AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quatorze janvier mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de la société civile professionnelle DESACHE et GATINEAU, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
X... Mouloud,
contre l'arrêt n° 325/91 de la chambre d'accusation de la cour d'appel de ROUEN, en date du 10 octobre 1991, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a dit n'y avoir lieu à annulation de pièces de la procédure, et ordonné le renvoi du dossier au juge d'instruction pour continuation de l'information ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 9 décembre 1991, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ; d
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 171, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen, saisie par le juge d'instruction d'une requête en annulation de la procédure ouverte contre X..., pour infractions à la législation sur les stupéfiants, a dit n'y avoir lieu à annulation d'aucun acte de la procédure ;
"aux motifs que le magistrat instructeur n'étant saisi que des infractions à la législation sur les stupéfiants et non des infractions douanières, il n'appartient pas à la chambre d'accusation de statuer sur les éventuelles irrégularités d'une procédure dont le magistrat instructeur n'est pas saisi ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner les conditions dans lesquelles X... et sa compagne ont été interpellés par les services des douanes, puis placés sous le régime de la détention douanière et entendus ;
"alors que le juge d'instruction peut saisir la chambre d'accusation d'une demande d'annulation de tous les actes de procédure irréguliers ; qu'en outre les actes annexés à une procédure déjà ouverte s'incorporent à cette procédure et peuvent donc, conformément au droit commun, faire l'objet d'une requête en annulation ; qu'en l'espèce il est constant que la procédure douanière, dont faisaient partie les actes litigieux (interpellation, détention, et audition de l'inculpé et de sa compagne), a été annexée à la procédure d'information peu après l'ouverture de celle-ci ; que dès lors les actes de cette procédure pouvaient être déférés à la chambre d'accusation au même titre que n'importe quel autre acte de la procédure ultérieure ; qu'en décidant le contraire, la chambre d'accusation qui avait pourtant constaté que la procédure douanière avait été annexée à la procédure d'information déjà ouverte, n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qu'elles comportaient et a violé les textes visés au moyen" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; b que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que les agents de l'administration des Douanes, alertés par la brigade de gendarmerie de Val de Reuil, ont tenté, dans cette localité, le 10 septembre 1991, de contrôler un véhicule conduit par Mouloud X... ; que le conducteur a pris la fuite, en se débarrassant de deux boîtes qui ont été récupérées par les agents des douanes, et qui contenaient 32 grammes d'héroïne ; qu'après avoir procédé à l'interpellation et à l'audition d'X..., les agents des douanes l'ont remis, le 11 septembre 1991 à 18 heures, aux enquêteurs de la brigade de gendarmerie, qui ont procédé en flagrant délit ; que par réquisitoire introductif du 13 septembre 1991, se référant à la procédure de la brigade de gendarmerie, le procureur de la République d'Evreux a saisi le juge d'instruction d'une information, notamment contre X..., des chefs d'importation, acquisition, offre, détention, transport, vente, usage de stupéfiants, en visant les articles L. 626, L. 627 et suivants, R. 5149 du Code de la santé publique ;
Attendu qu'après avoir décerné contre l'inculpé, à la même date du 13 septembre 1991, une ordonnance d'incarcération provisoire, le juge d'instruction a différé le débat contradictoire sur la détention au 17 septembre suivant ; qu'à cette date, en dépit des conclusions du conseil de l'inculpé contestant la validité de la procédure, le juge d'instruction a ordonné le placement en détention provisoire d'X... ;
Attendu que postérieurement à cette décision, le Parquet a transmis au juge d'instruction les procès-verbaux dressés par les agents des douanes, sans formuler de réquisitions supplétives ;
Attendu que par requête du 30 septembre 1991, le juge d'instruction a saisi la chambre d'accusation, sur le fondement de l'article 171 du Code de procédure pénale, afin qu'il soit statué sur la régularité de l'interpellation d'X..., de sa rétention et de son audition par les services des douanes, puis de sa garde à vue au cours de la procédure judiciaire ;
Attendu que pour dire n'y avoir lieu à annulation de pièces, la chambre d'accusation énonce notamment qu'il ne lui appartient pas de statuer sur les éventuelles irrégularités d'une procédure dont le d magistrat instructeur n'est pas saisi, et que l'information étant limitée à des infractions de droit commun, il n'y a pas lieu d'examiner les conditions dans lesquelles X... a été interpellé par les services des douanes, puis placé sous le régime de la rétention douanière, et entendu ;
Mais attendu que les juges ajoutent que l'inculpé a été "remis régulièrement" le 11 septembre 1991 à 18 heures par les agents des douanes aux services de gendarmerie, puis gardé à vue sans violation des prescriptions résultant des articles 63 du Code de procédure pénale, et L. 627-1 du Code de la santé publique ;
Attendu qu'en affirmant la régularité de la remise de l'inculpé par les services des douanes aux enquêteurs de gendarmerie, tout en s'abstenant d'examiner la régularité de ceux des actes de la procédure douanière qui étaient indissociables de la procédure judiciaire et qui lui étaient déférés par la requête du juge d'instruction, la chambre d'accusation a privé sa décision de base légale ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt n° 325/91 de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen du 10 octobre 1991 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Guerder conseiller rapporteur, MM. Zambeaux, Dardel, d Dumont, Fontaine, Milleville, Alphand, Pinsseau, Jorda conseillers de la chambre, Mme Pradain avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;