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30/01/1992 | FRANCE | N°91-81131

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 janvier 1992, 91-81131


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le 30 janvier mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de Me K..., de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, de Me Le PRADO et de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;

Statuant s

ur les pourvois formés par :

F... Daniel, prévenu

La CAISSE REGIONALE d'A...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le 30 janvier mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de Me K..., de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, de Me Le PRADO et de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;

Statuant sur les pourvois formés par :

F... Daniel, prévenu

La CAISSE REGIONALE d'ASSURANCES MUTUELLES

AGRICOLES des ALPES-MARITIMES (CRAMA), partie intervenante,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-en-PROVENCE, chambre correctionnelle, en date du 21 décembre 1990 qui d a condamné le premier, pour homicide et incendie involontaires, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Daniel F... et pris de la violation des articles 320-1 du Code pénal, L. 322-5 du Code forestier, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré F... coupable d'incendie involontaire et d'homicide involontaire pénalement et civilement ;

"aux motifs que dès les premiers instants de l'enquête, les militaires de la gendarmerie, à travers leurs constatations et les premiers témoignages, s'estimaient en mesure d'affirmer que l'incendie avait pris naissance dans une zone de serres ou de planches (restanques) non couverte, à l'intérieur plus précisément, du secteur constitué par les propriétés J... et F..., en un point que les enquêteurs et les experts ne devaient pas néanmoins réussir à déterminer avec une absolue certitude ;

"que pour tenter de surmonter les nombreuses contradictions et incertitudes demeurant à l'issue des investigations effectuées jusqu'à la fin de l'année 1986, et en raison des erreurs indéniables commises par les enquêteurs sur le processus de déclenchement du grave incendie, un collège d'experts a été désigné, ce dernier a déposé son rapport en août 1988 concluant que l'incendie litigieux a bien pris naissance sur la propriété F..., mais indirectement, en ce sens que la cause la plus probable du sinistre est la réactivation du fait d'un vent important du foyer allumé le 24 juillet au matin (et observé par plusieurs personnes vers 6 heures, 7 heures et vers 10 heures, 10 heures 30), ce foyer ayant très vraisemblablement constitué l'allumette qui a mis le feu à la propriété J... par transport d'escarbilles sous l'effet du violent vent d'ouest... ;

"que si les frères F... ont toujours contesté avoir incinéré des végétaux le 24 juillet au d matin, il ressort très nettement de la déclaration de M. A... que ce matin-là, un feu de végétaux était allumé dans le quartier des serres à l'endroit où il avait déjà constaté un feu la veille... ;

"que les experts ont exclu l'acte de malveillance, une imprudence de fumeur commise par un tiers et une mise à feu accidentelle par l'effet de loupe, le passage d'un individu dans cette zone étant particulièrement difficile sans attirer l'attention de Daniel F... ou de M. J..., la moyenne corniche étant trop haute pour que puisse être sérieusement envisagée l'hypothèse d'un jet de cigarette par un automobiliste ou un passant, et un concours de circonstances très favorable étant nécessaire pour permettre la réalisation de cette hypothèse (telle que la présence d'un tesson de bouteille en verre épais faisant office de lentille convergente, verre beaucoup mieux exposé aux rayons solaires que dans un terrain en friche comme la propriété J..., ou la convergence des rayons solaires sur une surface très réduite et sur des débris secs, suffisamment divisé)... ;

"que dans ces conditions, l'hypothèse la plus vraissemblable leur est apparue être la projection d'escarbilles à partir du foyer allumé le 24 au matin et réactivé sous l'effet des conditions météorologiques inhabituelles... ;

"qu'ils considèrent sur la base des déclarations formelles des témoins X..., B..., G..., H..., E..., J... et C... la présence d'une fumée blanche, dans la propriété F..., le 24 juillet 1986 au matin doit être tenue pour acquise... ;

"qu'en effet, si F... conteste les conclusions des experts, il apparaît au-delà de leurs querelles sur les circonstances de la propagation du feu- que l'incendie a bien trouvé son origine dans l'écobuage pratiqué par Daniel F... le 23 juillet et surtout, avec une quasi-certitude, le 24 ;

"que MM. G... et J... n'ont pas été les seuls à apercevoir la fumée dans la zone des serres, puisqu'en ont également fait état, au début des investigations, MM. A... et B... en 1988, dans le cadre d'une commission rogatoire confiée à la gendarmerie de Rueil-Malmaison, M. H... a indiqué avoir vu de la fumée vers 10h00 du côté des serres, MM. X..., E... et C..., ont également vu, de la d maison Broquert, de la fumée s'élever du côté des serres... ;

"qu'au-delà des contradictions entre des experts et la difficulté voire l'impossibilité pour certains témoins de donner toutes les précisions souhaitables sur l'origine de la fumée aperçue dans la matinée du 24 juillet, et en dépit du fait qu'une partie des traces de feu relevées par notamment les témoins Bouin, Masini et Massias étaient anciennes, il a été néanmoins constaté qu'une partie des traces suspectes étaient récentes et provenaient bien du feu du 24 juillet 1986 ... ;

"qu'en définitive, l'incendie a bien trouvé sa cause première dans un feu allumé dans la propriété F..., le feu réactivant le foyer mal éteint du matin puis soulevant et projetant une escarbille (voire plusieures escarbilles) sur le terrain J..., ce qui a déclenché l'incendie qui devait ravager en 36 heures 1 000 à 1 200 ha de forêt ;

"alors que d'une part, en l'état de telles énonciations, qui reprenant les conclusions du rapport du collège d'experts n'établissent aucunement de manière certaine la cause de l'incendie du 24 juillet 1986 mais bien au contraire prétendent retenir comme cause de ce sinistre l'explication le plus probable, à savoir selon

la conviction des experts, un feu allumé par F... le matin du 24 qui aurait projeté des escarbilles sur le fond J..., en écartant par ailleurs d'autres causes éventuelles telles de malveillance, le fait d'un tiers ou un effet de loupe, non pas parce qu'une telle cause aurait été reconnue comme impossible par les experts, mais uniquement parce qu'ils l'ont tenue comme moins vraissemblable, la Cour qui tout en relevant par ailleurs à diverses reprises les incertitudes et contradictions se dégageant du dossier de l'information a néanmoins considéré que la cause de l'incendie résidait bien dans un feu allumé par F... dont elle a par conséquent retenu la responsabilité, n'a pas, par de telles considérations totalement hypothètiques, établi de manière certaine l'origine de l'incendie, ni dès lors légalement justifié sa décision, seuls des faits reconnus comme certains par les juges du fond pouvant, en effet, justifier une déclaration de culpabilité laquelle ne saurait être fondée sur une simple probabilité quelle qu'en soit l'importance ;

"alors que d'autre part, la Cour qui, pour d tenir acquis que F... aurait allumé un feu le matin du 24 juillet prétend se fonder sur divers témoignages dont elle affirme dans un premier temps qu'ils établissent l'existence d'un feu ce jour-là sur le fond de F... pour ensuite constater que leurs auteurs ont en réalité indiqué avoir vu un feu dans la zone des serres et relève elle-même la difficulté voire même l'impossibilité pour certains témoins de donner toutes les précisions souhaitables sur l'origine de la fumée aperçue dans la matinée du 24 juillet, n'a pas en l'état de ces énonciations entachées de contradiction et d'insuffisance davantage établi de manière certaine l'existence des faits reprochés à F..." ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Daniel F... et pris de la violation des articles 320-1 du Code pénal, L. 322-5 du Code forestier, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusion, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré F... coupable d'homicide involontaire et d'incendie involontaire, pénalement et civilement ;

"aux motifs que la cause la plus probable du sinistre est la réactivation du fait d'un vent important du foyer allumé le 24 juillet au matin, ce foyer ayant très vraissemblablement constitué l'allumette qui a mis le feu à la propriété J... par transport d'escarbilles sous l'effet du violent vent d'ouest ;

"que si Daniel F... pour affirmer que le feu a trouvé un terrain favorable dans la propriété J... et que là se trouve la source de déclenchement de l'incendie, s'appuie essentiellement sur les rapports d'expertise demandés à trois experts, MM. D..., Z... et Y..., en réalité, les experts missionnés par la CRAMANA semblent avoir confondu l'étincelle originelle qui a déclenchée l'incendie litigieux et le lieu où il a trouvé toutes les conditions favorables en l'absence de débroussaillement tant à son point de départ qu'à son développement ultérieur, ils ne se sont guère interrogés sur l'origine de cette étincelle, s'attachant essentiellement à mettre en exergue l'environnement propice existant indéniablement sur la propriété voisine, en définitive, l'incendie a bien trouvé sa cause première dans un feu allumé sur la propriété

F..., le vent réactivant le foyer mal éteint du matin, puis soulevant et projetant une ou des escarbilles sur le terrain J... ; d

"alors que les rapports d'expertises effectuées à la demande de Ribero par MM. D... et Y... ayant exclusivement pour objet d'établir les particularités géologiques et climatiques de la région de l'incendie lesquelles cumulées ont pour effet de détourner le vent d'ouest vers le sud-ouest circonstance susceptible d'infirmer l'hypothèse du collège d'experts retenue par la Cour et fondée sur un transport, en direction de la propriété J... par un vent d'ouest, d'escarbilles provenant d'un feu prétendument allumé par F..., la Cour qui a ainsi écarté ces rapports d'expertise au motif totalement inopérant que leurs auteurs ne se seraient pas interrogés sur l'origine de l'étincelle sans par conséquent examiner l'incidence que pouvaient avoir ces données climatiques et géologiques sur l'appréciation des faits ni se prononcer sur l'opportunité d'un supplément d'informations portant sur cette question précise que n'avait pas traitée le collège d'experts et que sollicitait le cas échéant F... dans ses écritures n'a pas là encore davantage justifié sa décision" ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour la CRAMA et pris de la violation des articles 319, 320-1 du Code pénal, de l'article L. 322-5 (devenu L. 322-9) du Code forestier, article 1382 du Code civil, articles 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, déclare Daniel F..., coupable des délits d'homicide involontaire et d'incendie involontaire et entièrement responsable des préjudices résultant de l'incendie du 24 juillet 1986 ;

"aux motifs qu'au delà de la querelle d'experts sur les circonstances de la propagation du feu, il apparaît que l'incendie a bien trouvé son origine dans l'écobuage pratiqué par Daniel F..., le 23 juillet et surtout, avec une quasi-certitude, le 24 ; qu'au delà des contradictions entre les experts et de la difficulté, voire de l'impossibilité de donner toute précision souhaitable sur l'origine de la fumée aperçue dans la matinée du 24 juillet, il a été néanmoins constaté qu'une partie des traces suspectes était récente et provenait bien du feu du 24 juillet 1986 ; que la divergence entre l'expert I... et les trois experts nationaux quant au point de départ du feu, ne doit pas faire oublier les points de convergence, d décisifs, tendant en toute hypothèse à cette conclusion identique que le foyer allumé en dépit de l'interdiction préfectorale, est à l'origine du sinistre ; que l'intéressé avait l'habitude d'allumer ce type de feu sur son terrain et que l'extinction complète de ce genre de foyer, ne constituait pas, le plus souvent, son souci primordial ; que l'incendie a bien trouvé sa cause première dans un feu allumé sur la propriété F..., le vent réactivant le foyer mal atteint du matin, puis soulevant et projetant une escarbille sur le terrain J... ; que la relaxe avant tout fondée sur l'absence de propagation d'un feu direct et continue sur le fond J..., à partir de la propriété Ribero n'est pas justifiée ; que l'article 322-5 du Code forestier n'impose nullement pour son application que le prévenu ait directement allumé l'incendie pour lequel il est poursuivi ;

qu'ainsi, il existe un faisceau de présomptions, précises, graves et concordantes pour retenir la double prévention d'homicide involontaire et d'incendie involontaire ;

"alors que la culpabilité doit être certaine et que le doute doit profiter au prévenu ; qu'en l'état des "contradictions" et de la "divergence" entre les experts, relevées par l'arrêt attaqué, sur l'origine et les circonstances du sinistre, la cour d'appel ne pouvait fonder la culpabilité du prévenu sur une simple "quasi-certitude" que l'incendie trouvait son origine dans un écobuage qui aurait été pratiqué le jour même par le prévenu ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un incendie est survenu le 24 juillet 1986, au cours duquel une personne est décédée, tandis que plus de 1 000 hectares de forêts ont été dévastés ;

Attendu que pour retenir la culpabilité de Daniel F... des chefs d'homicide et incendie involontaires, la cour d'appel, après avoir analysé les différents rapports d'expertise, énonce que l'incendie a trouvé son origine dans l'écobuage pratiqué par le prévenu sur sa propriété dans une zone à risque ainsi que cela résulte des divers témoignages recueillis ; que le vent réactivant le foyer mal éteint, une escarbille a été projetée sur le terrain J..., ce qui a déclenché l'incendie ; que les juges en déduisent qu'il existe un faisceau de présomptions précises, graves et concordantes permettant de retenir la double prévention d'homicide et d'incendie involontaires ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dénuées de caractère hypothètique, et fondées sur l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve qui leur étaient soumis, la cour d'appel a caractérisé sans insuffisance ni contradiction les éléments constitutifs des délits reprochés au prévenu et notamment le lien de causalité existant entre sa faute et les dommages subis ;

Qu'ainsi les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. de Bouillane de Lacoste conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Ferrari conseiller rapporteur, MM. Jean Simon, Blin, Carlioz, Jorda conseillers de la chambre, MM. Louise, Maron, Mme Batut, M. Echappé conseillers référendaires, M. Robert avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 91-81131
Date de la décision : 30/01/1992
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'AIX-en-PROVENCE, chambre correctionnelle, 21 décembre 1990


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 30 jan. 1992, pourvoi n°91-81131


Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1992:91.81131
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