LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-quatre juin mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CARLIOZ, les observations de Me CHOUCROY et de Me ODENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ; Statuant sur les pourvois formés par :
X... André, K
D... Véronique, épouse Z...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AGEN, chambre correctionnelle, en date du 21 novembre 1991, qui, pour homicide involontaire, les a condamnés, le premier, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende, la seconde, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 francs d'amende, et a prononcé sur les réparations civiles ; d Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Sur le pourvoi de Véronique D... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ; Sur le pourvoi d'André Y... :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 319 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'homicide involontaire et l'a condamné à verser des dommages et intérêts aux parties civiles ; "aux motifs que l'enquête a établi que depuis des années, la clinique dont le docteur Y... était le fondateur et le président-directeur général, hospitalisait des malades pour le cas desquels celle-ci était dépourvue de qualification ; que notamment des enfants y étaient souvent hospitalisés dans des cas qui ne ressortaient ni de la chirurgie, ni de l'obstétrique, seules habilitations obtenues ; que les quatre lits d'observation chirurgicale sont invoqués, pour expliquer les anomalies de certaines admissions ; que l'établissement d'une telle pratique, contraire à l'habilitation normale de la clinique, a certainement conduit le docteur A..., anesthésiste de la clinique, à commettre la faute, retenue à son encontre, d'avoir autorisé l'admission d'un très jeune enfant, dont le cas ne présentait aucune indication d'ordre chirurgical ou obstétrique ; qu'en instaurant habituellement, ou tout au moins assez fréquemment,
de telles licences avec l'agrément officiel donné à l'établissement, le docteur Y... ne pouvait ignorer qu'un jour ou l'autre un enfant admis en contravention avec le défaut d'agrément en pédiatrie pouvait nécessiter des actes de réanimation que l'équipement de l'établissement était incapable de permettre ; qu'ainsi un lien direct et déterminant entre le décès du jeune B... et une faute commise par le docteur Y... est établi que n'excluent nullement les fautes commises par les autres prévenus ; "alors que, d'une part, le lien de causalité entre la faute du prévenu et le décès de la victime doit d être certain ; qu'en l'espèce, le non-respect d'agrément de la clinique en l'absence de structure hospitalière conséquente dans la région, comme l'insuffisance de personnel ne sauraient constituer la cause certaine du décès du jeune B... dès lors que celle-ci est due à la pose d'une perfusion d'un produit trop concentré et en trop grande quantité pour un enfant en bas âge ; que, dès lors, les fautes imputées au demandeur ne constituent pas la cause certaine de l'homicide involontaire ; "alors, d'autre part, que la cour d'appel qui retient le demandeur dans les liens de la prévention aux motifs qu'en acceptant de jeunes enfants dans la clinique malgré l'absence d'agrément, le docteur Y... ne pouvait ignorer qu'un jour ou l'autre, des actes de réanimation que la clinique ne pouvait assurer seraient nécessaires, a statué par des motifs purement hypothétiques et dépourvus de tout lien avec le décès de la victime, et n'a pas légalement justifié sa décision ; "alors, enfin, que dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel laissées sans réponse, le demandeur a fait valoir que Fabien B... a été adressé à la clinique par l'intermédiaire de son médecin traitant et que cette admission a été approuvée par les parents de l'enfant rassurés par le fait que le pédiatre qui suivait habituellement leur enfant y travaillait ; "que de plus, tous les médecins de la région, en raison de l'absence de structure hospitalière importante, adressent les patients dans cette clinique et après une observation qui se fait dans la journée, les patients sont, soit conservés à la clinique s'ils relèvent de la spécialité ou en cas d'urgence, ou envoyés à l'hôpital de Rodez ou à d'autres cliniques ; qu'en outre, après examen de l'enfant, une perfusion d'urgence avait été nécessaire ; qu'enfin le docteur Y... n'a pas pris l'initiative de cette admission" ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que l'enfant Fabien B... a été admis à la clinique dont André Y... est le directeur pour une gastro-entérite avec début de déshydratation et qu'il est décédé le lendemain à la suite de l'administration par perfusion d'une dose excessive de sérum bicarboné ; que André Y... ainsi que Michel A..., médecin-anesthésiste et
Véronique D..., infirmière, ont été poursuivis pour homicide involontaire ; b Attendu que, pour déclarer André Y... coupable de ce délit, la juridiction du second degré retient notamment qu'il était de pratique courante d'accepter dans la clinique qu'il dirigeait l'hospitalisation d'enfants alors que l'établissement n'est ni agréé ni pourvu de l'équipement nécessaire et qu'en sa qualité de directeur le prévenu ne pouvait ignorer que l'admission d'enfants pouvait nécessiter des soins de réanimation que l'établissement était incapable de donner ; qu'elle en déduit que l'existence d'un lien direct et déterminant entre le décès de la victime et la faute du prévenu est démontrée ; Attendu, il est vrai, que ce dernier motif est justement critiqué par le demandeur dès lors qu'il résulte des énonciations du jugement confirmé par l'arrêt attaqué que le décès de l'enfant est dû à une erreur dans la mise en oeuvre du traitement et non à l'insuffisance des actes de réanimation ; Attendu cependant, d'une part, que les juges du second degré retiennent en outre que la pratique ainsi instaurée à la clinique est à l'origine des erreurs du médecin anesthésiste qui a admis l'enfant et l'a traité ; Attendu, d'autre part, que le jugement aux motifs duquel l'arrêt se réfère, relève que l'admission irrégulière d'enfants pour des raisons de rentabilité mais aussi l'insuffisance caractérisée du personnel et la très mauvaise organisation de la pharmacie de la clinique, qui, malgré les observations de médecins, ne comportait pour le produit utilisé et nécessaire au traitement de la victime qu'une présentation inadéquate et dangereuse, ont concouru à la survenance des erreurs commises par le médecin et l'infirmière, lesquelles sont à l'origine du décès ; Attendu qu'en cet état et abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la deuxième branche du moyen, la cour d'appel a justifié sa décision ; Qu'en effet l'article 319 du Code pénal, qui punit celui qui aura été involontairement la cause d'un homicide involontaire, n'exige pas, pour son application, que cette cause soit exclusive, directe et immédiate ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ; d Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE les pourvois ; Condamne les demandeurs aux dépens ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents :
M. Jean Simon conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Carlioz conseiller rapporteur, MM. Blin, Jorda conseillers de la chambre, M. Louise conseiller référendaire appelé à compléter la chambre, M. C..., Mme Ferrari conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;