AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept janvier mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de la société civile professionnelle LESOURD et BAUDIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;
Statuant sur les pourvois formés par :
1°) X... Simon, prévenu
2°) Y... David, prévenu
3°) La SA NOTAXIS
4°) la SARL EVLICO,
5°) la SARL FRANJECO,
6°) la SARL NAHARIA,
7°) la SA MOGIL et Compagnie,
8°) la SA BREMHES-TAXIS, civilement
responsables,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre correctionnelle, en date du 19 octobre 1990, qui, pour prestations de service sans facture, a condamné les deux premiers, chacun à 10 000 francs d'amende, et a déclaré les sociétés susvisées civilement responsables ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, des principes généraux du droit, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. X... et Y... coupables d'infractions aux règles de la facturation ;
"aux motifs qu'il est établi qu'au cours de la période visée par la prévention, il est arrivé à Emile Z... de tenir une comptabilité occulte de diverses sommes qu'il recevait de certains artisans, chauffeurs de taxi, et qu'il n'est pas allégué qu'il ait agi pour son propre compte ; qu'il s'ensuit que, vis-à-vis de certains chauffeurs de taxi, X... et Y... ont effectué des facturations incomplètes ;
"alors, d'une part que nul n'est passible de peines qu'à raison de son fait personnel ; que la cour n'a aucunement constaté que les agissements délictueux relevés à l'encontre de Z... aient résulté d'instruction de la part des prévenus ; qu'au contraire, la constatation du caractère exceptionnel de ces agissements et le fait, relevé par la Cour, que Z... ait toujours déclaré avoir agi de sa propre initiative sont exclusifs de toute faute personnelle de la part des prévenus en sorte que la condamnation prononcée à leur encontre n'est pas légalement justifiée ;
"alors d'autre part que dans leurs conclusions, régulièrement déposées devant la Cour, les prévenus faisaient valoir que les états prévisionnels considérés par l'arrêt comme une comptabilité occulte, avaient un caractère d'aide-mémoire, propre au comptable et que, saisie de ce chef précis des conclusions des prévenus, la cour d'appel ne pouvait, sans contredire les pièces de la procédure, fonder sa décision de condamnation des dirigeants des sociétés sur
la considération qu'il n'est pas allégué qu'Emile Z... ait agi pour son propre compte" ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale, vice de forme ;
"en ce que l'arrêt attaqué a omis de statuer sur la demande de complément d'expertise, figurant dans les conclusions régulièrement déposées par les prévenus devant la Cour ;
"alors d'une part, qu'aux termes de l'article 593 du Code de procédure pénale, sont déclarés nuls les arrêts rendus en dernier ressort lorsqu'il a été omis de prononcer sur une ou plusieurs demandes des parties ; que tel est le cas en l'espèce où l'arrêt attaqué n'a répondu ni dans ses motifs, ni dans son dispositif à la demande de complément d'expertise, formulée par les prévenus ;
"alors d'autre part, en tout état de cause, qu'il appartient aux juges correctionnels d'ordonner les mesures d'instruction dont la nécessité ressort de leurs énonciations ; que la Cour qui constatait expressément que les éléments de preuve fournis par la défense n'étaient pas incompatibles avec ceux qui résultent de l'enquête de police, que les données numériques retenues tant par les enquêteurs de la DNEF que par l'expert résultent de reconstitutions effectuées à partir de sondages dans les documents compatibles saisis, qu'elles sont donc contestables compte tenu des éléments de preuve partiels réunis et que la défense relève, sans être utilement contestées plusieurs invraisemblances résultant des évaluations avancées par l'expert relatives notamment au nombre de jours d'utilisation des véhicules, ne pouvait sans contradiction retenir les prévenus dans les liens de la prévention sans se prononcer sur une demande de complément d'expertise dont elle reconnaissait elle-même la nécessité" ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué est entré en voie de condamnation à l'encontre des prévenus du chef d'infraction aux règles de la facturation ;
"alors qu'en n'examinant pas les chefs péremptoires des conclusions des prévenus faisant valoir notamment que l'expert, commis par le tribunal, avait expressément relevé la parfaite concordance entre les factures remises aux chauffeurs et celles qui ont été retranscrites dans la comptabilité des sociétés ou des entreprises concernées et la conformité des relevés de facturation aux factures émises et comptabilisées et qu'il était incompréhensible que M. A... n'ait pas tiré des conséquences de ces constatations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 6 du Code de procédure pénale et dénaturation de l'arrêt de la Cour de Versailles en date du 24 mars 1989 ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. X... et Y... coupables d'infraction aux règles de la facturation ;
"aux motifs qu'à l'occasion d'une enquête effectuée le 3 juin 1983 par les agents de la direction nationale des enquêtes fiscales, ont été saisies entre les mains d'Emile Z..., comptable des sociétés et de l'entreprise en cause, des feuilles de roulage manuscrites
établies par lui-même, correspondant aux versements effectivement remis entre ses mains en numéraire, tous les huit jours ou tous les deux ou trois jours, par les artisans chauffeurs de taxi, qui se rendaient dans son bureau ; que les mentions portées sur ces états, relatives à des accidents du travail, à des abandons de véhicule, à des départs ou à des absences de chauffeurs, sont incompatibles avec les indications pouvant figurer sur des états provisionnels et montrent à l'évidence qu'il s'agit en réalité d'une comptabilité occulte ; que la Cour qui a ordonné un supplément d'information dans une procédure suivie sur citation directe, a désiré être informée de l'ampleur éventuelle des défauts de facturation ou des facturations incomplètes reprochées aux prévenus ;
"alors d'une part que l'arrêt attaqué a fondé la déclaration de culpabilité des prévenus sur une prétendue constatation de culpabilité contenue dans l'arrêt avant dire droit du 24 mars 1989 dans lequel, en réalité, les magistrats avaient laissé entière la question de la culpabilité des prévenus qui ne devait être tranchée qu'après l'exécution des mesures d'instruction qu'ils ordonnaient ; d
"alors d'autre part qu'en énonçant que la cour qui aurait ainsi d'ores et déjà admis dans son arrêt du 24 mars 1989 le principe de la culpabilité des prévenus-n'avait désiré être informée que de l'ampleur des défauts de facturation ou des facturations incomplètes reprochés au prévenu, laissant ainsi entendre que les défauts de facturation ou facturations incomplètes étaient déjà tenus pour acquis dans son arrêt du 24 mars 1989, ce qui ne concordait ni avec les motifs de cet arrêt, ni avec la mission d'expertise très large confiée à l'expert A... de laquelle il ressortait clairement que la question de la culpabilité des prévenus restait entière, l'arrêt attaqué a dénaturé l'arrêt du 24 mars 1989 en sorte que la cassation est encourue" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve de sousfacturations était rapportée à la charge des prévenus, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision ;
Que les moyens, qui se bornent, sous le couvert de prétendus défaut de réponse à conclusions et dénaturation de l'arrêt avant dire droit, à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Tacchella conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Culié conseiller rapporteur, MM. Souppe, Gondre, Hébrard, Hecquard, Pinsseau conseillers de la chambre, MM. Bayet, de Mordant d de Massiac, Mmes Batut, Ferrari, M. Echappé conseillers
référendaires, M. Robert avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;