AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Colette X..., conserverie du Val d'Elle à Cerisy la Forêt (Manche),
en cassation d'un arrêt rendu le 5 janvier 1989 par la cour d'appel de Caen (1re chambre), au profit de M. Roland Y..., exploitant individuel sous la marque Asial, demeurant lieudit La Goubanderie, Montmartin en Craignes, Saint-Jean de Daye (Manche),
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 5 mars 1991, où étaient présents : M. Defontaine, président, M. Le Dauphin, conseiller référendaire rapporteur, M. Hatoux, conseiller, M. Patin, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Le Dauphin, conseiller référendaire rapporteur, les observations de Me Ryziger, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Patin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne défaut contre M. Y... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat du 19 septembre 1983 Mme X... a accordé à M. Y... la quasi-exclusivité de la vente en France et à l'étranger de différents produits fabriqués par son entreprise, tels que beignets crûs et cuits, crevettes salées, lasagnes et plats cuisinés ; qu'en contrepartie M. Y... lui a consenti un prêt de 150 000 francs ; que par une seconde convention du 12 juin 1984 M. Y... s'est engagé à acquérir auprès de Mme X... des beignets à raison de 6 000 sachets par jour en 1984 et de 12 000 sachets par jour en 1986 et 1987 ; que chaque partie a, en outre, conclu avec l'Etat des conventions leur permettant de bénéficier de prêts à charge pour elles d'accroitre les effectifs de leurs entreprises ; que M. Y..., soutenant avoir été trompé sur la qualité des produits en cause essentiellement les beignets de crevettes, a assigné Mme X... en résolution des conventions susvisées ainsi qu'en paiement de dommages et intérêts ; que Mme X..., faisant valoir que M. Y... avait manqué à ses obligations, a formé une demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la cour d'appel a prononcé la résiliation "du contrat" conclu entre Mme X... et M. Y... ;
Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que les parties s'étaient liées par deux conventions des 19 septembre 1983 et 12 juin 1984, ayant des objets distincts, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis, pris en leurs diverses branches :
Vu l'article 1184 du Code civil ;
Attendu que pour prononcer la résiliation du contrat aux torts réciproques des parties et débouter Mme X... de sa demande en dommages et intérêts l'arrêt, après avoir relevé qu'à partir du
1er août 1984 M. Y... avait pris en charge la friture
des beignets, retient que l'examen des différentes attestations produites aux débats par l'une ou l'autre des parties ne permet pas de considérer que la qualité du produit était constante et satisfaisante ; qu'il n'est pas possible de savoir si les défauts incriminés provenaient de la fabrication elle-même ou de la cuisson, chacune des parties invoquant les déficiences de l'autre et une mesure d'expertise se révélant désormais inutile, eu égard à la nature du produit ; qu'ainsi il convient de prononcer la résiliation du contrat à leurs torts réciproques ; qu'en conséquence chacune des parties est déboutée de sa demande de dommages-intérêts et conservera la charge des remboursement des emprunts contractés auprès de l'Etat ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que M. Y..., qui n'invoquait aucune cause étrangère exonératoire de responsabilité, s'était engagé à acquérir auprès de sa cocontractante des quantités déterminées de produits et qu'il ne rapportait pas la preuve qu'une défectuosité de ces produits imputable à Mme X... fût à l'origine de l'inexécution de cette obligation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que l'arrêt a, en outre, condamné Mme X... à rembourser à M. Y... la somme de 150 000 francs représentant le montant du prêt que celui-ci lui avait consenti ;
Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que ce prêt était stipulé remboursable "sur une période de cinq ans" au cas où l'exclusivité accordée à M. Y... ne serait pas poursuivie, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du quatrième moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 janvier 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne M. Y..., envers Mme X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Caen, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé l'audience publique du seize avril mil neuf cent quatre vingt onze, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.