AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Mirrlees Blackstone limited, société de droit anglais, dont le siège est à Stamford Lincolnshire (Grande-Bretagne), POB 2 PE 9 1 UH,
en cassation d'un arrêt rendu le 27 avril 1990 par la cour d'appel de Rouen (2e chambre civile), au profit :
1°/ du Port autonome de Rouen, dont le siège est à Rouen (Seine-Maritime), .... 4075,
2°/ du GIE Groupement d'intérêt économique dragages ports, dont le siège est à Versailles (Yvelines), ...,
3°/ de la société Lister France, société anonyme, dont le siège est à Sarcelles (Val-d'Oise), Parc industriel, ...,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 21 avril 1992, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Loreau, conseiller rapporteur, MM. Hatoux, Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Léonnet, conseillers, M. Lacan, Mme Geerssen, conseillers référendaires, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Loreau, les observations de Me Barbey, avocat de la société Mirrlees Blackstone limited, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Rouen, 27 avril 1990), que le Port autonome de Rouen et le GIE Dragages Ports ont assigné la société Lister France en désignation d'expert et en paiement de dommages-intérêts, en raison des avaries apparues sur un moteur de bateau fabriqué par la société de droit britannique Mirrlees Blackstone ayant pour distributeur en France la société Lister France précitée ; qu'à la suite de l'appel en garantie formé par cette dernière à l'encontre du fabricant, la société Mirrlees Blackstone a été condamnée solidairement avec la société Lister France à indemniser le Port autonome de Rouen et le GIE Dragages Ports ;
Sur le premier moyen, pris en ses diverses branches :
Attendu que la société Mirrlees Blackstone fait grief à l'arrêt de lui avoir rendu opposables les opérations d'expertise réalisées avant qu'elle ne soit appelée en la cause alors, selon le pourvoi, d'une part, que "la lettre du 14 octobre 1985" de l'expert à M. Barbé, avocat, n'ayant été ni invoquée dans les conclusions des intimés, ni mentionnée au rapport d'expertise, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur un tel document hors du débat sans violer les articles 7 et 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de toute analyse du contenu des pièces qu'elle vise, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors encore, qu'une simple "communauté d'intérêts" entre deux sociétés ne peut suffire à rendre opposables à l'une d'elles les opérations effectuées en présence de l'autre seule ; que la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
alors en outre, que le comportement de la société
Lister France, simple distributeur en France de la société Mirrlees Blackstone, est impuissant à rendre
l'expertise opposable à cette dernière ; que la cour d'appel a de plus fort violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors au surplus, qu'une expertise n'est opposable qu'à ceux qui y ont été appelés en qualité de parties ; que la circonstance que des personnes avaient été tenues au courant des opérations ne conférait pas la qualité de partie à la société Mirrlees Blackstone ; que la cour d'appel a encore violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors de surcroit, qu'en affirmant que les deux sociétés étaient confondues en fait et que les mêmes personnes physiques représentaient aussi bien l'une que l'autre, tandis qu'elle ne caractérise pas la fictivité de leurs personnalités juridiques distinctes, la cour d'appel a violé les articles 16 et 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors enfin, que la simple possibilité de débattre ultérieurement des opérations d'expertise ne suffit pas au respect du caractère contradictoire de celle-ci ; que la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève par motifs adoptés que la société Mirrlees Blackstone ayant prélevé dès le 27 décembre 1984, sur le moteur litigieux, un jeu de "coquilles de bielles" à fin d'expertise personnelle, l'expert avait écrit à M. Barbé, l'avocat de la société, à la date du 14 octobre 1985, pour lui dire qu'il était sans nouvelles de cette expertise ; que la lettre visée par le moyen était donc dans le débat ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la société Lister France était le représentant en France de la société Mirrlees Blackstone, que l'assignation délivrée par le Port autonome de Rouen et le GIE Dragages Ports a été reçue sans réserves par la "Société Lister Division Mirrless", qu'il résultait des correspondances échangées entre les deux sociétés qu'il y avait une communauté d'action, la cour d'appel a fait ressortir la communauté d'intérêts existant entre elles, sans avoir à caractériser la fictivité de leurs personnalités juridiques ;
Attendu, enfin, que par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a relevé que la société Lister France avait obtenu par voie de référé, le 19 juillet 1985, que l'ordonnance de désignation
d'expert en date du 21 décembre 1984 soit déclarée commune à la société Mirrlees Blackstone et qu'il appartenait à cette dernière de présenter ses dires et faire valoir ses observations tant devant l'expert que devant la cour d'appel ; que par ces seuls motifs, abstraction faite de tous autres motifs justement critiqués par le moyen mais qui sont surabondants, la décision de la cour d'appel se trouve justifiée ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches :
Attendu que la société Mirrlees Blackstone fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée "in solidum" avec la société Lister France à indemniser le Port Autonome de Rouen et le GIE Dragages Ports du préjudice subi alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel n'a caractérisé aucun contrat entre la société Mirrlees Blackstone et les demandeurs ; qu'en s'abstenant d'indiquer d'où
serait issue une quelconque obligation de fourniture d'instruction à sa charge, la cour d'appel n'a pas précisé le fondement juridique de sa décision en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne relève aucun élément permettant d'imputer à la société Mirrlees Blackstone la fourniture d'une instruction erronée, le telex du 3 septembre 1984 émanant d'un préposé de la société Lister ; qu'en s'abstenant ainsi de caractériser une faute imputable à la société Mirrlees Blackstone, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 ou 1382 du Code civil ; et alors enfin, que la cour d'appel s'est abstenue de s'expliquer sur les conclusions de la société Mirrlees Blackstone faisant valoir que, selon les constatations mêmes de l'expert, les bielles fournies portaient toutes l'indication du couple de serrage devant leur être appliqué, qui était en l'espèce de 20 kg/M et non de 34,5, et faisant valoir également que l'accident avait sa cause dans l'instruction contraire de serrer à 34,5, dont même l'expert indiquait que l'on ne savait dans quelles conditions elle avait été donnée, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que les pièces avaient été fournies par "Lister Blackstone", scindée par la suite en deux sociétés
"Mirrlees Blackstone" et "Lister", qu'il résultait du télex du 3 septembre 1984 que "A X... Mirrlees Blackstone France" avait donné les instructions de serrage des boulons de tête de bielle à 34,5 Kgm", que M. X... représentait, avec MM. Z... et Y..., aussi bien la société Lister que la société Mirrlees Blackstone, et que les deux sociétés étaient confondues en fait ; que la cour d'appel a ainsi caractérisé la faute imputable à la société Mirrlees Blackstone ;
Attendu, en second lieu, qu'en retenant que l'avarie était due à un serrage inadapté, mais qui était conforme aux instructions données, la cour d'appel a répondu aux conclusions invoquées ;
Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en
aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la société Mirrlees Blackstone fait enfin grief à l'arrêt d'avoir fixé le point de départ des intérêts légaux des indemnités allouées à la date du 15 avril 1986, date de l'assignation, alors qu'en s'abstenant de fournir le moindre motif qui justifierait une dérogation à la règle de droit commun selon laquelle l'indemnité ne porte intérêt qu'à dater du jour du jugement qui en fixe le montant, la cour d'appel a violé les articles 1153-1 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en fixant à la date de l'assignation le point de départ des intérêts litigieux, la cour d'appel n'a fait qu'user de la faculté remise à sa discrétion par la loi ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Mirrlees Blackstone limited, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale,
financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize juin mil neuf cent quatre vingt douze.