La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/1993 | FRANCE | N°92-82130

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 juin 1993, 92-82130


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de Me Z... et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- BERNARD X..., contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, 4ème chambre, en date du 19 m

ars 1992 qui, pour atteintes à la libre désignation des délégués du personnel et à...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de Me Z... et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- BERNARD X..., contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, 4ème chambre, en date du 19 mars 1992 qui, pour atteintes à la libre désignation des délégués du personnel et à l'exercice régulier de leurs fonctions, l'a condamné à 20 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 486 et 592 du Code de procédure pénale, vice de forme ;

"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la Cour était composée lors des débats de M. Depretz, président, MM. Boilevin et Compain, conseillers, que la Cour n'indique pas le nom des magistrats qui ont délibéré et que celle-ci était composée différemment lors du prononcé de la décision, Mme A..., magistrat appelé à siéger par suite d'empêchement de tous autres magistrats affectés à ladite chambre remplaçant M. Compain ;

"alors qu'est irrégulière la composition d'une cour d'appel dès lors qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que les magistrats ayant assisté aux débats, au délibéré et au prononcé de l'arrêt, ne sont pas les mêmes ; qu'en l'espèce, l'arrêt ne précise pas la composition de la cour d'appel lors du délibéré et énonce qu'il a été rendu par une Cour composée différemment ; qu'ainsi, la présomption de régularité posée par l'article 592 du Code de procédure pénale ne pouvait s'appliquer dans ce cas" ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué qu'à l'audience du 20 février 1992, la cour d'appel était composée de M. Depretz, président et de MM. Boilevin et Compain, conseillers ; qu'après les débats, l'affaire a été mise en délibéré ; qu'à l'audience du 19 mars 1992, la juridiction du second degré, composée de M. Dépretz, président, Mme A... et M. Boilevin, conseillers, a rendu sa décision, lue par M. Depretz ;

Attendu qu'en cet état, il n'importe que l'un des conseillers de la chambre n'ait pas été présent à la lecture de l'arrêt, dès lors que M. Depretz pouvait procéder à celle-ci par application de l'article 485 du Code de procédure pénale, dont les dispositions ne sont pas incompatibles avec celles de l'article 592 alinéa 1er du même Code, qui concernent le nombre de juges prescrit pour concourir à la décision, mais non pour en donner lecture ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 423-18 et L. 482-1 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir porté atteinte à la libre désignation des délégués du personnel ;

"aux motifs que, par lettre du 17 novembre 1989, M. B..., cadre salarié de l'entreprise TSF de Villers Saint-Barthélémy, demandait au demandeur, responsable de l'entreprise, d'organiser des élections des délégués du personnel ; qu'André Y... ne réagissait pas immédiatement à cette demande et ne provoquait les élections que dans le courant de l'été 1990 ; que si aucun délai n'est imposé au chef d'entreprise pour provoquer les élections professionnelles, leur tenue doit intervenir dans un laps de temps raisonnable ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que pressé de provoquer les élections des délégués du personnel, le prévenu a mis six mois pour en prendre l'initiative, ce qui ne laisse aucun doute sur ses intentions de les retarder volontairement ;

"alors que le délit d'entrave à la libre désignation des délégués du personnel est une infraction intentionnelle ; que l'employeur doit avoir agi sciemment et volontairement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que le prévenu ayant mis six mois à prendre l'initiative des élections des délégués du personnel, aucun doute n'existe sur ses intentions de les retarder volontairement ; que la cour d'appel ne pouvait déduire de ces seules constatations l'intention délictueuse du prévenu qu'elle a présumée et non point établie ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que, pour déclarer André Y... coupable d'avoir porté atteinte à la libre désignation des délégués du personnel, l'arrêt attaqué relève que celui-ci, chef d'une entreprise occupant habituellement plus de dix salariés, a reçu de l'un d'eux une demande, formée le 17 novembre 1989, l'invitant à faire procéder à l'élection de ces délégués, inexistants jusqu'alors dans l'établissement ; qu'il n'a donné une suite favorable à celle-ci qu'au mois d'avril 1990 après plusieurs injonctions de l'inspecteur du travail ; que la cour d'appel énonce que le délai écoulé entre la demande et l'élection des délégués du personnel ne laisse aucun doute sur les intentions de l'employeur de retarder celle-ci volontairement ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la juridiction du second degré a, sans insuffisance, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, notamment intentionnel, le délit d'entrave dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

Que dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 425-1 à L. 425-3 du Code du travail, L. 482-1 du même Code, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'avoir porté atteinte à l'exercice régulier des fonctions de délégué du personnel ;

"aux motifs que, par décision du 26 juin 1990, le prévenu avait envisagé le licenciement du demandeur ; que, le 3 juillet 1990, l'inspecteur du travail refusait l'autorisation de licenciement, sous le bénéfice de la protection, instituée par l'article L. 425-1 du Code du travail ; que cette décision était confirmée, le 28 décembre 1990, par le ministère du travail ; qu'il ressort clairement des éléments du dossier, parfaitement énumérés par les premiers juges, que, réintégré à la suite du refus d'autorisation de licenciement, Patrick B... a subi d'importantes modifications dans les conditions matérielles de son emploi, ses attributions étant elles aussi sensiblement modifiées ; que le prévenu l'a d'ailleurs reconnu, en déclarant qu'il était d'accord pour dire que Patrick B... avait été mis "au placard" ; qu'il est incontestable que le comportement du demandeur à l'égard de Patrick B... a eu pour but de le sanctionner, au motif implicite qu'il se trouvait à l'origine de la demande d'élections ; que le prévenu ne pouvait ignorer la protection, dont bénéficie le premier salarié demandeur d'élections, aux termes de l'article L. 425-1 alinéa 8 du Code du travail ; qu'il apparaît, d'ailleurs, et cela ne ressort pas du hasard, qu'André Y... avait fixé l'entretien préalable au licenciement, le 17 mai 1990, soit le lendemain de la fin de la période de protection ; que Patrick B..., convoqué le 10 mai 1990, à cette fin, bénéficiait de ladite protection ;

"alors que, d'une part, il résulte sans ambiguïté de l'alinéa 8 de l'article L. 425-1 du Code du travail que le délai de protection de six mois accordé au salarié, non mandaté par une organisation syndicale, qui a, le premier, demandé qu'il soit procédé à l'élection de délégué du personnel dans l'entreprise, ne court qu'à compter de l'envoi à l'employeur d'une lettre recommandée par laquelle une organisation a, la première, demandé ou accepté qu'il soit procédé à cette élection et non à compter de la démarche effectuée par le salarié concerné ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que M. B..., non mandaté par une organisation syndicale, a sollicité l'organisation des élections du personnel le 17 novembre 1989 en application de la disposition susvisée ; que cette requête n'a été reprise par la CFDT que le 30 mai 1990 ; que le 10 mai 1990, date à laquelle M. B... a été convoqué à l'entretien préalable pour le 17 mai 1990, celui-ci ne bénéficiait d'aucune protection ; que, par suite, en vertu du principe de l'interprétation stricte du droit pénal, le salarié ne pouvait invoquer le bénéfice d'une protection spéciale ;

"alors, d'autre part, que les tribunaux répressifs ont le devoir de contrôler la légalité d'un acte administratif réglementaire ou individuel sur la base duquel sont fondées les poursuites pénales ; qu'en l'espèce le demandeur faisait valoir dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel laissées sans réponse que l'obligation qui lui a été imposée, le 21 mai 1990, par l'inspecteur du travail de solliciter l'autorisation de licencier M. B..., comme la décision du 26 juin 1990 de refuser cette mesure, confirmée par le ministre du travail du 28 décembre 1990, sont entachées d'illégalité, puisqu'à la date de la convocation à l'entretien préalable, M. B... ne bénéficiait d'aucune protection instituée par l'article L. 425-1 du Code du travail ; que, par suite, l'absence d'autorisation de licenciement, entachée d'illégalité, ne pouvait servir de fondement à la condamnation prononcée ;

"alors, enfin, que le demandeur faisait également valoir dans ses conclusions d'appel qu'il était reproché à M. B... d'avoir fait pression sur des salariés de l'entreprise afin d'obtenir des informations confidentielles, faits qualifiés de faute lourde par l'employeur ; qu'en attendant la décision de l'inspecteur du travail, Y... a prononcé une mise à pied conservatoire mais que, dès le 29 juin 1990, M. B... a repris le travail et a été affecté à un emploi compatible avec les faits reprochés ; que la décision de refus de licencier M. B... n'a été définitive que le 2 mars 1991, qu'avant cette date, le demandeur n'avait pas l'obligation légale de réintégrer M. B... dans son emploi ; que, par suite, en ne s'expliquant pas sur ce chef pertinent des conclusions du demandeur qui démontrait l'absence de lien entre la mesure ayant affecté les fonctions du salarié et l'activité syndicale dont il se prévalait, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu qu'il résulte des alinéas 8 et 9 de l'article L. 425-1 du Code du travail, que le délai de protection de six mois accordé au salarié, non mandaté par une organisation syndicale, qui a, le premier, demandé la mise en oeuvre d'élections de délégués du personnel, ne court qu'à compter de l'envoi à l'employeur de la lettre recommandée par laquelle une organisation syndicale a, la première, demandé ou accepté qu'il soit procédé aux élections, et non à compter de la demande formée par le salarié ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'entrave, comme ayant imposé des modifications substantielles au contrat de travail du salarié qui avait demandé l'organisation d'élections de délégués du personnel, après la réintégration de celui-ci, consécutive à sa mise à pied, la cour d'appel se prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu que la juridiction du second degré ne pouvait, sans méconnaître le sens et la portée du texte susvisé, décider que la protection de six mois devait courir en l'espèce à compter de la demande formée le 17 novembre 1989 par le salarié pour expirer le 16 mai 1990, soit postérieurement à la convocation de l'intéressé en vue de son licenciement, alors qu'il ne résulte, ni du procès-verbal de l'inspecteur du travail, base de la poursuite, ni des énonciations de l'arrêt attaqué ou de celles du jugement qu'il confirme, qu'une organisation syndicale fût intervenue pour solliciter la mise en oeuvre d'élections de délégués du personnel ;

Attendu, cependant, que la censure n'est pas encourue de ce chef, la peine prononcée et les réparations civiles allouées étant justifiées par la déclaration de culpabilité relative à l'atteinte à la libre désignation des délégués du personnel ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 92-82130
Date de la décision : 08/06/1993
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(sur le 2e moyen) TRAVAIL - Comité d'entreprise - Délit d'entrave - Eléments constitutifs - Elément matériel - Retard volontaire de l'employeur pour l'élection des délégués du personnel inexistant dans une entreprise employant plus de dix salariés.


Références :

Code du travail L423-18 et L482-1

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 19 mars 1992


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 jui. 1993, pourvoi n°92-82130


Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1993:92.82130
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award