LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept avril mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MILLEVILLE, les observations de la société civile professionnelle de CHAISEMARTIN et COURJON, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ; Statuant sur les pourvois formés par :
Y... Dominique, K
LE B... Simone,
Y... Brigitte,
parties civiles,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de ROUEN, en date du 9 octobre 1990, qui, dans l'information suivie contre Jack Z... des chefs d'escroqueries, abus de confiance et faux en écriture privée, a déclaré irrecevables, faute de qualité, leurs appels de l'ordonnance du juge d'instruction en ce qu'elle portait non-lieu des chefs d'escroqueries et d abus de confiance ; Vu l'article 575 alinéa 2, 2° du Code de procédure pénale ; Vu le mémoire produit ; Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 575 alinéa 2, 2°, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Dominique Y... à l'encontre de Jack Z... ; "aux motifs qu'"en ce qui concerne cette affaire, Elie C..., restant seule en cause, il résulte de l'information que, dans la thèse même de Dominique Y... exposée dans sa déclaration au juge d'instruction du 23 mai 1989 comme dans ses lettres et documents versés au dossier et dans son mémoire d'appel, celui-ci ne pouvait pas être la victime directe des agissements qu'il impute à Jack Z... sous la qualification de tentative d'escroquerie et qui auraient consisté à tenter de se faire remettre un "dessous de table" par les acquéreurs de l'immeuble mais non une quelconque somme d'argent par Conseil qui était l'un des vendeurs ; que dans ces conditions, la constitution de partie civile de Dominique Y... apparaît désormais irrecevable" ; "alors que se rend coupable d'escroquerie à l'égard du vendeur le mandataire qui grâce à un montage juridique dissimulé au vendeur perçoit un supplément de prix qui aurait dû revenir à ce dernier ; que, par conséquent, en déclarant que Dominique Y... "ne pouvait pas être la victime directe des agissements qu'il impute à Jack Z..."... "et qui auraient consisté à tenter de se faire remettre un dessous de table par les acquéreurs de l'immeuble", la chambre d'accusation a violé les textes susvisés, la remise (à la supposer
démontrée) de dessous de table (fraction du prix de vente) au négociateur, à l'insu du vendeur, entraînant pour ce dernier un préjudice direct" ; Vu lesdits articles, ensemble les articles 2 et 85 du Code de procédure pénale ; Attendu que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur d lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Dominique Y..., agent immobilier, a porté plainte avec constitution de partie civile des chefs de faux en écriture privée, escroqueries et abus de confiance contre son ancien employé, Jack Z..., en lui reprochant d'avoir, lors de la négociation d'immeubles, et notamment d'une maison lui appartenant, établi, à son insu, un double compromis de vente comportant deux prix différents, en vue de se faire remettre le montant de la différence ; qu'à l'issue de l'information, le juge d'instruction a rendu une ordonnance portant non-lieu partiel des chefs d'escroqueries et d'abus de confiance ; Attendu que, Dominique Y... ayant relevé appel de cette ordonnance, la chambre d'accusation a, par l'arrêt attaqué, déclaré l'appel irrecevable au motif que l'appelant "ne pouvait pas être la victime directe des agissements qu'il imputait à Z... sous les qualifications d'escroqueries et d'abus de confiance" et qu'ainsi, il avait perdu la qualité de partie civile ; Mais attendu qu'en statuant de la sorte, alors que les faits sur lesquels se fondait l'appelant pouvaient laisser supposer l'existence d'un préjudice en relation avec les infractions objet de l'appel, la chambre d'accusation a méconnu le principe ci-dessus rappelé ; D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 85, 86, 575 alinéa 2, 2°, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que Mme Le Gall et Melle Y... n'avaient pas "acquis la qualité de parties civiles" et par conséquent jugé leur appel irrecevable ; "aux motifs que Simone Le Gall et Brigitte Y... avaient déposé plainte avec constitution de partie civile par lettre de leur avocat le 18 septembre 1989 non à raison des faits objet de la d plainte initiale de Dominique Y... et du réquisitoire introductif du 2 mai 1989 mais à raison de faits distincts relatifs à la vente d'immeubles dont chacune d'elles était propriétaire ; qu'il ne pouvait donc s'agir d'une constitution de partie civile
incidente ; qu'en conséquence, à défaut d'une nouvelle procédure de constitution ou d'une communication par le magistrat instructeur de leur plainte au procureur de la République en vertu de l'article 86 du Code de procédure pénale suivie de réquisitions de ce magistrat, elles n'ont pas acquis la qualité de parties civiles ; que leur appel est donc irrecevable ; "alors que l'action publique est mise en mouvement, non par le réquisitoire du procureur de la République mais par la plainte avec constitution de partie civile ; que la chambre d'accusation n'a donc pu sans violer les textes susvisés dénier à Mme Le Gall et à Melle Y... la qualité de parties civiles et déclarer en conséquence leur appel irrecevable, au prétexte que leur plainte avec constitution de partie civile n'avait pas été communiquée au procureur de la République" ; Vu lesdits articles ; Attendu que la partie civile qui a mis l'action publique en mouvement devant le juge d'instruction peut, en cours d'information, étendre sa constitution initiale à d'autres faits connexes ; Attendu qu'après avoir porté plainte avec constitution de partie civile contre Z... des chefs de faux en écriture privée, escroqueries et abus de confiance, Dominique Y... a, par lettre du 18 septembre 1989, étendu sa constitution à d'autres faits reprochés à Z... sous les mêmes qualifications et a repris son argumentation intiale ; que, s'estimant victimes de ces nouveaux faits, Brigitte Y... et Simone Le Gall, respectivement soeur et mère de Dominique Y..., se sont consituées parties civiles par voie d'intervention ; qu'à l'issue de l'information, elles se sont jointes à Dominique Y... pour relever appel de l'ordonnance de non-lieu partiel ; Attendu que, pour déclarer leurs appels irrecevables, la chambre d'accusation relève que leurs constitutions concernent des faits distincts de ceux qui font l'objet de la plainte initiale et qu'elles ne peuvent donc être considérées comme "incidentes" ; d Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que Dominique Y... avait, en cours d'information, étendu sa plainte initiale aux faits dénoncés par Brigitte conseil et Simone Le Gall et que ces dernières étaient ainsi recevables à se constituer parties civiles incidentes, la chambre d'accusation a méconnu le principe ci-dessus rappelé ; D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ; Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen, en date du 9 octobre 1990, déclarant irrecevables les appels des dispositions de l'ordonnance portant non-lieu partiel et pour qu'il soit jugé à
nouveau sur ce point, conformément à la loi ; RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Et pour le cas où la juridiction de renvoi déclarerait qu'il existe, contre Jack Z..., des charges suffisantes des chefs d'escroqueries et d'abus de confiance,
Vu l'article 659 du Code de procédure pénale ; Règlant de juges par avance ; Ordonne que la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens renverra Jack A... devant le tribunal correctionnel de Rouen pour y être jugé ; ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d'accusation de la cour d'appel Rouen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Où étaient présents :
M. Le Gunehec président, M. Milleville conseiller rapporteur, MM. Zambeaux, Dardel, Dumont, Fontaine, Alphand, Guerder, Pinsseau conseillers de la chambre, Mme X..., d M. Echappé conseillers référendaires, Mme Pradain avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;