AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° E/89-43.531 formé par M. Michel Y..., demeurant à Vichy (Allier), ...,
II - Sur le pourvoi n° M/89-43.675 formé par la société Conception production de véhicules de sport "CPVS", société à responsabilité limitée, dont le siège est sis à Magny-cours (Nièvre), ZAC Technopole de la Nièvre, en cassation d'un arrêt rendu entre eux le 12 mai 1989 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale),
LA COUR, en l'audience publique du 23 juin 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Zakine, conseiller rapporteur, MM. Guermann, Saintoyant, Ferrieu, Monboisse, Mme Ridé, M. Merlin, conseillers, M. Aragon- Brunet, Mlle Sant, Mme Blohorn-Brenneur, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Zakine, les observations de Me Garaud, avocat de M. Y..., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Conception production véhicules de sport "CPVS", les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° E/89-43.531 et n° M/89-43.675 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé le 17 novembre 1984 par la société X... sports, aux droits de laquelle est venue la société Conception production de véhicules de sport (CPVS), en qualité de directeur technique devant assumer "seul la responsabilité technique des Formules 1" ; que le contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence d'une durée de deux ans pour toute activité en relation directe ou indirecte avec la Formule 1, sauf en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et qu'il était prévu une rémunération, distincte du salaire, au titre de l'obligation de non-concurrence ;
Attendu que M. Y... n'ayant pas accepté les modifications qu'entrainait sur ses attributions la restructuration, décidée par la société en raison des mauvais résultats de ses véhicules lors des compétitions de 1987 et 1988, la société a procédé, après un entretien préalable, à son licenciement par lettre du 12 août 1988 ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° E/89-43.531 de M. Y... :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Y... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, si, comme il est constaté par l'arrêt attaqué, la C.P.V.S. n'a pas outrepassé ses pouvoirs en procédant unilatéralement à une modification substantielle du contrat de travail qui la liait à M. Y..., et a pris, ainsi, l'initiative de la rupture de ce contrat, la cour d'appel ne pouvait légalement justifier, au regard de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, la "rupture intervenue postérieurement", qu'elle déclare "imputable à la C.P.V.S.", par les raisons d'opportunité ayant antérieurement déterminé la modification substantielle du contrat de travail ; alors que, d'autre part, sans dénaturer la lettre du 12 août 1988 en violation de l'article 1134 du Code civil, la cour d'appel ne pouvait l'analyser comme donnant pour motif au licenciement la réorganisation de l'entreprise décidée
par l'employeur, alors que celui-ci y expliquait qu'elle lui avait été imposée par ses sponsors qui, constituant "notre source principale de financement, ont exigé des mesures de notre part et ont clairement conditionné le maintien de leur participation financière à la réorganisation technique de X..." ; et alors que, enfin, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de discuter le motif donné au licenciement par l'employeur, c'est-à-dire la réalité et le sérieux des exigences des sponsors ayant, parait-il, déterminé la réorganisation de l'équipe d'ingénieurs, sans violer les dispositions de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, et l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, dés lors qu'il était soutenu et établi dans des conclusions laissées sans réponse, que, jamais, les sponsors n'avaient exigé une réorganisation nécessitant le licenciement de M. Y... ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties et qui a répondu aux conclusions invoquées, a relevé qu'après une saison 1987 médiocre, M. Y... a conçu divers prototypes soumis à Guy X... ; que parmi ces propositions a été choisie la J.S. 31 qui présentait, aux dires de M. Y..., d'importantes innovations, mais que les espoirs placés dans cette voiture ont été déçus puisqu'aucune des voitures X... n'a pu se qualifier ; que la presse spécialisée s'est fait l'écho de ces contre-performances, et que les critiques étaient nombreuses tant de la part des journalistes professionnels que des pilotes mêmes de l'écurie X... ; qu'elle a, en outre, énoncé que, face à cette situation et à la suite des interventions normales des principaux "sponsors", la direction de C.P.V.S a cherché à restructurer son équipe ; qu'en juin 1988, a été obtenu l'accord de principe du second ingénieur de l'écurie Williams et qu'il s'agissait de mesures destinées à redonner à l'équipe la notoriété qu'elle était en droit de rechercher et à permettre à cette équipe d'obtenir des succès dans le championnat du monde ; qu'ainsi, par une décision motivée, la cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 122-14-3 du Code du travail en décidant que M. Y..., qui n'avait pas accepté la modification de son contrat de travail résultant de cette réorganisation, avait été licencié pour un motif réel et sérieux ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° M/89-43.675 de la société CPVS :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour déclarer nulle la clause de non-concurrence incluse dans le contrat de travail de M. Y..., l'arrêt énonce que M. Y... possédant une qualification certaine et non contestée dans le domaine particulier de la Formule 1, cette clause lui interdit de rechercher la moindre place correspondant à sa spécialité dans le monde entier ;
Attendu, cependant, que l'arrêt a relevé que M. Y..., ingénieur diplomé de l'Ecole technique d'aéronautique et de construction automobile, avait, avant d'être engagé en 1984 par la société X... sports, travaillé depuis 1963 dans diverses entreprises de construction de véhicules automobiles prototypes, ou de rallyes ou de formule 1, ce dont il résultait que la clause de non-concurrence, d'une durée limitée à deux ans, n'empêchait pas le salarié d'exercer, dans le secteur de la construction automobile autre que celle de la formule 1, des activités correspondant à sa formation et à son expérience professionnelle ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré de ses énonciations, les conséquences légales qui en découlaient ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la clause de non- concurrence, l'arrêt rendu le 12 mai 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne M. Y..., envers la société CPVS, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Bourges, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du treize octobre mil neuf cent quatre vingt treize.