LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Coopérative d'habitations à loyer modéré du département de l'Aude, dont le siège social est ... (Aude), agissant poursuites et diligences de son président du conseil d'administration, M. André X..., demeurant ès qualités audit siège,
en cassation d'un arrêt rendu le 4 janvier 1989 par la cour d'appel de Montpellier (1re Chambre B), au profit :
1°) de la société anonyme Polystrat, dont le siège social est ..., actuellement en règlement judiciaire,
2°) de M. B..., domicilié ... (Hauts-de-Seine), substitué par M. Jean-Louis Y..., pris en qualité de syndic de la liquidation de la société anonyme Polystrat,
3°) de M. A..., domicilié ... (9e), pris en qualité de syndic du règlement judiciaire de la société anonyme Polystrat,
4°) de la compagnie Eagle star, dont le siège social est ... (2e),
défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 17 juin 1992, où étaient présents :
M. de Bouillane de Lacoste, président, M. Fouret, conseiller rapporteur, MM. Viennois, Kuhnmunch, Pinochet, Mmes Lescure, Delaroche, conseillers, Mme Z..., M. Charruault, conseillers référendaires, M. Gaunet, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Fouret, les observations de la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat de la société Coopérative d'habitations à loyer modéré du département de l'Aude, de Me Copper-Royer, avocat de la compagnie Eagle star, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le moyen de pur droit relevé dans les conditions prévues aux articles 620 et 1015 du nouveau Code de procédure civile :
Vu l'article 2251 du Code civil ; Attendu que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure ;
Attendu qu'en 1960, la société coopérative d'habitations à loyer modéré du département de l'Aude a chargé la société Polystrat de remédier aux malfaçons apparues dans la construction, qu'elle avait fait réaliser par une autre entreprise, d'un ensemble de pavillons d'habitation ; que les travaux ont duré jusqu'en juillet 1967, date pouvant être retenue, en l'absence de tout procès-verbal de réception, comme point de départ de la garantie décennale ; que, de nouveaux désordres s'étant manifestés dès 1968 et ayant persisté en dépit de plusieurs interventions de la société Polystrat, la société coopérative a, le 25 avril 1977, assigné cet entrepreneur et les syndics à son règlement judiciaire, ainsi que la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), qui lui avait été désignée comme l'assureur de responsabilité de la société Polystrat pour les travaux litigieux ; que, le 3 février 1981, au vu des renseignements contraires qui lui ont été fournis en cours d'instance, elle a appelé dans la cause la compagnie Eagle star, auprès de laquelle la société Polystrat était précédemment assurée pour sa responsabilité professionnelle ; que l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 janvier 1989) a dit cette dernière société, déclarée entre-temps en état de liquidation des biens, responsable des nouveaux désordres, mis hors de cause la SMABTP et jugé irrecevable, comme prescrite, l'action directe de la société coopérative contre la compagnie Eagle star ; Attendu que, pour déclarer irrecevable l'action directe en garantie exercée le 3 février 1981 contre la compagnie Eagle star par la société coopérative, l'arrêt attaqué énonce que cette action, qui se prescrit dans le même délai que l'action en responsabilité contre l'assuré, est prescrite dès lors que le délai de la garantie décennale était expiré depuis le 20 juillet 1977 ; Attendu, cependant, que la société coopérative avait fait valoir que la société Polystrat lui avait indiqué qu'elle était assurée pour sa responsabilité professionnelle par la SMABTP et que c'est seulement après le dépôt du rapport d'expertise, intervenu le 15 janvier 1980, que cet assureur, pourtant présent dans la procédure, a fait connaître qu'au moment de la réalisation des travaux litigieux, son contrat d'assurance n'avait pas encore pris effet ; qu'il s'en déduisait que l'ignorance, par la société coopérative, du véritable assureur de responsabilité de la société Polystrat, pour les travaux litigieux, la mettait dans l'impossibilité d'agir contre cet assureur, de sorte que la prescription n'avait pu courir au profit de celui-ci qu'à compter du jour où la victime des désordres avait connu l'existence du contrat d'assurance souscrit auprès de lui ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action directe en garantie de la société coopérative contre la compagnie Eagle star, l'arrêt rendu le 4 janvier 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ; Condamne les défendeurs, envers la société Coopérative d'habitations à loyer modéré du département de l'Aude, aux dépens liquidés à la somme de trois cent soixante dix huit francs, soixante seize centimes, et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Montpellier, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du sept octobre mil neuf cent quatre vingt douze.