AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre février mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GONDRE, les observations de Me A... et de la société civile professionnelle de CHAISEMARTIN et COURJON, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ;
Statuant sur les pourvois formés par :
D... Bernard,
Y... Jean-Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre correctionnelle, en date du 3 décembre 1990, qui les a condamnés, Bernard D... pour complicité de banqueroute, faux et complicité de d faux en écriture de commerce, et complicité d'escroquerie, Jean-Pierre Y... pour confirmation d'informations mensongères et omission de révéler des faits délictueux, chacun à la peine de 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé au nom de Bernard D... et pris de la violation des articles 60 et 405 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Liagre coupable de complicité d'escroquerie au préjudice de la SDR Picardie et l'a condamné à des réparations civiles ;
"aux motifs adoptés des premiers juges, que la société de Développement Régional de Picardie a acquis des actions de la Comec à hauteur de 700 000 francs lors de l'augmentation de capital en 1982, et a également versé en 1984 1 500 000 francs lors de la souscription d'un emprunt obligataire et 200 000 francs au titre d'un prêt à long terme ; qu'il avait été prévu une augmentation de capital à la fin de l'année 1982 sur la base d'une valeur par action de 250 francs réservée à la SDR Picardie ; que Bapt de Godkowski, qui était à l'époque actionnaire, écrivait à la direction de la Comec qu'il lui semblait impossible "alors que la société se trouvait dans une situation plus que préoccupante le 8 avril 1981... que vous soyez à même de justifier une valeur d'action de 250 francs" ; qu'en raison de son attitude, ses actions lui étaient rachetées sur la base de 53 francs chacune ; qu'en obtenant ainsi 700 000 francs de la SDR Picardie l'escroquerie est bien établie ; que pour entraîner la conviction de la société SDR Picardie pour les deux autres versements, il lui était remis les bilans successifs de l'entreprise ; que Bernard D... indique que cette société a par deux fois fait procéder à des audits dans la société, avant de prendre sa décision ; que ces audits ont porté uniquement sur la société Comec elle-même, dont les écritures étaient falsifiées pour correspondre aux résultats présentés dans le bilan ; qu'aucun des trois prévenus Caseau, E... et Tidjani, ne l'ignorait ; que Bernard D... et Jacques B... seront retenus en qualité de complices, par fourniture e moyens, en l'espèce en faisant établir les documents, en particulier les bilans qu'ils savaient falsifiés ;
"alors, d'une part, qu'en se bornant, pour déclarer établi le délit d'escroquerie portant sur la somme de 700 000 francs, à énoncer que la SDR de Picardie avait fait l'acquisition des actions de la société Comec au prix de 250 francs tandis que Jean-louis E... rachetait ses actions à un actionnaire au prix de 53 francs chacune, sans relever l'emploi de manoeuvres frauduleuses pour amener la SDR de Picardie à participer sur ces bases à l'augmentation de capital, et alors que le seul fait de vendre une action à un prix supérieur à sa valeur vénale ne suffit pas à caractériser le délit d'escroquerie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors, d'autre part, que la Cour n'a pas non plus légalement justifié sa décision de déclarer Liagre coupable de complicité d'escroquerie par fourniture de moyens en se bornant à relever qu'il avait fait établir "les documents, en particulier les bilans qu'il savait falsifiés", sans rechercher s'il avait connaissance de l'usage que les dirigeants sociaux de la société Comec entendaient faire de ces documents" ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé au nom de Jean-Pierre Y... et pris de la violation des articles 457 de la loi du 24 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre Y... coupable de confirmation d'informations mensongères ;
"aux motifs que, pour regrettable que soit la disparition de la comptabilité de la société Comec, ce qui n'a pas permis que des experts commis par le juge d'instruction de (sic) l'analyser à leur tour, il n'en demeure pas moins que le rapport de l'expert Z..., commis par le tribunal de commerce de Senlis et donc par décision de justice, est fondé sur cette comptabilité ; que la circonstance que cet expert n'ait pu appronfondir dans les détails les éléments comptables soumis à son examen, ne peut suffire à mettre en doute l'analyse qu'il en a donné, étant observé, au surplus, que D... n'a pas contesté les jeux frauduleux d'écritures décelés par Z... et, qu'en outre, en dehors de D... dont l'appel se limite à solliciter l'indulgence de la Cour, aucun des autres prévenus retenus dans les liens de la d poursuite par le tribunal n'a interjeté appel ; que s'il est exact qu'en ce qui concerne les recettes injustifiées résultant au cours de l'exercice 1984, de tirages de complaisance effectués sur une société "DEI" s'élève à 10 992 370,78 francs selon l'expert Z... et à 22 807 078 francs, selon les experts commis par le juge d'instruction ainsi que l'indique le réquisitoire définitif du procureur de la République, cette divergence sur le montant de ces écritures frauduleuses n'affecte en rien la réalité de celles-ci ; qu'enfin, la rédaction des motifs des premiers juges critiquée par Y... et ci-avant rappelée ne constitue qu'une litote à laquelle la Cour est en mesure de substituer l'affirmation pure et simple qu'il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés que Y..., en certifiant les comptes des exercices visés par la poursuite a sciemment confirmé des informations mensongères ;
"alors, d'une part, qu'en se bornant à faire état des inexactitudes contenues dans la comptabilité de la société Comec, mais sans caractériser aucun fait précis d'où résulterait une certification
d'informations mensongères qui aurait été commise sciemment par Y..., la mauvaise foi de ce dernier n'étant qu'affirmée sans ressortir de circonstances précises, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;
"alors, d'autre part, que, si le jugement avait retenu que Y... avait affirmé avoir en particulier contrôlé les comptes de Tetard auquel avait été versée une somme de 315 790,55 francs en 1983 sans aucune pièce justificative, le prévenu avait fait valoir que cette somme était indécelable parce que dissimulée dans les "frais de fabrication", sans être comptabilisée ni en compte courant ni en honoraires et sans figurer sur la déclaration annuelle des salaires ; que la cour d'appel ne pouvait pas laisser sans réponse ce chef péremptoire des conclusions du prévenu dont elle était spécifiquement saisie ;
"alors, au surplus, que les juges ont également laissé sans réponse les conclusions du demandeur soutenant qu'il n'avait pas effectué personnellement les opérations de vérification de la société Comec et que les collaborateurs qualifiés qui en étaient chargés avaient déclaré qu'on leur avait toujours présenté les pièces justificatives réclamées et qu'aucune anomalie n'avait été décelée" ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé au d nom de Jean-Pierre Y... et pris de la violation des articles 457 de la loi du 26 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre Y... coupable de non dénonciation au procureur de la République de faits délictueux dont il avait connaissance ;
"aux motifs qu'il est exact qu'à la fin du mois d'octobre 1985, soit après l'ouverture de la procédure collective d'apurement du passif de la Comec, Y... a écrit au procureur de la République de Senlis pour signaler les faits délictueux qu'il avait constatés sur les comptes clos le 31 décembre 1984, en l'espèce de versements injustifiés d'honoraires à Tetard, en fuite, et non en cause d'appel, et de prestations à certains fournisseurs, les travaux en cause ayant fait, en outre, l'objet de majorations indues dans leur comptabilité ; que, dans cette lettre, Y... précisait que ces faits lui avaient été révélés par des cadres de l'entreprise ajoutant que "l'exercice de notre mission devait nous permettre de confirmer notre opinion" ; qu'il convient, toutefois, de relever que l'exercice 1984 a été clos le 31 décembre 1984, soit plus de dix mois avant cette lettre qui a été adressée au parquet alors que la procédure de liquidation des biens était ouverte et qu'au surplus, de l'aveu même de Y..., il n'avait pas lui-même constaté ces faits mais les avait appris par des déclarations de cadres de l'entreprise ; qu'il est vrai, que Y... avait, auparavant, le 19 mars 1984, adressé au parquet de Senlis une lettre, mais celle-ci se bornait à signaler la tenue tardive de l'assemblée générale des actionnaires appelée à statuer sur les comptes de l'exercice 1982, sans révéler aucun des agissements délictueux des dirigeants de la "Comec" et ci-dessus rappelés ; que dès lors, la Cour confirmera la décision des premiers juges ayant retenu X... ans les liens de ce chef de poursuite ; qu'en ce qui concerne les faits ainsi constatés à la charge de Y..., confirmation d'informations mensongères et non dénonciation au parquet de faits délictueux, la
circonstance que Y... était le beau-père du frère de Jacques C..., gérant de fait de la "société fiduciaire des Hauts-de-Seine" qui tenait les comptes de "Comec" et condamné du chef d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable par le jugement présentement en cause, pour si critiquable qu'elle soit, en raison du manque de réserve dont Y... a fait d preuve, ne saurait pour autant, en l'absence d'incompatabilité légale, être retenu par la Cour comme un élément s'ajoutant à ceux déjà constatés par elle pour caractériser à la charge de ce prévenu les infractions à lui reprochées ;
"alors que, le prévenu ne pouvant se voir reprocher de n'avoir pas dénoncé des faits dont il ignorait l'existence et donc le caractére délictueux, la cassation à intervenir sur le précédent moyen du chef du délit de confirmation d'informations mensongères, doit entraîner l'annulation des dispositions de l'arrêt déclarant le demandeur coupable de non-révélation de faits délictueux ;
"alors, en outre, qu'en se bornant à relever que Y... avait écrit au parquet une fois ouverte la liquidation des biens, sans préciser en quoi il en résultait que la révélation était tardive et, en particulier, sans constater qu'à ce moment une information était ouverte, les juges du fond n'ont pas légalement justifié sa décision ;
"alors, enfin qu'après avoir énoncé que, dans sa lettre, Y... précisait que les faits qui lui avaient été révélés par des cadres de l'entreprise, ajoutant que "l'exercice de notre mission devait nous permettre de confirmer notre opinion", ce qui impliquait qu'il en donnait confirmation au terme de ses propres constatations, la cour d'appel a déclaré que "de l'aveu de Y..., il n'avait pas lui-même constaté ces faits mais les avait appris par des déclarations de cadres de l'entreprise", entachant ainsi sa décision d'une contradiction de motifs" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, pour déclarer Bernard D... et Jean-Pierre Y... coupables, le premier étant secrétaire général de la société anonyme de constructions mécaniques de Creil, notamment de complicité d'escroquerie, le second en qualité de commissaire aux comptes de la même société, de confirmation d'informations mensongères et de non révélation de faits délictueux, la cour d'appel a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments les infractions reprochées ;
d D'où il suit que les moyens, qui remettent en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause soumis au débat contradictoire, ne sauraient être accueillis ;
Sur le premier moyen de cassation proposé au nom de Jean-Pierre Y... et pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a omis de statuer sur la peine en ce qui concerne Jean-Pierre X... ont il a retenu la culpabilité ;
"alors que le juge pénal qui déclare la culpabilité du prévenu doit prononcer simultanément la peine ; que l'omission de statuer sur la peine entraîne la nullité totale de l'arrêt attaqué en ses
dispositions concernant Y..." ;
Attendu qu'il appert du jugement que Jean-Pierre Y... a été condamné à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende ;
Que l'arrêt attaqué, statuant sur les appels des prévenus et du ministère public, confirme pour partie le jugement entrepris ; qu'il ne le réforme que dans des dispositions étrangères au susnommé ; qu'il s'ensuit que la condamnation prononcée à l'encontre de celui-ci, par les premiers juges, conserve son plein et entier effet ;
Que dès lors, le moyen, qui allègue une prétendue omission de statuer sur la peine, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Tacchella conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Gondre conseiller rapporteur, MM. Souppe, Hébrard, Hecquard, Culié, Pinsseau d conseillers de la chambre, MM. Bayet, de Mordant de Massiac, Mme Ferrari, M. Echappé conseillers référendaires, Mme Pradain avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;