AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Sagatrans, venant aux droits de la Société commerciale de transports transatlantiques Sud-ouest (dite SCTT), dont le siège est zone internationale de fret, Bruges (Gironde),
en cassation d'un arrêt rendu le 15 janvier 1991 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale), au profit de M. Gérard X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 12 mars 1992, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Bignon, conseiller référendaire rapporteur, MM. Bèque, Merlin, conseillers, Mlle Sant, Mme Kermina, conseillers référendaires, M. Monestié, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Bignon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la société Sagatrans, de Me Garaud, avocat de M. X..., les conclusions de M. Monestié, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens réunis :
Attendu que M. X... a été engagé le 2 novembre 1962 par la Société commerciale des transports transatlantiques du Sud-Ouest, dont il est devenu le directeur administratif en 1978 ; qu'en 1986, la Société commerciale des transports transatlantiques du Sud-Ouest est passée sous le contrôle de la société SAGA ; que le salarié a été licencié le 8 juillet 1988 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Bordeaux, 15 janvier 1991) d'avoir décidé que le licenciement ne reposait ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse, et de l'avoir condamné à payer des indemnités de rupture, alors que, selon les moyens, en premier lieu, "contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, s'il a admis le rôle joué par M. Y..., il n'a jamais reconnu que les irrégularités constatées n'étaient pas le fait de M. X... sur le plan comptable, la lettre de licenciement faisant état à l'égard de ce dernier de "délit de complicité active" et les conclusions imputant à M. X... l'admission en comptabilité de factures fictives annulées l'année suivante, de chèques sans cause, et l'omission des charges concernant un exercice clos (qui était reporté sur l'exercice suivant), de sorte que c'est par une dénaturation flagrante des documents susvisés que l'arrêt attaqué prétend que l'employeur avait renoncé à invoquer une participation directe de M. X... aux irrégularités proprement comptables, violant ainsi les dispositions de l'article 1134 du Code civil ; alors, en deuxième lieu, que l'on ne saurait appliquer au directeur administratif et financier, responsable des services comptables dans lesquels ont été commises de graves irrégularités préjudiciables à la société, les mêmes critères que ceux utilisés pour apprécier le comportement d'un organe externe tel que le commissaire aux comptes, de sorte qu'en se fondant sur les énonciations du rapport Paquier, selon lesquelles l'existence des fraudes ne pouvait être facilement
décelées à partir de la comptabilité qui était présentée au commissaire aux comptes, sans rechercher si ces mêmes fraudes n'étaient pas évidentes au stade de l'élaboration de ladite comptabilité effectuée dans les services de M. X..., la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail ; qu'il en est d'autant plus ainsi que si l'expert avait effectivement indiqué qu'il pouvait y avoir une certaine difficulté à "extourner" les comptes présentés au commissaire aux comptes, il n'en demeurait pas moins que les non-comptabilisations de charges et les minorations avaient été faites sciemment et qu'elles apparaissaient nécessairement à l'examen de la comptabilité analytique, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé le rapport Paquier, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, en troisième lieu, qu'en se bornant à énoncer qu'il était difficile à M. X... de dénoncer les irrégularités commises par M. Y..., alors président-directeur général, sans s'expliquer sur le motif péremptoire du jugement dont confirmation était demandée, et selon lequel le responsable des services comptables doit, en tout état de cause, mettre en garde sa direction et dégager sa responsabilité par écrit, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en quatrième lieu, que le pouvoir de direction ne doit pas conduire à l'arbitraire, et que l'existence d'un lien de subordination ne légitime pas la tolérance de pratiques manifestement illlicites ; qu'en l'espèce, en admettant que M. X... n'aurait pas commis de faute grave en ne dénonçant pas les irrégularités commises par son supérieur hiérarchique, au prétexte qu'il aurait été tenu à une obligation de loyauté envers son employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 122-6, L. 122-9 et L. 122-14-4 du Code du travail ; et alors, enfin, qu'il résultait des circonstances de la cause rappelées par la cour d'appel que la Société commerciale des transports transatlantiques du Sud-Ouest avait été reprise par la société SAGA en mars 1986 ; que le président-directeur général, M. Y..., avait été remplacé le 19 mai 1987 ; qu'une telle situation caractérisait une modification dans la situation juridique de l'employeur, impliquant un transfert des contrats au nouvel employeur et un transfert de l'obligation de loyauté des cadres responsables envers
ce repreneur, et que, dès lors, contrairement aux énonciations de l'arrêt, qui viole les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail, c'est par rapport au nouvel employeur, et non par rapport à l'ancien, que la cour d'appel aurait dû apprécier le comportement de M. X..." ;
Mais attendu, d'une part, que c'est hors de toute dénaturation que la cour d'appel a retenu que l'employeur reconnaissait, dans ses conclusions, que le salarié n'était pas l'auteur des irrégularités constatées ;
Attendu, d'autre part, que, sans dénaturer le rapport d'expertise, la cour d'appel a fait ressortir que le salarié ne pouvait déceler les irrégularités constatées ; qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite de motifs surabondants, la cour d'appel a, d'une part, pu juger que le salarié n'avait pas commis de faute grave, et, d'autre part, décidé dans l'exercice du pouvoir qu'elle tient de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, par une décision motivée,
que le licenciement ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse ; que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
! Condamne la société Sagatrans, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;