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08/06/1993 | FRANCE | N°89-83298

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 juin 1993, 89-83298


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de Me Z... et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LE Y... Jean-Marie, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 29 mars 1989 qui

l'a condamné à 5 000 francs d'amende et à des réparations civiles pour provocat...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de Me Z... et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LE Y... Jean-Marie, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 29 mars 1989 qui l'a condamné à 5 000 francs d'amende et à des réparations civiles pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 24 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1881 et de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que, par l'arrêt attaqué, la Cour a condamné Le Pen à une peine de 5 000 francs d'amende et à des dommages intérêts au profit du MRAP, partie civile, pour s'être rendu coupable du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ;

"aux motifs que dans ses réponses à M. X... du Roy au cours de l'émission "l'heure de vérité" du 14 février 1984, ayant déclaré "il y a une menace grave de voir les deux hégémonies, l'hégémonie soviétique connue, mais aussi l'hégémonie tenant à l'explosion démographique du tiers monde et en particulier du monde islamo-arabe qui actuellement pénètre notre pays, qui progressivement sont en train de le coloniser et je m'honore et le Front National s'honore d'avoir été la première formation depuis 10 ans à essayer d'avertir les Français de ce danger mortel, évidemment beaucoup plus ressenti dans les milieux populaires que dans les milieux bourgeois, je vous l'accorde", le prévenu avait mis l'accent sur le monde "islamo-arabe qui actuellement pénètre dans notre pays" et le "danger mortel" pour les Français de se voir ainsi "coloniser", que de tels propos sont de nature à créer dans l'esprit des Français l'idée qu'ils sont menacés dans leur identité même par la présence sur leur territoire de musulmans -venant du tiers monde- à faire naître envers ce groupe déterminé, à raison de sa religion, des réactions de rejet et à provoquer des actes discriminatoires, voire même de violence" ;

"alors que, d'une part, les propos incriminés ne constituaient pas une provocation, exhortation ou incitation à la discrimination à la violence ou à la haine, mais constituaient seulement le constat d'une situation, et que, d'autre part, les étrangers visés ne constituaient pas un groupe déterminé de personnes, l'emploi de l'expression islamo-arabe étant vague et générique, et que la Cour n'a pu condamner le prévenu en application de l'article 24-5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que par fausse application de ce texte" ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'il appartient à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si dans les propos retenus par la prévention se retrouvent les éléments légaux de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale telle que définie par l'article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que l'association Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) a fait citer devant le tribunal correctionnel Jean-Marie Le Pen sous la prévention de provocation à la discrimination raciale à raison des propos que celui-ci a tenus le 24 février 1984 lors de l'émission télévisée dite "L'heure de vérité" en réponse aux questions de trois journalistes qui l'interrogeaient notamment sur l'immigration ; qu'après avoir relaxé le prévenu pour deux de ses réponses comme ne constituant pas l'infraction reprochée, la cour d'appel l'a condamné pour la troisième exprimée dans les termes suivants : "il y a une menace grave de voir deux hégémonies, l'hégémonie soviétique connue mais aussi hégémonie tenant à l'explosion démographique du tiers monde et en particulier du monde islamo-arabe qui actuellement pénètre dans notre pays, qui progressivement sont en train de le coloniser et je m'honore et le Front National s'honore d'avoir été la première formation depuis dix ans à essayer d'avertir les français de ce danger mortel, évidemment beaucoup plus ressenti dans les milieux populaires que dans les milieux bourgeois, je vous l'accorde ";

Attendu que pour retenir Le Pen dans les liens de la prévention à raison de cette réponse, les juges du second degré relèvent que celui-ci met l'accent sur le "monde islamo-arabe qui actuellement pénètre dans notre pays" et le "danger mortel" pour les français de se voir ainsi "colonisés" ; que de tels propos sont de nature à créer dans l'esprit des français l'idée qu'ils sont menacés dans leur identité même par la présence sur leur térritoire de musulmans venant du tiers monde, à faire naître envers ce groupe déterminé, à raison de sa religion des réactions de rejet et à provoquer des actes discriminatoires voire de violence ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi alors que les expressions reprochées au demandeur ne désignaient aucune personne ou aucun groupe de personnes autre que des populations étrangères indéterminées, n'étaient de nature à inciter le public ni à la haine, ni à la violence, ni à la discrimination raciale et n'avaient pas dépassé les limites du droit à la libre expression sur le phénomène de l'immigration, la cour d'appel a dénaturé les propos incriminés et fait une fausse application de l'article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 ; que le délit prévu par cette disposition n'est donc pas caractérisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

PAR CES MOTIFS ;

CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 1989 en toutes ses dispositions portant condamnations pénales et civiles du chef du délit de provocation à la discrimination raciale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 89-83298
Date de la décision : 08/06/1993
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une Ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Propos dans la limite de la libre expression - Non désignation d'une personne ou groupe de personnes déterminées - Constatations insuffisantes.


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 24 al. 6

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 29 mars 1989


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 jui. 1993, pourvoi n°89-83298


Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1993:89.83298
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