AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société à responsabilité limitée Force Métal, dont le siège social est ..., BP 2 à Pierre-Bénite (Rhône),
en cassation d'un arrêt rendu le 15 janvier 1991 par la cour d'appel de Lyon (5e chambre sociale), au profit de M. Pierre Y..., demeurant Villa Ferigoulo, route de Toulon à la Ciotat (Bouches-du-Rhône),
défendeur à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juin 1992, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Renard-Payen, conseiller rapporteur, M. Carmet, conseiller, Mmes Sant, Marie, conseillers référendaires, M. Lesec, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Renard-Payen, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la société Force Métal, les conclusions de M. Lesec, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 15 janvier 1991) que M. Y..., embauché en qualité de directeur commercial par la société Service France le 27 octobre 1986, a été licencié pour faute grave au mois de février 1988 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le licenciement du salarié ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse, alors que la cour d'appel ne pouvait, pour apprécier le motif pris de l'insuffisance de résultat et par adoption des motifs des premiers juges, se contenter de relever que si l'insuffisance de résultat était certaine pour le mois de janvier 1988, le mois de décembre était par contre important, sans répondre, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, aux conclusions de l'employeur qui soulignait, productions à l'appui, la chute manifeste des résultats obtenus depuis le mois d'avril 1987, alors surtout que si, à elle seule, l'insuffisance professionnelle ne saurait être constitutive de faute grave, la chute des résultats obtenus par un commercial, concomitante à la création de sa propre entreprise, ne fût-elle pas concurrente de celle de son employeur, peut témoigner d'un désintérêt du salarié pour son emploi de nature à caractériser un comportement déloyal susceptible de nuire à l'entreprise et de justifier son licenciement immédiat ; qu'en se contentant, pour écarter le motif pris de déloyauté, de relever que la société créée par le salarié n'était pas concurrente de celle de son employeur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-6-8 et 9 du
Code du travail, alors, à tout le moins, que la cour d'appel ne pouvait, en violation de l'article L. 122-14-5 du Code du travail, condamner la société à payer à son ancien salarié licencié selon ses propres constatations moins de deux ans après son embauche, des dommages et intérêts pour licenciement abusif sans
constater l'existence d'un préjudice au demeurant non justifié par
le salarié ; que le salarié s'étant seulement prévalu de la perte de trois mois de salaire, la cour d'appel qui a constaté que le salarié percevait un salaire mensuel de 15 900 francs environ et a néanmoins condamné la société au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 100 000 francs, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient, en violation de l'article L. 122-14-6 du Code du travail, alors, en toute hypothèse, que la cour d'appel ne pouvait, sans donner de motif à sa décision, déduire de la seule absence de gravité des faits invoqués l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la parties dans le détail de leur argumentation, a relevé que l'insuffisance de résultats reprochée au salarié n'était certaine que pour le mois de janvier 1988 ; que, répondant aux conclusions, elle a pu juger que la faute grave n'était pas caractérisée et a décidé, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, par une décision motivée, que le licenciement du salarié ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a souverainement apprécié l'étendue du préjudice subi par le salarié ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer au salarié une somme à titre de rappel de commissions alors qu'à l'appui de son affirmation selon laquelle la lettre délivrée par M. X..., l'ancien gérant de la société, à M. Y... ne serait qu'un document de complaisance destiné à lui faciliter la location d'un logement, la société versait aux débats une lettre du 28 avril 1988 par laquelle la société d'administration de biens
l'informait que M. Y..., qui lui avait remis l'original de la lettre, était venu la réclamer le même jour ; que le fait que M. Y... n'ait pas jugé utile de conserver l'original de ce document joint au fait qu'il n'avait jamais reçu d'application, démontrait qu'il ne reflétait pas la véritable intention des parties ; qu'en s'abstenant de manifester avoir pris en considération un document déterminant sur l'issue du litige, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; qu'a derechef violé ledit article la cour d'appel qui a laissé sans réponse le moyen péremptoire par lequel la société faisait valoir que les conditions de rémunération effectives étaient confirmées par une lettre du 6 novembre 1986 émanant de la compagnie Fiduciaire Lyonnaise versée aux débats ;
Mais attendu que le moyen, qui ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation des éléments de preuve par le juge du fond, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
! Condamne la société Force Métal, envers M. Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et
prononcé par M. le président en son audience publique du neuf juillet mil neuf cent quatre vingt douze.