AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la ville de Marseille, représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité à l'hôtel de ville de Marseille, rue Sainte à Marseille (1er) (Bouches-du-Rhône),
en cassation d'un arrêt rendu le 24 octobre 1989 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Chambre des expropriations), au profit de M. X..., Léon Y..., demeurant ... (7e) (Bouches-du-Rhône),
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 février 1992, où étaient présents : M. Senselme, président, Mme Cobert, conseiller référendaire rapporteur, MM. Paulot, Vaissette, Chevreau, Douvreleur, Capoulade, Peyre, Deville, Mme Giannotti, MM. Aydalot, Boscheron, conseillers, MM. Chollet, Pronier, conseillers référendaires, M. Mourier, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire Cobert, les observations de Me Guinard, avocat de la ville de Marseille, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
! - Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 octobre 1989), qu'à la suite d'un précédent arrêt du 14 juin 1988, frappé d'un pourvoi en cassation, et qui fixait le montant des indemnités dues aux copropriétaires de la Résidence de la Corniche, en suite de l'expropriation, au profit de la ville de Marseille, d'un terrain dépendant de la copropriété, M. Y... a sollicité la déconsignation du montant de l'indemnité ;
Attendu que la ville de Marseille fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen, "qu'il résulte de l'article R. 13-65-7° du Code de l'expropriation qu'en cas de pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt fixant l'indemnité, l'absence de caution prévue par le décret des 16 et 19 juillet 1793 justifie la prise de possession par l'expropriant, moyennant consignation de l'indemnité ; que l'intervention du décret du 19 mai 1980, abrogeant le décret des 16 et 19 juillet 1793, n'a pas supprimé, dans cette hypothèse, l'obligation pour l'exproprié de fournir caution ; que, pour déclarer irrégulière la consignation de l'indemnité d'expropriation par la ville de Marseille, malgré le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt fixant l'indemnité, la cour d'appel a énoncé que le décret du 19 mai 1980 avait supprimé l'obligation de garantie ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article R. 13-65-7° du Code de l'expropriation, le décret du 19 mai 1980 et le décret des 16 et 19 juillet 1793" ;
Mais attendu que la cour d'appel a exactement décidé que le décret n° 80-367 du 19 mai 1980, relatif aux constitutions de garantie auxquelles peut être subordonnée l'exécution de certaines décisions de justice contre les personnes morales de droit public, qui a abrogé le décret des 16 et 19 juillet 1793, n'ayant prévu aucune
exception pour les décisions
prononcées en matière d'expropriation, et les dispositions de l'article R. 13-65-7° du Code de l'expropriation devant s'interpréter par référence au décret du 19 mai 1980, le paiement de l'indemnité doit s'effectuer nonobstant le pourvoi en cassation, sans que l'autorité expropriante puisse exiger une caution ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la ville de Marseille fait grief à l'arrêt de décider que M. Y... n'a pas à justifier de son titre de propriété pour obtenir les indemnités d'expropriation, foi étant due au titre que constitue l'arrêt du 14 juin 1988, qui consacre le droit à indemnité des copropriétaires expropriés, alors, selon le moyen, "1°/ qu'aux termes de l'article R. 13-64 du Code de l'expropriation, l'expropriant est seul qualifié pour recevoir et examiner les justifications établissant les droits à indemnité de l'exproprié, il désigne le bénéficiaire de l'indemnité en se plaçant à la date de l'ordonnance d'expropriation ; que l'article R. 13-62 désigne comme bénéficiaire de l'indemnité le propriétaire ou titulaire de droit réel, exproprié à titre principal, identifié dans l'ordonnance d'expropriation ; qu'en déclarant irrégulière la consignation par l'expropriante de l'indemnité allouée à M. Y... par l'arrêt fixant l'indemnité, alors qu'elle constatait que l'intéressé ne figurait pas dans l'ordonnance d'expropriation, la cour d'appel a violé les articles R. 13-62, R. 13-64 et R. 13-65 du Code de l'expropriation ; 2°/ que la notification de ses offres, par l'expropriant, ne préjuge pas du droit de l'intéressé à l'indemnité d'expropriation ; que, pour déclarer injustifiée la consignation de l'indemnité allouée à M. Y..., dont le nom ne figurait pas dans l'ordonnance d'expropriation, la cour d'appel a énoncé qu'en convoquant l'intéressé en fixation de l'indemnité, la ville de Marseille avait reconnu sa qualité d'exproprié ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les justifications produites par le demandeur étaient suffisantes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 13-62, R. 13-64 et R. 13-65 du Code de l'expropriation" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. Y..., appelé à l'instance en fixation de l'indemnité d'expropriation par la ville de Marseille elle-même, ne s'est vu opposer aucun défaut de qualité pour agir et a justifié de son droit en communiquant à l'autorité expropriante son titre, antérieur au prononcé de l'ordonnance portant transfert de propriété, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la ville de Marseille fait grief à l'arrêt de décider qu'elle a irrégulièrement consigné le montant de l'indemnité d'expropriation due à M. Y..., alors, selon le moyen, "qu'il résulte de l'article 2148-1 du Code civil que les créanciers inscrits exercent leurs droits sur la quote-part de parties communes comprises dans des lots dépendant d'un immeuble soumis au statut de la copropriété ; que, dès lors, l'existence d'une inscription d'hypothèque grevant les lots de copropriété constitue un obstacle au paiement de l'indemnité d'expropriation allouée, en raison de la réduction de l'assiette des millièmes indivis ; qu'en déclarant
irrégulière la consignation par la ville de Marseille de l'indemnité d'expropriation allouée à M. Y..., au seul motif que l'inscription d'hypothèque ne grevait pas le bien exproprié, la cour d'appel a violé les articles 2148-1 du Code civil et R. 13-65-4° du Code de l'expropriation" ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a relevé que seule a été affectée par l'expropriation l'assiette des millièmes indivis détenus par les copropriétaires, et qu'en conséquence, l'indemnité allouée par le précédent arrêt du 14 juin 1988 l'a été au titre de la moins-value du bien résultant de la réduction de l'assiette des millièmes de copropriété indivis y attachés, a légalement justifié sa décision de ce chef en relevant que l'hypothèque ne grève pas le bien exproprié ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la ville de Marseille, envers M. Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatre mars mil neuf cent quatre vingt douze.