REJET du pourvoi formé par :
- X... Bruno,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, en date du 28 novembre 1991, qui, pour désertion, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 116-4, L. 145, L. 147 et R. 227-2 du Code du service national, 398 et 399 du Code de justice militaire, du décret du 22 décembre 1789, de la loi des 16 et 24 août 1790, de la loi des 7 et 14 octobre 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de l'ordre d'affectation du prévenu ;
" aux motifs que, si les juges répressifs doivent s'assurer de la conformité d'un acte administratif individuel avec la loi, cette obligation ne vaut que lorsque cet acte administratif est assorti, en cas de non-respect, de la sanction pénale fondant les poursuites, alors que le prévenu est poursuivi sur le fondement des articles 398 et 399 du Code du service national sur la désertion et qu'en l'espèce, l'application du texte fondant les poursuites pénales n'est pas commandée par le non-respect de l'acte administratif dont la régularité est contestée ;
" alors, d'une part, que l'exception d'irrégularité de l'affectation soulevée par un prévenu de désertion admis au statut des objecteurs de conscience échappe à la connaissance des juridictions pénales de droit commun et des juridictions militaires qui doivent surseoir à statuer jusqu'à la décision de l'autorité compétente ; qu'en rejetant l'exception de nullité de son affectation soulevée par le prévenu, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;
" alors, d'autre part, et subsidiairement que, à supposer que les juridictions pénales de droit commun aient, en ce qui concerne les objecteurs de conscience, compétence pour statuer sur l'irrégularité de l'acte d'affectation, le délit de désertion n'est constitué que si la personne poursuivie a été régulièrement incorporée et affectée à un corps ou à un détachement, c'est-à-dire que son immatriculation sur les registres du corps d'affectation a été régulièrement ordonnée ; que seule peut procéder à une incorporation régulière l'autorité qui a été investie de ce pouvoir ou celle qui est bénéficiaire d'une délégation régulièrement publiée ; que, s'agissant des objecteurs de conscience, c'est au ministre chargé des Affaires sociales qu'il appartient d'affecter les recrues dans les administrations de l'Etat ou des collectivités locales ; qu'en l'espèce, il est constant que l'ordre d'affectation du prévenu, en date du 30 décembre 1987, portait la signature d'une dame Y... qui, n'ayant reçu du ministre ni délégation de pouvoir ni délégation de signature, était radicalement incompétente pour signer l'ordre d'affectation ; que, dès lors, cet acte illégal est à la source d'une incorporation irrégulière du prévenu qui, faute d'avoir été valablement incorporé et affecté à la division de l'Office national des forêts de Remiremont, ne s'est pas rendu coupable de désertion pour n'avoir pas rejoint ce corps après une permission ; que la déclaration de culpabilité est illégale " ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Bruno X..., admis à satisfaire aux obligations du service national sous le régime de l'objection de conscience et mis à la disposition du ministère des Affaires sociales, a été affecté le 30 décembre 1987 à l'Office national des forêts de Remiremont et incorporé le 4 janvier 1988 ; qu'à la suite d'une permission qui s'achevait normalement le 30 janvier 1989 il n'a pas rejoint son lieu de travail et d'hébergement ;
Attendu qu'en cet état, c'est sans encourir les griefs allégués que la cour d'appel a rejeté l'exception de nullité de l'ordre d'affectation du prévenu ;
Qu'en effet, l'illégalité de l'acte d'affectation ne saurait avoir pour conséquence de rendre irrégulière l'incorporation, et d'ôter aux faits de désertion leur caractère délictueux ;
D'où il suit que le moyen doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 147 du Code du service national, 398 et 399 du Code de justice militaire, 6.3 a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 34 et 37 de la Constitution, 4 du Code pénal, ensemble violation du principe de la légalité des délits et des peines :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de son affectation et de son incorporation soulevée par le prévenu, l'a déclaré coupable de désertion et l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis ;
" aux motifs que la validité de l'acte administratif ne doit être examinée que si son non-respect est assorti de sanctions pénales fondant les poursuites ; que le prévenu est poursuivi sur le fondement des articles 398 et 399 du Code du service national (sic) sur la désertion et qu'en l'espèce, l'application du texte fondant les poursuites pénales n'est pas commandée par le non-respect de l'acte administratif dont la régularité est contestée ;
" alors, d'une part, que nul délit ne peut être puni de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'il fût commis ; que l'article 147 du Code du service national qui prévoit la désertion des objecteurs de conscience porte que ce délit est passible des peines édictées par les articles 378 à 393 du Code de justice militaire ; que ces textes ne prévoyant aucune peine contre les objecteurs de conscience considérés comme déserteurs, la peine de 6 mois d'emprisonnement prononcée contre le prévenu est illégale ;
" alors, d'autre part, qu'aucune disposition pénale ne prévoit que l'objecteur de conscience considéré comme déserteur sera sanctionné par les peines édictées par les articles 398 et 399 du Code de justice militaire ; que, dès lors, la poursuite engagée contre le prévenu et la sanction prononcée contre lui sur le fondement de ces textes sont illégales " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Bruno X... n'a pas rejoint son lieu d'incorporation à l'issue d'une permission ;
Que ces constatations caractérisent le délit de désertion prévu pour les objecteurs de conscience par les dispositions combinées des articles L. 116-4 et L. 147 du Code du service national, et réprimé par l'article 399 du Code de justice militaire, tel qu'il résulte de la loi du 21 juillet 1982 ;
Qu'ainsi le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 459, alinéa 3, 593 du Code de procédure pénale, 398 et 399 du Code de justice militaire, 9 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu, objecteur de conscience, du chef de désertion ;
" alors, d'une part, que l'article L. 116-6 du Code du service national, qui sert de fondement à la décision attaquée, ne donne pas de base légale à la déclaration de culpabilité ; qu'en effet, ce texte, qui prévoit que la durée du service actif des objecteurs de conscience est de 24 mois, soit le double de la durée du service militaire, méconnaît les dispositions combinées des articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en instituant, sur la durée du service national, une discrimination fondée exclusivement sur la liberté de conscience, d'opinion et d'expression ;
" alors, d'autre part, que la durée du service imposée aux objecteurs de conscience, qui est le double de celle imposée aux appelés ayant opté pour le service actif de défense, ne se justifie par aucun motif objectif et raisonnable, ni par aucune nécessité démocratique ; qu'ainsi l'ordre de route délivré au prévenu est entaché d'illégalité et que le délit de désertion reproché au prévenu n'est pas constitué " ;
Attendu que, pour déclarer Bruno X... coupable de désertion, la cour d'appel, après avoir constaté, par motifs propres ou adoptés, que l'article 4.3 b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales abandonnait à la législation interne la réglementation de l'objection de conscience, relève que le prévenu, bénéficiant du statut d'objecteur de conscience, n'a pas rejoint son lieu d'incorporation à l'issue d'une permission ;
Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen ; qu'en effet il résulte, d'une part, de l'article 9.2 de la Convention précitée que la liberté de manifester ses convictions peut faire l'objet de restrictions prévues par la loi, constituant des mesures nécessaires dans une société démocratique à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; que, d'autre part, l'article 10.2 de la même Convention prévoit que l'exercice de la liberté d'opinion comporte des devoirs et peut être soumis à certaines conditions prévues par la loi, et qui constituent dans une société démocratique des mesures nécessaires notamment à la sécurité nationale ; qu'enfin de la combinaison des articles 4.3 b et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce dernier article faisant référence aux libertés visées par les articles 9 et 10, ne se déduit aucune interdiction d'imposer aux objecteurs de conscience un service de substitution dont la durée excède celle du service militaire obligatoire ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.