AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le trente et un mars mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller Z..., les observations de Me VUITTON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
A... Lucien,
A... Marie-Iris, épouse X...,
A... René,
A... Henriette, parties civiles,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de BESANCON, en date du 3 JUILLET 1991, qui, dans la procédure suivie contre Luc Y..., inculpé d'homicide involontaire, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;
Vu le mémoire produit ;
d Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 327 du Code pénal, 174 du décret du 20 mai 1903, modifié par le décret du 22 juillet 1943 et complété par la circulaire du 5 février 1945, 9 du décret du 18 mars 1986, 575-6° et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue au bénéfice de Luc Y... ;
"aux motifs que l'expertise balistique du pistolet mitrailleur établissait que l'arme était en bon état de fonctionnement ; que sa portée était de 50 mètres ; que l'effet de relèvement peut être compensé par des tirs en courte rafale, une utilisation à courte distance de 15 mètres et le maintien ferme de l'arme lors du tir ; que la mission de surveillance des gendarmes s'intégrait dans un large dispositif de surveillance, ordonné par le commandant de gendarmerie de Lons-Le-Saunier ; que la recrudescence des cambriolages des établissements industriels ou commerciaux constatée, laissait penser à une délinquance dangereuse et organisée ; que les gendarmes Vagne et Y... étaient armés, conformément aux directives de leur supérieur, le premier d'un pistolet MAC 50 et le second d'un pistolet mitrailleur MAT 49, arme dissuasive par sa présentation ; qu'après avoir été empoigné par les gendarmes A... parvenait à leur échapper ; que les gendarmes le poursuivaient ; que constatant que A... prenait de la distance, le gendarme Y... le sommait à trois ou quatre reprises de s'arrêter ; qu'à la dernière sommation, le gendarme Y... s'arrêtait, armait son pistolet mitrailleur et criait une dernière fois "je tire" ce à quoi le fuyard lui répliquait "tirez donc" ; que le gendarme Y... tirait alors une rafale de cinq cartouches afin d'atteindre les jambes du fuyard ; qu'il convient de relever que, A... arrêté en flagrant délit de vol avec effraction a pris la fuite après son interpellation, alors qu'il savait les gendarmes armés ; que les sommations à s'arrêter ont bien été prononcées avant l'usage de l'arme ; que son usage, la nuit était rendue nécessaire pour arrêter la fuite d'un malfaiteur et par l'impossibilité de communiquer avec d'autres gendarmes ; que l'expertise balistique démontre que l'effet de relèvement explique qu'une courte rafale tirée à 15 mètres en visant les jambes ait pu atteindre A... à
la nuque ; que les conditions de tir permettant de maîtriser l'arme n'étaient pas réunies en l'espèce, compte tenu de la rapidité de la décision et de l'exécution à intercepter un malfaiteur qui s'enfuyait ; que l'Administration dont dépend le gendarme Y... ne pouvait méconnaître les difficultés de fonctionnement du pistolet en situation réelle dont ce dernier avait été doté, en raison des craintes fondées sur l'estimation de la réalisation des méfaits par une bande de malfaiteurs organisés ;
"alors, d'une part, que lorsqu'il est autorisé à utiliser la force et, en particulier, à se servir de son arme, le fonctionnaire de police ne peut en faire qu'un usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre ; dès lors la Cour qui, a énoncé que l'usage, par le gendarme Y..., de son arme était nécessaire, sans rechercher, comme l'y invitaient les parties civiles, si un tel usage était proportionné au but à atteindre et si le fait que l'opération de surveillance s'inscrivait dans un large dispositif de sécurité comprenant la mise en place de postes d'interceptions ne permettent pas de stopper par d'autres moyens la fuite de A..., n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors, d'autre part que, la Cour ne pouvait, sans s'expliquer davantage, retenir que l'utilisation de son arme par le gendarme Y... était nécessaire en raison de l'impossibilité de communiquer avec d'autres gendarmes, dès lors qu'il ressort des pièces de la procédure que les différents postes de soutien et d'interception, avant la tentative de fuite de A..., étaient reliés entre eux par l'intermédiaire d'une liaison radio en bon état de fonctionnement ; que dès lors en retenant que l'utilisation de l'arme était rendue nécessaire par l'absence de toute communication possible avec d'autres gendarmes la Cour a dénaturé les documents soumis à son appréciation ;
"alors, en toute hypothèse qu'il ressort des constatations de la Cour que deux des conditions nécessaires à la maîtrise de l'effet de relèvement de l'arme utilisée par le gendarme Y..., à savoir l'utilisation à courte distance (15 mètres) et des tirs en courte rafale, étaient en l'espèce réunies ; que, dès lors, la Cour ne pouvait statuer comme elle l'a fait, sans rechercher, comme l'y invitait les parties civiles, les raisons propres à justifier que seule la troisième condition, à savoir un maintien ferme de l'arme, qui n'était pas remplie en l'espèce, ait pu à elle seule avoir pour conséquence qu'en visant les jambes, le gendarme Y... ait atteint A... à la nuque ; qu'à b défaut de s'être expliquée sur ce point, la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors, enfin, que dans leur mémoire régulièrement versé aux débats, les consorts A... faisaient valoir qu'il ressortait des déclarations du gendarme Vagne, que les sommations auraient été faites par le gendarme Y... après qu'il eut couru une dizaine de mètres ; que selon le plan annexé au procès-verbal, le jeune A... avait lui-même déjà parcouru 18 mètres environ ; qu'en conséquence, il était donc tout à fait impossible au gendarme Y... d'avoir eu le temps de faire les trois sommations d'usage, puis d'armer, viser et tirer en parcourant seulement dix mètres ; qu'à défaut d'avoir répondu à ce chef d'articulation essentiel du mémoire des consorts A..., la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué permettent à la Cour de Cassation de s'assurer que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre d'accusation, après avoir exposé les faits, objet de l'information et répondu aux articulations essentielles du mémoire des parties civiles, a énoncé les motifs dont elle a déduit qu'il n'y avait lieu à suivre contre Luc Y... du chef d'homicide involontaire ;
Qu'aux termes de l'article 575 du Code de procédure pénale, la partie civile, n'est pas admise à discuter la valeur de tels motifs, à l'appui de son seul pourvoi contre un arrêt de non-lieu;
D'où il suit que le moyen, qui allègue une insuffisance de motifs et un défaut de réponse à conclusions qui, à les supposer établis, priveraient l'arrêt attaqué des conditions essentielles de son existence légale, ne peut être accueilli ;
Et attendu qu'il n'est ainsi justifié d'aucun des griefs énumérés à l'article 575 précité, comme autorisant la partie civile à se pourvoir contre un arrêt de non-lieu, en l'absence de recours du ministère public ;
DECLARE le pourvoi IRRECEVABLE ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de b Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Zambeaux conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Fontaine conseiller rapporteur, MM. Dardel, Dumont, Alphand, Guerder, Jorda conseillers de la chambre, Mme Batut conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;