AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente janvier mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLIN, les observations de Me BARADUC-BENABENT et de Me VINCENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
Y... Jacques, partie civile,
La COMPAGNIE ASSURANCES GENERALES DE FRANCE,
AGF, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, du 5 mars 1991 qui, dans la procédure suivie contre Rachid X..., notamment du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
d Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, a rejeté la demande que Y... formait pour obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte de clientèle existant à la suite de l'accident dont il a été victime ;
"aux motifs que la partie civile se dit liée à la société Gruvil et son employé ; qu'en conséquence, elle ne peut pas prétendre à être indemnisée pour une perte de clientèle car ce chef de préjudice qui est une conséquence indirecte de l'accident est dépendant du lien qui unit Jacques Y... à son employeur, la SARL Gruvil ;
"alors qu'en ne précisant pas en quoi le lien entre la société Gruvil et Y... excluait toute indemnisation du préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1134 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale, dénaturation ;
"en ce que l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, a rejeté la demande que Y... formait pour obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte des parts sociales à la suite de l'accident dont il a été victime ;
"aux motifs propres et adoptés qu'il résulte des pièces versées aux débats que par décision de l'assemblée générale extraordinaire des associés du 29 décembre 1986, la société Gruvil a été mise en sommeil et que, par décision de la même assemblée du 5 décembre 1988, il a été décidé de la liquidation de la société ; que c'était une décision interne, qui lui était propre et dépendait de la volonté de ses membres ; que Jacques Y... réclame le remboursement du capital qu'il avait investi dans cette société ; qu'il n'est cependant nullement démontré que son indisponibilité soit à l'origine de la liquidation de la société Gruvil d'autant que la cessation d'activité de la société n'est intervenue que plus d'un an après l'accident et que la société Gruvil a été, comme indiqué précédemment, indemnisée de son propre préjudice ; qu'en tout état de cause, Jacques Y... ne justifie pas du non-remboursement de ses parts après la liquidation ; d que si cette décision, qui pouvait avoir pour conséquence une perte de valeur des parts
sociales, était une conséquence de l'accident c'était indirectement et qu'il s'ensuit que la partie civile ne peut prétendre être indemnisée de ce chef ;
"alors que la résolution du 29 décembre 1986 versée aux débats énonce que la mise en sommeil de la société Gruvil était motivée par l'indisponibilité de Y... ; qu'en retenant dès lors que ce dernier ne démontrait pas que son indisponibilité fût à l'origine de la liquidation de la société, la cour d'appel a méconnu les terme clairs et précis de la résolution" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jacques Y..., représentant exclusif au service de la SARL Gruvil, a été victime le 25 septembre 1985 d'un accident dont Rachid X... a été déclaré responsable ; qu'ayant subi une incapacité de travail, totale de 18 mois puis de 20 % pendant 19 mois, et demeurant atteint d'une incapacité permanente de 10 %, il a réclamé au prévenu, non seulement la réparation de ces chefs de dommage, mais encore l'indemnisation d'une perte de clientèle et de la perte de valeur des parts qu'il détenait dans la société ;
Attendu que, pour rejeter ces dernières prétentions, la juridiction du secon egré relève que la société Gruvil au sein de laquelle Jacques Y... était titulaire de 340 parts sur 1 000 a été "mise en sommeil" plus d'un an après l'accident, jusqu'à sa dissolution le 30 juin 1987, par "une décision interne, qui lui était propre et dépendait de la volonté de ses membres " ; que les juges retiennent en outre que la partie civile n'apporte "aucune preuve objective" quant à la composition de la clientèle alléguée avant l'accident et après son indisponibilité", qu'il en va de même de sa réclamation portant sur la perte de parts sociales et qu'en out cas ces préjudices ne seraient qu'en relation indirecte avec cet accident ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance et procédant de l'appréciation souveraine par les juges du fon es éléments de preuve soumis au débat contradictoire, desquels ils ont pu déduire que n'étaient établies ni l'existence des préjudices allégués, ni en tout cas celle d'un lien de causalité les usissant à l'accident, la cour d'appel n'encourt pas les griefs allégués ; d
D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation pis de la violation des articles 1382 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, a rejeté la demande que Y... formait pour obtenir la réparation du préjudice d'agrément à la suite de l'accident dont il a été victime ;
"aux motifs que le préjudice d'agrément allégué par la partie civile n'est pas suffisamment prouvé au regar u taux d'incapacité partielle permanente de 10 % qui subsiste ; qu'en effet, les attestations des personnes non médicalement qualifiées ne sont pas probantes ; que si l'expert retient que certaines positions sont douloureuses, il ne fait pas état d'un préjudice d'agrément spécifique ;
"alors qu'en constatant que certaines positions étaient douloureuses sans rechercher si celles-ci n'interdisaient pas à la partie civile de pratiquer, ainsi qu'elle l'alléguait, le ski et le vélo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, sous couleur de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine des éléments de la cause contradictoirement débattus au vu desquels les juges du fond, par des motifs exempts d'insuffisance, ont estimé que la partie civile ne justifiait pas d'un préjudice d'agrément en relation avec l'accident ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Blin conseiller rapporteur, MM. de Bouillane e Lacoste, Jean Simon, Carlioz, Jorda conseillers de la chambre, MM. Louise, Maron, Mmes Batut, Ferrari, M. Echappé conseillers référendaires, M. Robert avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;