AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente mars mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de Me COSSA et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
X... Lydie,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre correctionnelle, en date du 28 novembre 1990, qui l'a condamnée, pour fraude fiscale, à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende, a reçu l'administration des Impôts en sa constitution de partie civile, et a fixé la contrainte par corps à la durée prévue par l'article 750 du Code de procédure pénale ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ; d
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 1741 du Code général des impôts, de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme X... coupable de s'être frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés pour l'exercice 1980 et, en répression, l'a condamnée à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et à 50 000 francs d'amende ;
"aux motifs que la société assujettie sur l'ensemble de ses bénéfices et revenus à l'impôt sur les sociétés, dont le taux était fixé à 50 %, devait souscrire annuellement, dans les trois mois de la clôture de l'exercice la déclaration de ses résultats ; que, pour l'exercice clos le 31 mars 1980, cette déclaration a été souscrite le 10 juin 1981 seulement, soit près d'un an après l'expiration du délai ; que Lydie X... impute le retard à la négligence de l'expert comptable de la société ; mais que celui-ci a déclaré précisément que la prévenue s'abstenait de lui remettre renseignements et pièces justificatives en temps voulu ; qu'un chef d'entreprise ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, s'exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant la faute d'un collaborateur ; qu'en l'occurence la faute de l'expert comptable n'est même pas établie ; qu'un chef d'entreprise ne peut davantage s'exonérer de sa responsabilité pénale en alléguant un surcroît de travail ou un éloignement pour nécessités professionnelles ; qu'il s'ensuit que la tardivité de la déclaration litigieuse doit être tenue pour volontaire ;
"alors que, aux termes de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, dans les poursuites pénales tendant à l'application des articles 1741 et 1743 du Code général des Impôts, le ministère public et l'Administration doivent apporter la preuve du caractère intentionnel soit de la soustraction, soit de la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement des impôts mentionnés par ces articles, laquelle preuve ne résulte pas de la seule qualité de mandataire social de la personne morale redevable des impôts en cause ; que, dès lors, en se bornant, pour déclarer la demanderesse coupable d'infraction à l'article 1741 du Code général des impôts, à faire état de sa seule qualité de chef d'entreprise, sans préciser d
quelle participation personnelle la prévenue avait prise de mauvaise foi dans la soustraction litigieuse, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L. 227 susvisé, et violé également les autres textes visés au moyen" ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 1741 du Code général des impôts, de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, de l'article 427 du Code de procédure pénale, des articles 591 et 593 du même Code, renversement de la charge de la preuve, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme X... coupable de s'être frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés pour l'exercice 1980 et, en répression, l'a condamnée à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et de 50 000 francs d'amende ;
"aux motifs que Lydie X... n'a présenté aucune défense sérieuse en ce qui concerne des dépenses d'un montant total de 43 939,87 francs, exposées par la société Emaco ; qu'en l'absence de pièces justificatives explicites, il apparaît qu'elles ont été exposées dans l'intérêt personnel de son mari, Giuseppe Y..., et d'autres membres de sa famille ;
"alors, d'une part, que, toute décision doit contenir les motifs propres à la justifier ; que tel n'est pas le cas en l'espèce où la cour d'appel, pour décider que Mme X... avait dissimulé volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt sur les sociétés, se borne à retenir, par voie de pure affirmation, qu'en ce qui concerne les dépenses d'un montant total de 43 739,87 francs, en l'absence de pièces justificatives explicites, il apparaît qu'elles ont été exposées dans l'intérêt personnel de son mari et d'autres membres de sa famille ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur les conditions d'application des textes sur le fondemnet desquels la condamnation a été prononcée ;
"alors, d'autre part, que, statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a opéré un renversement de la charge de la preuve, en violation des textes susvisés" ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 1741 du Code général des impôs, de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, d des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme X... coupable de s'être frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés pour l'exercice 1980 et, en répression, l'a condamnée à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et à 50 000 francs d'amende ;
"aux motifs qu'une pratique s'est instaurée en cas de circonstances exceptionnelles, selon laquelle l'administration des Impôts peut admettre verbalement, si la demande préalable lui en est faite pour chaque opération importante, que les contribuables déposent des déclarations DAS 2 incomplètes, à condition toutefois qu'elles soient faites dans les délais légaux et qu'elles soient accompagnées de renseignements permettant de s'assurer de la réalité du service rendu par les intermédiaires occultes et de la conformité aux usages locaux du montant des commissions par rapport au montant des
marchés ; qu'en l'espèce, Lydie X... reconnaît qu'elle n'a sollicité aucune autorisation de cette pratique de l'administration des Impôts ;
"alors que, dans des conclusions régulièrement déposées, la demanderesse faisait valoir qu'elle ne connaissait pas l'existence de cette procédure spéciale qu'elle a découverte pendant l'information ; qu'en outre, le commissaire aux comptes chargé de contrôler la comptabilité n'avait fait aucune remarque particulière sur ce point ; que, dès lors, en se bornant à relever que Mme X... reconnaissait n'avoir sollicité aucune autorisation de l'Administration fiscale au titre d'une procédure qu'elle qualifie elle-même de simple pratique de l'Administration, sans répondre à ce chef péremptoire de conclusions qui posait l'hypothèse de l'erreur invincible, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'en l'état des énonciations reprises aux moyens, exemptes d'insuffisance et d'erreur de droit, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre mieux qu'elle l'a fait aux conclusions de la prévenue, a caractérisé en tous ses éléments matériels et intentionnel le délit de fraude fiscale dont elle a déclaré Lydie X... coupable, et donné ainsi une base légale à sa décision ; d
Que l'ensemble des moyens présentés qui, sous couvert de renversement de la charge de la preuve, se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, ne sauraient être admis ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article L. 272 du Livre des procédures fiscales, de l'article 1741 du Code général des impôts, des articles 749, 750, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la contrainte par corps à l'encontre de Mme X..., condamnée par application de l'article 1741 du Code général des impôts, et l'a fixée à la durée prévue à l'article 750 du Code de procédure pénale ;
"au motif que la contrainte par corps est de droit ;
"alors qu'il résulte de l'article L. 272 du Livre des procédures fiscales que, lorsque les juridictions répressives prononcent des condamnations par application de l'article 1741 du Code général des impôts, les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la contrainte par coprs ne sont applicables qu'à la requête de l'Administration ; que, dès lors, en affirmant que la contrainte par corps est de droit, sans constater qu'elle a été expressément demandée par l'Administration, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu que s'il est vrai que, selon l'article L. 272 du Livre des procédures fiscales, la contrainte par corps ne peut être prononcée par la juridiction répressive qu'à la requête de l'Administration, pour le recouvrement des impôts directs fraudés et des pénalités fiscales y afférentes, il résulte des pièces de procédure que l'administration des Impôts avait sollicité la contrainte par corps contre Lydie X... dans ses conclusions devant les premiers juges et qu'elle a expressément repris celles-ci devant la cour d'appel ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; d
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Culié conseiller rapporteur, MM. Tacchella, Souppe, Gondre, Hébrard, Hecquard, Jorda conseillers de la chambre, M. Bayet, Mme Ferrari conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;