LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un avril mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller HECQUARD, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- A... Edouard,
- X... Fabio,
- LOUIS Y..., contre l'arrêt de la cour d'appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 8 avril 1992, qui, pour abus de confiance et complicité, abus de biens sociaux, faux et usage de faux en écriture de commerce, les a condamnés chacun à 15 mois d'emprisonnement dont 9 mois avec sursis et 5 000 francs d'amende ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485 et 520 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué n'a pas annulé, pour violation des formes prescrites par la loi, le jugement entrepris qui, en requalifiant la prévention d'escroquerie en contravention de rétention indue de précompte, en relaxant Z... du chef d'escroquerie, en ne déclarant pas la culpabilité de A... et X... de ce chef, et en infligeant toutefois une peine à ces derniers pour la contravention, n'a pas énoncé ou a laissé incertaines les infractions dont les personnes citées ont été déclarées coupables, contrairement aux prescriptions de l'article 485 du Code de procédure pénale" ;
Attendu qu'il ne résulte d'aucune conclusions, ni d'aucune mention de l'arrêt attaqué que les trois prévenus aient présenté devant la cour d'appel, conformément aux dispositions de l'article 599 du Code de procédure pénale, l'exception de nullité du jugement du tribunal correctionnel pour une violation prétendue des formes prescrites par la loi ;
Que, dès lors, le moyen, en ce qu'il se borne à invoquer pour la première fois devant la Cour de Cassation une exception de nullité non soumise à la cour d'appel, est irrecevable par application du texte précité ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425 de la loi du 24 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale, pour insuffisance de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu X... coupable d'abus de biens sociaux ;
"aux motifs que X... a admis les abus de biens sociaux qui lui sont reprochés ;
"alors que la reconnaissance par le prévenu de la matérialité des faits qui lui sont reprochés ne dispense pas le juge répressif de rechercher, lorsque la loi le requiert, si ces agissements ont été commis dans les conditions prévues par les textes qui les répriment, et, en particulier, s'agissant de l'abus de confiance, si les actes litigieux ont été commis de mauvaise foi ; qu'en l'espèce, la constatation de la mauvaise foi du prévenu ne
ressort nullement de la simple constatation matérielle des faits, et ce d'autant plus que ce dernier ne les a pas contestés" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus devant eux, ne saurait être accueilli ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 408 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale pour défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus A... et Z... coupables d'abus de confiance et les a condamnés chacun à la peine de 15 mois d'emprisonnement dont 9 mois avec sursis, ainsi qu'à la peine de 5 000 francs d'amende ;
"aux motifs qu'au mois de décembre 1985, A... a sollicité auprès de la CNRO la résiliation de l'affiliation de la SARL O.TRA ; que cette résiliation a pris effet au 1er janvier 1986, mais que la direction de la société a maintenu les prélèvements mensuels sur les salaires bruts de ses ouvriers, continuant ainsi à leur faire croire qu'ils étaient toujours couverts par cet organisme ; que, par ce procédé, l'entreprise a pu se procurer un fond de trésorerie chiffré à 303 533,14 francs ; que A... et Z..., gérant et comptable de la société O.TRA, en détournant des sommes prélevées par eux sur les salaires de leurs employés, qu'ils auraient dû verser à une caisse de retraite pour constituer à leur profit une retraite complémentaire, en vertu du mandat qu'ils détenaient les obligeant à prélever les cotisations de retraite complémentaire sur la paie de leurs salariés et de les reverser à l'organisme de retraite, se sont rendus coupables d'abus de confiance pour le premier et de complicité de ce délit pour le second ;
"alors que les détournements ou dissipations par l'employeur portant sur des sommes précomptées sur les salaires n'entrent pas dans les prévisions de l'article 408 du Code pénal" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le délit d'abus de confiance n'est constitué que s'il est constaté que les deniers, billets ou quittances ont été remis au prévenu en exécution d'un des contrats énumérés à l'article 408 du Code pénal et légalement établis ;
Attendu que, pour retenir à la charge d'Edouard A... et de Gérard Z..., respectivement gérant et comptable de la société O.TRA, les délits d'abus de confiance et complicité, l'arrêt attaqué énonce que, pour se procurer de la trésorerie, ils ont prélevé sur les salaires des ouvriers de la société une somme globale de 303 533 francs au titre des cotisations de retraite complémentaire ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société en cause n'était investie d'aucun mandat ni d'une caisse de retraite ni des salariés, et sans rechercher si les prévenus avaient pris la fausse
qualité de mandataires, faits susceptibles de caractériser le délit d'escroquerie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
D'où il suit que le moyen doit être accueilli ;
Et attendu qu'en raison de l'indivisibilité entre la déclaration de culpabilité et la peine, pour faux et usage de faux en écriture de commerce prononcée contre Gérard Z..., cette cassation doit s'étendre à toutes les dispositions de l'arrêt concernant ces deux demandeurs ;
Par ces motifs ;
Sur le pourvoi de Fabio X... ;
REJETTE le pourvoi ;
Sur les pourvois d'Edouard A... et de Gérard Z... ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions les concernant, l'arrêt de la cour d'appel de Metz, en date du 8 avril 1992, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;