AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingtdeux janvier mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DUMONT, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
Y... René
contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 30 novembre 1989, qui l'a condamné, pour défaut de tenue du registre prévu par l'article R. 221-10 du Code du travail, à neuf amendes de 1OO francs, pour omission de transmettre à l'inspection du travail un duplicata de l'affiche mentionnée à l'article L. 620-2 dudit Code, à une amende de 400 francs, pour inobservation du repos hebdomadaire à l'égard de six salariés, à six amendes de 1 000 francs, pour dépassement de la durée maximale d quotidienne de travail à l'égard de cinq salariés, à cinq amendes de 1 000 francs, pour dépassement de la durée maximale hebdomadaire du travail à l'égard de cinq salariés, à cinq amendes de 1 000 francs, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 551, 565 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation ;
"aux motifs adoptés que la citation mentionne de façon précise les faits reprochés à Y..., la date des faits ainsi que le lieu de leur commission ; que s'agissant des faits poursuivis, de la date et du lieu de commission de ceuxci, la citation indique les noms et prénoms des sept salariés concernés par l'absence de repos hebdomadaire ; que cette précision suffit à permettre au prévenu de savoir exactement ce qui lui est reproché ; que la citation ne comporte aucune irrégularité de nature à porter atteinte aux droits de la défense (jugement entrepris, p.4 alinéa 13, p. 5 alinéas 2, 3 et 5) ;
"alors que la citation doit énoncer les faits poursuivis de manière suffisamment précise pour que le prévenu ne soit pas laissé dans l'incertitude des termes de la prévention ; que la citation litigieuse visait en l'espèce pas moins de sept infractions différentes ; qu'elle n'énoncait pas les noms des salariés concernés, ormis pour l'absence de repos hebdomadaire ; qu'elle n'indiquait pas la date des faits reprochés puisqu'il était seulement mentionné que ceuxci se seraient produits "entre janvier 1986 et janvier 1988" soit à des dates pour partie antérieures de un an à la rédaction du procèsverbal interruptif de prescription ; que Y... n'était dès lors pas en mesure de préparer utilement sa défense ; qu'en énonçant le contraire la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que la juridiction du second degré a confirmé à bon droit la décision du premier juge ayant écarté l'exception de nullité de la citation soulevée par le prévenu ; que, malgré l'imprécision de cet acte quant à la date des faits reprochés et l'absence
d'indication pour certains d'entre eux du nombre des d salariés concernés, aucune atteinte n'a été en effet portée aux intérêts de René Y... dès lors qu'il résulte de ses conclusions devant le premier juge qu'il avait eu connaissance des faits de la poursuite dans leur intégralité ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 611-10, L. 611-12 du Code du travail 28 et 429 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité du procèsverbal du 18 février 1988, base des poursuites ;
"aux motifs que les contrôleurs du travail ont qualité pour constater et relever les infractions ; que si les dispositions combinées des articles L. 611-10 du Code du travail et 28 du Code de procédure pénale ne donnent pas expressément compétence au contrôleur du travail pour constater par procèsverbal les infractions, l'article 429 du Code de procédure pénale dispose que tout procèsverbal n'a de valeur probante que si son auteur a agi dans l'exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence, ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement (jugement entrepris, p. 5 alinéas 6, 7 et 8) ; que le pouvoir de constater et relever les infractions implique nécessairement la faculté d'établir un procèsverbal ;
"alors que seul l'inspecteur du travail dispose légalement du pouvoir de constater les infractions par des procèsverbaux ; que si le contrôleur du travail est habilité à constater les infractions, il doit faire un rapport transmis à l'inspecteur du travail lequel est seul compétent pour dresser un procèsverbal ; qu'en énonçant que le contrôleur du travail avait le pouvoir de dresser un procèsverbal d'infraction, motif pris de ce que ce pouvoir serait nécessaire à l'accomplissement de sa mission, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que si l'article L. 611-10 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juillet 1989 applicable lors de la commission des faits reprochés, ne mentionne pas les contrôleurs du travail parmi les fonctionnaires qui constatent les infractions au Code du travail par des procèsverbaux, l'article L. 611-12, dans sa rédaction antérieure à ladite loi, prévoit qu'ils ont qualité pour constater et d relever les infractions ; que les juges du fond en ont déduit à bon droit qu'ils ont aussi le pouvoir d'établir les procèsverbaux relatant leurs constatations ;
Que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 212-1 alinéa 2, L. 212-7 alinéa 2, R. 261-3, R. 261-4, L. 221-1, L. 221-4 du Code du travail, 429 et 593 du Code de procédure pénale ; violation de la présomption d'innocence et des droits de la défense ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Y... coupable des infractions d'omission d'accorder le repos hebdomadaire de 24 heures, de dépassement de la durée quotidienne et de la durée hebdomadaire de travail ;
"aux motifs qu'il résulte des éléments du dossier que le contrôleur
du travail a constaté après investigation que six salariés n'avaient pas régulièrement bénéficié du "repos modérateur" sur une période allant de novembre 1986 à novembre 1987 ; qu'à 96 reprises la durée maximale du travail journalier avait été dépassée et qu'à seize reprises la durée hebdomadaire maximale du travail selon les indications fournies par cinq salariés avait été dépassée (arrêt attaqué, p. 5 alinéa 1, 2 et 4) ; que sur l'omission d'accorder le repos hebdomadaire de 24 heures, le prévenu n'a pu apporter la preuve contraire aux constatations de l'agent de l'inspection du travail fondées sur la déclaration des salariés, dont le carctère mensonger n'est pas démontré ; qu'il y a lieu de prendre en considération les contraventions commises au préjudice de MM. Z... et X... courant octobre et novembre 1987, postérieurement au premier contrôle de septembre 1987 mais avant la rédaction, la clôture et la transmission du procèsverbal et fondées sur les déclarations de ces deux salariés sans que l'employeur en démontre le caractère mensonger (arrêt attaqué, P. 7 alinéa 1 à 5) ; que sur les dépassements de la durée hebdomadaire du travail il résulte des pièces versées au dossier et notamment des annexes 1 et 5 du procès-verbal que Y... a imposé à ses salariés une durée de travail quotidienne excessive ; que ces infractions ont été retenues à juste titre du 18 septembre 1986 à novembre 1987 dans les conditions précédemment précisées pour celles postérieures à l'opération initiale de contrôle du 18 septembre 1987 ; que le nom des salariés d était aisément identifiables dans les annexes (arrêt attaqué p. 8 alinéas 1 à 4) ; que le prévenu ne démontrait pas avoir fait la moindre démarche pour obtenir les dérogations nécessaires à ces dépassements et n'établissant pas le caractère mensonger des déclarations de ces salariés, il y a lieu de retenir la force probante du procèsverbal et de ses annexes (jugement entrepris, p. 2 alinéa 3) ;
"1°) alors que les procèsverbaux n'ont de valeur probante que dans la mesure où leur auteur rapporte ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement et non des circonstances que ces fonctionnaires ont pu déduire des déclarations de témoins, qu'ils ont recueillies ; que la cour d'appel a en l'espèce constaté pour les infractions visées au moyen, que les constatations du procèsverbal du contrôleur du travail, seul élément de preuve figurant au dossier, résultaient des déclarations des salariés ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors fonder sa décision sur le fait que le prévenu ne rapportait pas la preuve du caractère mensonger de ces déclarations sans entâcher son arrêt d'une violation de la présomption d'innoncence des droits de la défense et des textes susvisés ;
"2°) alors que le procèsverbal du contrôleur du travail ne peut viser que des faits relevés au cours des opérations de contrôle ; qu'en retenant des faits qui seraient survenus en octobre et novembre 1987 postérieurement au contrôle effectué ainsi qu'il résulte du procèsverbal le 18 septembre 1987, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon l'article 429 du Code de procédure pénale, les procès-verbaux n'ont de force probante que dans la mesure où leur auteur rapporte ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 18 septembre 1987
le contrôleur du travail s'est rendu dans la pâtisserie exploitée par René Y... et a rédigé un procèsverbal dans lequel il relève plusieurs infractions au Code du travail ; que notamment, et selon les indications fournies par des salariés et se trouvant en annexe au procèsverbal, il a noté le dépassement de la durée maximale quotidienne et hebdomadaire du travail et l'inobservation du repos hebdomadaire ; ique, poursuivi de ces chefs, René Y... a été déclaré d coupable ;
Attendu que, pour confirmer le jugement sur la culpabilité, la juridiction du second degré énonce notamment en ce qui concerne l'inobservation du repos hebdomadaire que le prévenu n'a pu apporter la preuve contraire aux constatations du contrôleur du travail fondées sur la déclaration des salariés dont le caractère mensonger n'est pas établi ;
Que, pour le confirmer également en ce qui concerne le dépassement de la durée maximale du travail, elle se réfère aux annexes du procès-verbal constituées par les déclarations des salariés et dont le premier juge avait relevé que le prévenu n'avait pas établi leur caractère mensonger ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'en ce qui concerne ces deux catégories d'infractions le procèsverbal du contrôleur du travail ne valait qu'à titre de simples renseignements, et qu'il lui appartenait de rechercher la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la censure est encourue de ce chef ;
Et sur le moyen relevé d'office et pris de la violation de l'article R. 632-2 du Code du travail ;
Vu ledit article ;
Attendu qu'aux termes de l'article R. 632-2 du Code du travail l'amende prévue par l'article R. 632-1 dudit Code est appliquée autant de fois qu'il y a de personnes employées dans des conditions susceptibles d'être sanctionnées au titre des dispositions de cet article ;
Attendu que René Y... a été également poursuivi pour avoir omis, contrairement aux prescriptions de l'article R. 620-2 du Code du travail, d'envoyer à l'inspection du travail le duplicata de l'affiche mentionnée à l'article L. 620-2 et indiquant les heures auxquelles commence et finit le travail ; qu'il a été déclaré coupable et que le premier juge, constatant que le prévenu employait neuf salariés a prononcé neuf amendes ;
Attendu que, pour infirmer le jugement sur la d peine et prononcer une seule amende, la juridiction du second degré énonce qu'aucune disposition ne prévoit en la matière la multiplication des amendes en fonction du nombre des salariés ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la censure est également encourue de ce chef ;
Et sur l'action civile :
Attendu que des réparations civiles ayant été accordées à chacune des parties civiles sur une appréciation globale de leur préjudice, sans que le départ ait été fait entre ce qui était alloué pour les contraventions retenues à bon droit et ce qui concernait celles qui ont été insuffisamment caractérisées, la cassation doit être étendue
à l'ensemble des dispositions civiles de l'arrêt ;
K Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Riom en date du 30 novembre 1989, en toutes ses dispositions pénales, à l'exclusion de la condamnation prononcée pour le défaut de tenue du registre prévu par l'article R. 221-10, 2° du Code du travail et qui est expressément maintenue, et en toutes ses dispositions civiles ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Berthiau conseiller doyen faisant fonctions de président en remplacement du d président empêché, M. Dumont conseiller rapporteur, MM. Zambeaux, Dardel, Fontaine, Milleville, Alphand, Guerder conseillers de la chambre, Mme Guirimand conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de
chambre .