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20/02/1990 | FRANCE | N°89-80487

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 février 1990, 89-80487


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt février mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M le conseiller ZAMBEAUX, les observations de Me LUC-THALER et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M l'avocat général ROBERT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
M. Jean-Charles, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 14 décembre 1988 qui, dans les poursuites exercé

es pour diffamation publique envers un particulier contre J. Serge, ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt février mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M le conseiller ZAMBEAUX, les observations de Me LUC-THALER et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M l'avocat général ROBERT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
M. Jean-Charles, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 14 décembre 1988 qui, dans les poursuites exercées pour diffamation publique envers un particulier contre J. Serge, P. Pierre et la Société Nouvelle de Presse et de Communication en tant que civilement responsable, l'a débouté de sa demande en réparations civiles ; Vu les mémoires produits en demande et endéfense ; Attendu que, par exploits du 4 février 1988, Jean-Charles M. a fait citer devant la juridiction répressive Serge J., directeur de la publication du journal " Libération " et Pierre Y..., sous la prévention de diffamation publique envers un particulier, la Société Nouvelle de Presse et de Communication étant prise comme civilement responsable, à raison de la publication dans le numéro de ce quotidien, daté des 28 et 29 novembre 1987, d'un article signé de Pierre Y... et intitulé :
" M. a fait plusieurs voyages en Syrie Le négociateur de l'ombre à découvert ", suivi d'un chapeau ainsi rédigé :
" Agent du SDECE dont il est exclu en 1970, Jean-Charles M. alias S. voit son nom cité dans l'affaire Z..., puis se trouve aux côtés de A... au sein de l'ex-SAC Il semble avoir préparé le terrain de la négociation ", puis, comportant les passages suivants :
" L'homme est bastiais, et ses copains d'école se souviennent encore qu'il était prompt à la bagarre Jean-Charles M. a toujours été chatouilleux sur sa corsitude Pendant ses études de droit à la faculté d'Aix-Marseille, il n'hésita pas à sectionner l'oreille d'un autre étudiant qui avait osé dire que les corses n'étaient courageux qu'à plusieurs " " Il monte ensuite à Paris et entre au SDECE sous contrat civil mais il en sera exclu en 1970 Son nom a été cité dans deux affaires qui firent alors grand bruit L'affaire Z... (du nom du garde du corps d'Alain B...) véritable complot qui visait à compromettre Georges C... considéré alors par certains gaullistes comme " traître " au général L'affaire D... ensuite du nom d'un agent du SDECE, instruit par M., et qui fut arrêté aux Etats-Unis pour trafic de drogue M. n'abandonne pas pour autant son manteau couleur de muraille Il officie en effet au SAC, aux côtés de Charles A... Mais, côté " civil ", il entre dans le monde des affaires Il travaille pour la SERVAIR, une filiale d'AirFrance, spécialisée dans la restauration dans les avions La rigueur gestionnaire n'est manifestement pas son fort Tellement peu qu'il est encore sous le coup d'une inculpation par le tribunal de Pontoise " ;
Que, par jugement du 19 avril 1988, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus et débouté la partie civile de sa demande ; que les juges ont considéré, en premier lieu, que l'allégation de l'appartenance de M. au SAC n'était pas diffamatoire, en deuxième lieu, que les imputations relatives à son exclusion du SDECE et aux affaires Z... ainsi que D... avaient trait à son activité d'agent investi d'une portion de l'autorité publique et ne pouvaient constituer une diffamation envers un particulier, en troisième lieu, que les propos relatifs à l'origine corse de la partie civile ne caractérisaient pas le délit de diffamation prévu par l'article 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, retenu par la citation, qu'enfin les prévenus devaient bénéficier du fait justificatif de la bonne foi en ce qui concerne l'allégation relative à l'inculpation de M. à Pontoise ; Que, sur appel de la partie civile, et statuant sur les seuls intérêts civils l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 31 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a débouté M. de sa constituion de partie civile sans se prononcer sur la diffamation constituée par l'affirmation de son appartenance à l'ex-SAC avec M A... ; " alors que les juges du fond ont l'obligation d'examiner si chacune des imputations dénoncées par la partie civile comme diffamatoires constitue effectivement une diffamation et de prononcer sur chaque cas de diffamation ; qu'en l'espèce, la partie civile soulignait dans ses conclusions que l'imputation de son appartenance au SAC était diffamatoire et qu'il s'agissait d'une imputation étrangère et distincte de son appartenance au SDECE, sans lien avec la fonction au sein de cet organisme ; qu'en omettant de prononcer sur cette diffamation et de répondre aux conclusions précises de la partie civile sur ce point, l'arrêt attaqué n'a pas justifié la relaxe " ; Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande en réparation du chef de diffamation fondée sur l'article 32 de la loi du29 juillet 1881 pour lui avoir imputé d'avoir appartenu au SDECE ; " aux motifs que c'est vainement que la partie civile fait grief à la décision d'avoir estimé que les imputations critiquées relevaient de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ; que les premiers juges, par des motifs que la Cour adopte, avaient à juste titre retenu qu'à la lecture de l'ensemble de l'écrit incriminé, c'était en sa qualité d'agent du SDECE que Jean-Charles M. avait été visé ; " alors, d'une part, que contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, les premiers juges n'ont pas retenu que, pour l'ensemble de l'écrit, la partie civile était visée en qualité d'agent du SDECE, mais ont constaté que la diffamation à propos de son appartenance au SAC était différente de celle résultant de l'affirmation de son appartenance au SDECE ; qu'en se déterminant, à propos de la diffamation relative à l'appartenance au SDECE, par des motifs étrangers à l'objet de l'imputation l'appartenance au SAC la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa solution ; " alors, d'autre part, que, dans ses conclusions demeurées sans réponse (p 4, paragraphe 2 à 4, 7 et 8), M. faisait valoir que les faits qui lui étaient imputés dans le texte incriminé à propos de l'affaire Z... étaient sans lien avec sa fonction au sein du SDECE et ne constituaient pas un abus de cette fonction, de sorte que la requalification dans les termes de l'article 31 n'était pas justifiée ; qu'en se bornant à confirmer sur ce point le jugement et ses motifs sans s'expliquer sur cette articulation précise des conclusions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié le refus de réparer le préjudice causé à M. par l'écrit litigieux " ;
Les moyens étant réunis ; Attendu, d'une part, que la cour d'appel a adopté les motifs par lesquels les premiers juges ont énoncé que " s'il peut être considéré comme attentatoire à la considération d'avoir été membre du SAC, c'est à la condition que soient imputés à ce service d'action civique des actes déshonorants comme il en fut au moment où sa dissolution a été décidée ", puis, que " pour apprécier le caractère diffamatoire de cette imputation il convient d'analyser le contexte dans lequel elle est énoncée " ; qu'enfin les juges ont relevé qu'au moment où M. est considéré comme ayant appartenu àl'organisation en cause, celle-ci avait un " comportement honorable " et en ont déduit qu'il ne saurait y avoir atteinte à la considération de la partie civile ; Qu'en cet état la cour d'appel, contrairement à ce qui est allégué, a, sans insuffisance, répondu aux articulations des conclusions des demandeurs sur l'absence de caractère diffamatoire de l'imputation d'avoir appartenu au SAC ; Que n'importe la qualité en laquelle M. était visé par ce propos dès lors que celui-ci ne constitue pas une diffamation ;
Attendu, d'autre part, que toujours par l'adoption des motifs des premiers juges, la cour d'appel observe que l'exclusion alléguée de M. du SDECE en raison de l'affaire Z... et du comportement fautif qu'il aurait pu avoir visait la partie civile à une période où elle exerçait des fonctions au sein de cet organisme et en conclut que c'est en sa qualité d'agent du SDECE, et non comme particulier, qu'elle est atteinte ; Qu'en cet état, la qualité de dépositaire d'une portion de l'autorité publique de la partie civile, reconnue par les juges du fond n'étant pas critiquée par les moyens, l'arrêt attaqué a, sans insuffisance ni dénaturation du texte incriminé, répondu aux articulations péremptoires des conclusions soumises aux juges et justifié sa décision ; Qu'ainsi les moyens réunis ne sauraient être accueillis ; Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 32, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a déclaré non constituée la diffamation contre un particulier à raison de son origine et a débouté M. de sa demande de réparation ; " aux motifs que le jugement avait justement estimé que l'article litigieux faisait référence à des traits de caractère et que l'imputation de coups et blessures volontaires atteignait Jean-Charles M. en tant que simple particulier et non en sa qualité deCorse ; que cette analyse devait être approuvée, l'auteur du passage incriminé ne liant nullement la violence dont faisait preuve Jean-Charles M. à un comportement général et spécifique qui serait imputable à sa qualité de natif de la Corse ; " alors que, contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, la référence à la corsitude de M. et à ses origines bastiaises, associée à sa violence et à sa susceptibilité, n'a pas pour objet de révéler les traits de caractère qui lui étaient propres, mais bien de critiquer, à travers lui, l'ethnie à laquelle il appartient et de l'atteindre en cette qualité ; qu'ainsi, la diffamation à raison de l'origine ou de l'appartenance à une etchnie était constituée et qu'elle avait causé à M. un préjudice dont il était fondé à obtenir réparation " ; Attendu qu'en estimant que le passage de l'article relatif aux origines et au caractère de la partie civile ne liait nullement la violence dont aurait fait preuve Jean-Charles M. " à un comportement général et spécifique qui serait imputable à sa qualité de natif de la Corse " les juges du fond ont, à bon droit, considéré que le texte ne comportait pas une diffamation à raison de l'origine ou de l'appartenance à une ethnie ;
Qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ; Mais sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 32, 35 bis et 38 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a refusé de réparer le préjudice causé à la partie civile par l'allégation qu'il était inculpé devant le tribunal de Pontoise ; " aux motifs que pour faire bénéficier les prévenus de ce fait justificatif de bonne foi, le tribunal avait relevé que le journaliste avait démontré l'existence d'une enquête sérieuse approfondie, que l'article était rédigé avec prudence et ne comportait aucun caractère malveillant ; qu'était sans pertinence le moyen tiré de la violation du secret de l'instruction qui ne s'imposait qu'à ceux qui concouraient à l'instruction ; " alors, d'une part, que la présomption de d mauvaise foi du journaliste ne peut être écartée que si les imputations justifiées par le souci d'informer objectivement le lecteur sur des faits d'actualité sont en relation avec l'information qu'il présente ; qu'en l'espèce, le fait que M. ait pu faire l'objet d'une inculpation dans le cadre de l'information diligentée sur certains employés de la société Servair, société hôtelière filiale d'AIR-FRANCE, était tout à fait étranger à l'objet de l'article qui le présentait comme l'artisan de la libération de deux otages français au Liban et visait délibérément à porter atteinte à son honneur et à sa considération en le faisant apparaître comme un personnage douteux, voire un aventurier sans foi ni loi ; qu'ainsi, c'est à tort que les juges du fond ont fait bénéficier J. et Y... de la bonne foi ; " alors, d'autre part, que la Cour a omis de s'expliquer sur le moyen péremptoire des conclusions, qui soulignait que le journaliste n'avait cherché aucun renseignement autre de M. sur son inculpation ; " alors enfin qu'est tenu au respect du secret de l'instruction le journaliste qui n'est pas spécialement chargé par le juge d'instruction de donner des informations dans l'instruction qu'il diligente ; que Y... qui n'a allégué aucune autorisation du juge d'instruction de Pontoise pour faire état de l'inculpation de M. dans l'affaire de la Servair a effectivement violé le secret de l'instruction et causé à ce dernier un préjudice qui devait être réparé " ; Vu lesdits articles ; Attendu que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention coupable et que cette présomption ne peut disparaître qu'en présence de faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi ; Attendu que les juges du fond énoncent que l'indication qu'une personne est inculpée a une " connotation péjorative " accentuée en l'espèce par l'appréciation :
" la rigueur gestionnaire n'est pas son fort " ; que néanmoins ils font bénéficier les prévenus du fait justificatif de la bonne foi en faisant valoir le souci d'information du journaliste et la démonstration de l'existence d'une enquête sérieuse ; Mais attendu que l'appréciation par laquelle les juges eux-mêmes considèrent l'allégation incriminée comme ayant une " connotation péjorative ", accentuée par les propos utilisés, démontre que le journaliste n'a fait preuve ni d'objectivité ni de prudence dans l'expression et que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, faire bénéficier les prévenus du fait justificatif de la bonne foi ; Qu'ainsi la cassation est encourue sur ce point ; Par ces motifs, CASSE et ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 1988 mais en ses seules dispositions critiquées par le quatrième moyen de cassation proposé, les autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi jugé jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Où étaient présents :
M Berthiau conseiller doyen faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Zambeaux conseiller rapporteur, MM Dardel, Dumont, Fontaine, Milleville, Alphand, Carlioz conseillers de la chambre, Mme Guirimand conseiller référendaire, M Robert avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 89-80487
Date de la décision : 20/02/1990
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Présomption - Faits justificatifs - Cas - Absence d'objectivité et de prudence dans l'expression - Preuve de la bonne foi (non).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 29, 31, 32, 35 bis et 38

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 décembre 1988


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 fév. 1990, pourvoi n°89-80487


Composition du Tribunal
Président : M Berthiau conseiller doyen faisant fonctions de président

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1990:89.80487
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