LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Leven-Chaussier, dont le siège social est sis à Paris (2e), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 4 juillet 1991 par la cour d'appel de Paris (1re chambre, section B), au profit :
18/ de M. Noël D..., demeurant à Prades le Lez (Hérault), route de Mende,
28/ de Mme Marie-Louise Y..., demeurant à Montpellier (Hérault), ..., prise en sa qualité d'unique héritière de M. Jean-Pierre Y..., son frère décédé,
38/ de Mme Odette, Marie, Joséphine I...
H..., veuve de M. André E..., demeurant à Paris (2e), ...,
48/ de Mme Solange E..., épouse de M. C..., demeurant à New York (Etats-Unis), 1 West 81 street,
défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 31 mars 1993, où étaient présents :
M. Dutheillet-Lamonthézie, président, M. Mucchielli, conseiller référendaire rapporteur, MM. F..., Z..., A..., G...
B..., M. Dorly, conseillers, M. Tatu, avocat général, Mme Lagardère, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Mucchielli, les observations de Me Choucroy, avocat de la société Leven-Chaussier, de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. D... et Mme Y..., les conclusions de M. Tatu, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Donne acte à la société Leven-Chaussier de ce qu'elle s'est désistée de son pourvoi en tant que dirigé contre Mme E... et Mme C... ; Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 1991), que M. X..., employé de la charge d'agent de change E..., a participé à des opérations illégales de démarchage sur des valeurs étrangères, effectuées par M. J... ; que MM. Y... et D... ont ainsi acquis des actions de sociétés étrangères, mais que ces titres, non négociables, se sont révélés sans valeur ; qu'un arrêt pénal, du 14 mars 1983, a déclaré M. X... coupable du délit de démarchage interdit et l'a condamné à réparer le dommage subi par MM. Y... et D... ; que ceux-ci ont ultérieurement assigné Mme veuve Andrée E... et Mme Solange E... en qualité d'héritières d'André E..., qui dirigeait l'agence au moment des faits, et la société anonyme
Leven-Chaussier sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; que, M. Y... étant décédé, Mme Y... a repris l'instance en cause d'appel ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Leven-Chaussier était responsable des faits commis par M. X..., alors que, d'une part, le fait par le préposé de se rendre complice d'un délit en agissant sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions constituant, ipso-facto, un abus de fonctions déchargeant le commettant de sa responsabilité, la cour d'appel aurait violé l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; alors que, d'autre part, constatant que le délit consistait en des opérations illégales de démarchage sur des valeurs étrangères et que le préposé était plus spécialement chargé du placement des titres à l'étranger, la cour d'appel se serait contredite en jugeant que le préposé avait agi dans le cadre de ses fonctions en se rendant complice des opérations illégales de démarchage ; Mais attendu qu'après avoir énoncé à bon droit que le commettant ne s'exonérait de sa responsabilité que si son préposé avait agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions, l'arrêt retient que M. X..., qui avait présenté M. J... à M. E..., était chargé, au sein de l'agence, du placement des titres français à l'étranger mais participait également au fonctionnement des comptes des clients de M. J... ouverts à la charge E... ; que les valeurs étrangères qui ont fait l'objet du démarchage illicite n'ont pu être acquises que grâce à ces comptes ; que la collaboration de la charge était indispensable à l'activité des démarcheurs, les clients étant mis en confiance par le fait que les acquisitions étaient effectuées par l'intermédiaire d'un agent de change et qu'une réunion des démarcheurs, à laquelle assistait M. X..., a eu lieu dans les locaux de l'agence ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu, hors de toute contradiction et justifiant légalement sa décision, déduire que M. X... ne s'était pas placé hors de ses fonctions ; Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir, confirmant en cela le jugement entrepris, condamné la société Leven-Chaussier à payer les sommes réclamées avec intérêts au taux légal capitalisés à compter du 9 juin 1981, alors que, d'une part, la capitalisation des intérêts ne pouvant intervenir qu'en suite d'une demande en justice et la société n'ayant été assignée que le 15 avril 1988, la cour d'appel aurait violé l'article 1154 du Code civil ; alors que, d'autre part, les premiers juges s'étant fondés sur un arrêt du 10 mars 1988, ultérieurement cassé et ne pouvant avoir autorité de la chose jugée, la cour d'appel, en confirmant le jugement, aurait violé les articles 1154, 1350 et 1351 du Code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des productions, que devant la cour d'appel la société Leven-Chaussier ait critiqué la disposition du jugement, relative au point de départ de la capitalisation des intérêts ; qu'elle ne peut le faire pour la première fois devant la Cour de Cassation ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Leven-Chaussier, envers M. D... et Mme Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par M. le conseiller doyen Michaud, en remplacement de M. le président décédé, en l'audience publique du douze mai mil neuf cent quatre vingt treize.