LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société civile professionnelle Cohen, avoués associés près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dont le siège est 7 bis, rue Mignet, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône),
en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1990 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), au profit :
1°/ de M. Bruno D. et autre,
défendeurs à la cassation ; M. Escoffier a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ; La SCP Cohen, demanderesse au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; M. Escoffier, demandeur au pourvoi incident, invoque, à l'appui de son recours, le même moyen unique de cassation ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 octobre 1992, où étaient présents :
M. de Bouillane de Lacoste, président, M. Viennois, conseiller rapporteur, M. Fouret, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Viennois, les observations de la SCP Coutard et Mayer, avocat de la SCP Cohen, de la SCP Célice et Blancpain, avocat de M. D., de la SCP Peignot et Garreau, avocat de M. Escoffier, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société civile professionnelle Cohen et le moyen unique du pourvoi incident de M. Escoffier, qui sont identiques :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 2 avril 1990), que, par jugement du 2 février 1983, le tribunal de grande instance de Nice a rejeté la demande en divorce présentée par Mme T. et, accueillant la demande reconventionnelle de son mari, M. D., représenté par M. Escoffier, avocat, a prononcé le divorce aux torts exclusifs de la femme ; que, sur l'appel de Mme T., M. D. a été représenté devant la cour d'appel par la société civile professionnelle Cohen, avoués associés, et assisté par M. Escoffier ; que la SCP Cohen a fait signifier, le 20 juillet 1983, des conclusions de confirmation du jugement et que Mme T. a signifié les siennes le 30 décembre suivant ;
que M. Escoffier a soumis ses propres conclusions à l'approbation de son client le 17 avril 1984 et que ces écritures n'ont été signifiés que le 2 mai 1984 ; qu'entre temps, la clôture de la procédure était intervenue par ordonnance du 25 avril 1984 ; que sa révocation a été refusée tant par le conseiller de la mise en état que par la cour d'appel, saisie d'un recours contre la décision de ce magistrat ; que, par arrêt du 21 juin 1984, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a prononcé le divorce des époux D.-T. à leurs torts partagés, fixé la contribution mensuelle pour l'entretien et l'éducation des enfants à 1 800 francs par enfant et condamné M. D. à payer une prestation compensatoire mensuelle de 2 000 francs à son épouse ; que M. D. a assigné en responsabilité professionnelle M. Escoffier et la SCP Cohen, en faisant valoir que ceux-ci n'avaient pas respecté les délais impartis, ne l'avaient pas informé de l'urgence qu'il y avait à répondre à la partie adverse et n'avaient pas répondu à une communication tardive de son épouse ; Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré la SCP Cohen et M. Escoffier responsables du préjudice subi par M. D. et de les avoir condamnés in solidum à lui payer la somme de 80 000 francs à titre de dommages-intérêts pour la perte d'une chance d'obtenir une décision judiciaire favorable alors que, selon le moyen, la perte d'une chance, pour être indemnisée, doit présenter un caractère réel et sérieux ; qu'en cas de faute imputée à un avocat ou à un avoué, il appartient au juge du fond de rechercher si, et dans quelle mesure, la faute invoquée a été de nature à lui faire perdre une chance d'aboutir à une décision plus favorable que celle qui a été rendue, et d'apprécier le degré de probabilité de la réalisation de cette chance pour déterminer le préjudice subi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, appelée à statuer sur les conséquences de la faute retenue à l'encontre d'un avocat et d'un avoué à raison du dépôt tardif de conclusions, en déclarant qu'il n'y a lieu de se prononcer "sur ce qu'il était permis d'espérer sur l'issue finale du procès", et sur le "caractère partiel ou total" de la perte de chance subie, cette dernière analyse étant qualifiée d'"illusoire", pour finalement fixer arbitrairement à 80 000 francs le dommage subi au titre de la perte de chance, a méconnu la portée de ses obligations et violé les articles 1147 et 1984 et suivants du Code civil ; Mais attendu que la cour d'appel énonce que "l'existence d'écritures plus développées que celles de pure forme déposées en juillet 1983 et constituant l'ensemble des moyens et des arguments" de M. D. "eût été de nature à mettre les parties sur un strict pied d'égalité quant à l'appréciation des mérites de leurs demandes respectives" et que "l'absence de conclusions utiles a privé M. D. d'une possibilité d'obtenir une décision plus favorable à ses intérêts" ; qu'en l'état de ces énonciations et abstraction faite des motifs
justement critiqués par le demandeur,
lesquels sont surabondants, la cour d'appel a fait ressortir l'existence de la perte de chance qu'avait entraîné pour M. D. l'omission fautive de son avoué et de son avocat et a souverainement fixé le montant du préjudice subi ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident