, le prix en ayant été payé le même jour aux vendeurs par voie de remise à un séquestre désigné à l'acte selon la commune intention des parties, de sorte qu'a été violé l'article 777 du Code de procédure civile ;
alors, d'autre part, que le notaire qui n'avaitpas le pouvoir de réclamer des intérêts à l'acquéreur, et n'avait pas été mandaté pour le faire, a strictement observé ses obligations en versant à la recette des Finances la somme de 4 519 francs correspondant aux intérêts du montant du prix pendant la consignation de celui-ci à son étude, ainsi que le reconnaissaient les époux D... dans leurs écritures d'appel, somme qui s'est ajoutée au prix principal pour être répartie entre les créanciers, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue contre lui ; et alors, enfin, que la consignation a été validée par ordonnance du 6 septembre 1982 déclarant ladite consignation régulière et valable ;
qu'en l'absence de contestation par l'un des créanciers inscrits ou par la partie venderesse, cette ordonnance qui fixe définitivement la somme à répartir est exécutoire sur-le-champ et n'est susceptible d'aucun recours ; que dès lors, en admettant qu'elle soit remise en cause par le biais d'une action en responsabilité à l'encontre du notaire, la cour d'appel a violé les articles 777 et 778 du Code de procédure civile et l'article 1351 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de l'article 777 du Code de procédure civile qu'en cas de vente de gré à gré l'acquéreur qui, après avoir rempli les formalités de la purge, veut obtenir la libération définitive de tous privilèges et hypothèques, doit opérer la consignation des sommes en capital et intérêts ; que la remise préalable du prix de vente à un séquestre désigné dans l'acte ne dispensait pas l'acquéreur de procéder à cette consignation ; que la cour d'appel, qui a relevé que dans l'acte de vente l'office notarial avait reçu mandat pour ce faire, a constaté que le notaire avait seulement consigné la somme principale, sans s'expliquer sur les raisons de l'omission des intérêts échus au taux légal ; qu'elle a pu en déduire que, venant d'un officier ministériel, une telle omission était constitutive d'une faute ;
qu'ensuite, à bon droit la cour d'appel a retenu que l'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision du juge chargé des ordres, validant la consignation, ne faisait pas obstacle à l'action en responsabilité dirigée contre l'officier public ;
D'où il suit qu'en aucun de ses griefs le moyen n'est fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir dit M. Z... responsable de la clause "frais", alinéa 1er, page 17, de l'acte de vente et de ce que dans cet acte la TVA incombant à M. D... n'a pas été ajoutée à la somme de 72 000 francs et déduite du prix et de l'avoir condamné à payer la somme provisionnelle de 18 000 francs, alors, selon le moyen, d'une part, que la clause litigieuse indiquant que "les frais, droits et émoluments concernant la vente ci-dessus constatée et ceux qui en seront la suite et la conséquence seront supportés par les vendeurs et prélevés sur le prix ci-dessus payé et quittancé", ne concerne que les frais, droits et émoluments résultant de l'acte lui-même, à l'exclusion de toute imposition susceptible d'être mise à la charge de la personne même du vendeur dans le cadre de son activité d'agent immobilier ; qu'en affirmant cependant que cette clause pouvait laisser croire que lesdits "frais, droits et émoluments" pouvaient inclure la TVA, la cour d'appel a méconnu le sens de cette clause, et alors, d'autre part, qu'un notaire ne peut être déclaré responsable du caractère tardif du paiement d'un impôt dû personnellement par le vendeur à défaut de tout lien de causalité entre la rédaction prétendument défectueuse d'un acte de vente, et l'obligation pour le vendeur, exerçant la profession d'agent immobilier, de faire des déclarations relatives à la taxe à la valeur ajoutée, de sorte qu'à été violé l'article 1143 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel n'a pas méconnu le sens de la clause précitée en retenant que sa rédaction était ambiguë et pouvait laisser croire aux époux D... que la TVA allait être également prélevée sur le prix de vente ; qu'elle a pu en déduire que le notaire était responsable du retard avec lequel cette taxe avait été payée et qu'il devait indemniser les époux D... des pénalités qui seraient mises à leur charge, ce qui justifiait le paiement d'une somme de 18 000 francs à titre de dommages-intérêts provisionnels ;
D'où il suit que le moyen n'est pas mieux fondé que le précédent ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z..., envers les époux D..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du premier décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize.