AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Théo X..., demeurant à Rixheim (Haut-Rhin), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 10 juillet 1990 par la cour d'appel de Besançon (2e chambre), au profit de la Banque populaire de Franche Comté, dont le siège social est à Besançon (Doubs), 1, place de la Première Armée française,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 19 janvier 1993, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Hatoux, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de Me Parmentier, avocat de M. X..., de Me Brouchot, avocat de la Banque populaire de Franche Comté, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens, pris en leurs diverses branches et réunis :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt déféré (Besançon 10 juillet 1990), que M. X... a vendu un véhicule à une personne dont il n'a pas vérifié l'identité et qui lui a remis un chèque de 71 500 francs, lequel s'est avéré avoir été volé ; que l'acheteur, utilisant la carte grise qui n'avait pas été barrée, a revendu le véhicule à M. Y..., garagiste, et client de la Banque Populaire de Franche-Comté (la BPFC), qui lui a remis un chèque barré de 55 000 francs et un document dans lequel il l'autorisait à percevoir en espèces le montant de ce chèque ; qu'il a été effectivement payé par la BPFC à laquelle il avait présenté le chèque ;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir débouté M. X... de sa demande de dommages et intérêts contre la banque, alors, selon le pourvoi, de première part, que tous ceux qui ont subi un préjudice en raison de l'inobservation, par le banquier, de son obligation de ne payer le chèque barré qu'à un banquier, un centre de chèques postaux ou à l'un de ses clients, sont en droit d'invoquer les dispositions de l'article 38 du décret-loi du 30 octobre 1935, qui ont pour but de permettre la découverte du porteur de mauvaise foi ; que la circonstance que le chèque présenté au paiement n'était pas le chèque objet du vol ne faisait donc nullement obstacle à l'action en responsabilité exercée contre le banquier ; qu'en décidant au contraire que M. X... était sans qualité pour se prévaloir de l'infraction commise par la banque à ses obligations, la cour d'appel a violé l'article 38 du décret-loi du 30 octobre 1935 ; alors, de seconde part, que l'article 38 du décret-loi du 30 octobre 1935 fait interdiction au banquier de payer un chèque à barrement général à une autre personne qu'un banquier, au chef du bureau de chèques postaux ou un client du tiré ; que pour écarter la responsabilité de la banque, la cour d'appel a relevé qu'une pièce officielle et un document du garage auquel le véhicule avait été revendu donnaient à l'opération une apparence de régularité, qui
justifiait la remise des fonds ; qu'en statuant de la sorte, quand le présentateur du chèque n'était nullement le client de la banque, la cour d'appel a violé l'article 38 du décret-loi du 30 octobre 1935 ; alors, de troisième part, qu'aucune disposition légale ne fait obligation au bénéficiaire d'un chèque de vérifier l'identité du tireur, le porteur d'un chèque volé dont la mauvaise foi ou la faute lourde ne sont pas démontrées disposant au contraire contre le tiré d'une action en paiement du chèque ; qu'en décidant dès lors qu'il appartenait à M. X... " de se prémunir contre les risques que représentait la remise d'un chèque d'un montant relativement important par une personne qu'il ne connaissait pas", pour en déduire que seule l'imprudence commise par M. X... avait été à l'origine de son préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, de quatrième part, que le juge ne peut fonder sa décision sur un fait qui n'est pas dans le débat ; qu'en relevant que M. X... n'avait pas effectué la modification de la carte grise prescrite par l'article R 112 du Code de circulation routière, quand ce fait, qui n'avait pas été allégué par la Banque Populaire de Franche-Comté, n'était pas dans le débat, la cour d'appel a violé l'article 7 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, de cinquième part, que, pour statuer sur la responsabilité de la Banque Populaire de Franche-Comté, il incombait à la cour d'appel de rechercher si, en payant le chèque litigieux à une autre personne qu'un de ses clients, la banque n'avait pas permis le succès de l'opération délictueuse ayant consisté, en un premier temps, à acheter le véhicule au moyen d'un chèque volé et, en un second temps, à se faire payer le montant du chèque correspondant à la revente du véhicule ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné une base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, pour retenir "qu'à supposer que la BPFC n'ait pas respecté strictement les dispositions de l'article 38 du Décret-loi du 30 octobre 1935, X... ne démontre pas que ce fait est en relation nécessaire et directe avec le préjudice qu'il a subi "et que le fait générateur de ce préjudice" trouve sa cause directe dans les imprudences de X... lui-même", l'arrêt relève "qu'il appartenait à l'origine à X... de s'assurer de l'identité de son acquéreur et de se prémunir contre les risques que représentait la remise d'un chèque d'un montant relativement important par une personne qu'il ne connaissait pas, qu'à cet égard force est de constater que X... ne conteste pas qu'aucune précaution de cette nature n'a été prise" ; que par ce seul motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X..., envers la Banque populaire de Franche Comté, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf mars mil neuf cent quatre vingt treize.