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23/01/1990 | FRANCE | N°89-86182

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 janvier 1990, 89-86182


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-trois janvier mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ZAMBEAUX, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et LIARD, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ;
Statuant sur les pourvois formés par :
Victor Emmanuel X...,
contre les arrêts de la chambre d'accusation de la cour d'appel de BASTIA, des 30 juin 1983 et 11 oc

tobre 1989, qui, le premier a confirmé l'ordonnance du juge d'instruct...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-trois janvier mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ZAMBEAUX, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et LIARD, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ;
Statuant sur les pourvois formés par :
Victor Emmanuel X...,
contre les arrêts de la chambre d'accusation de la cour d'appel de BASTIA, des 30 juin 1983 et 11 octobre 1989, qui, le premier a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant des mesures d'instruction, le second, l'a renvoyé devant la cour d'assises du département de la CORSE DU SUD sous l'accusation de coups ou violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et délit connexe ;
Vu les articles 570 et 571 du Code de procédure pénale ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 30 juin 1983 ;
Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui de ce pourvoi ;
Que, dès lors, le pourvoi doit être rejeté ;
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 11 octobre 1989 ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de réponse à conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure pour violation des dispositions de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales imposant l'exigence d'une durée raisonnable de la procédure ;
" aux motifs que seule la commission rogatoire internationale à Rome du 25 novembre 1985 suivie du procès-verbal de synthèse de gendarmerie du 23 mai 1986 peut être estimée superfétatoire, compte-tenu des auditions précédentes des personnes entendues mais est la conséquence du changement du juge d'instruction ; que si le 18 août 1978, la procédure de flagrant délit a été diligentée du chef de coups et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale temporaire supérieure à trois mois, le réquisitoire introductif a été pris pour coups et blessures volontaires ; que la partie civile a réclamé le 19 décembre 1979 un procès en cour d'assises, la victime étant décédée le 7 décembre 1978 ; que le 6 mars 1981, le procureur de la République d'Ajaccio a pris un réquisitoire supplétif pour inculpation du chef de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner suivie de l'inculpation de Victor Emmanuel X... entendu de ce chef ; qu'un complément d'information a été ordonné le 4 août 1983, les experts ayant déposé leur rapport le 25 avril 1984 ; que les droits de la défense n'ont pas été tenus en échec et que la longueur de la procédure est due tant à ses propres demandes d'actes d'informations supplémentaires et recours devant la chambre d'accusation et la Cour de Cassation qu'au respect des intérêts des parties civiles et de la bonne information de la procédure ainsi que des délais entraînés par les convocations à l'étranger ; que l'instruction a progressé de façon continue et qu'il est ainsi possible d'affirmer que les poursuites judiciaires ont respecté l'obligation de diligence définie par la Convention européenne ;
" que la cause qui est en l'état d'être jugée depuis plus de deux ans est retardée par des causes indépendantes des acteurs à l'action de justice et qu'il y a lieu de rejeter les moyens tenant à l'inobservation des principes généraux du droit à procès équitable dans un laps de temps raisonnable ;
" alors que, d'une part, en l'état de ses énonciations dont il ressort non seulement que des délais anormaux se sont écoulés sans aucune justification entre des décisions procédurales essentielles tel le réquisitoire supplétif pour inculpation du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, intervenu quinze mois après la demande faite en ce sens par la partie civile et qui ne donnera lieu à un supplément d'informations que 28 mois plus tard, mais encore que certaines diligences ont été soit superfétatoires, soit ordonnées extrêmement tardivement, comme le faisait valoir le prince Victor Emmanuel X... dans son mémoire, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié son rejet de l'exception de nullité ;
" alors que, d'autre part, le fait que la procédure ait été en état d'être jugée depuis plus de deux ans lorsqu'elle a été appelée devant la Cour sans qu'aucune diligence n'ait été faite en ce sens constituait indéniablement une atteinte à l'exigence posée par l'article 6 paragraphe 1 de la Convention quant à la durée raisonnable de la procédure, la simple considération que cette situation ne soit imputable ni aux magistrats chargés de ce dossier ni aux parties étant totalement indifférente à cet égard " ;
Attendu qu'à supposer établi que la durée de l'information ait été excessive, la méconnaissance qui pourrait en résulter de l'article 6-1 de la Convention susvisée, relative au délai raisonnable dans lequel une cause doit être jugée, ne saurait entraîner la nullité de la procédure ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 206, 591, 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité des actes accomplis en exécution de la commission rogatoire du 25 novembre 1985 et notamment le rapport de synthèse de la gendarmerie en date du 23 mai 1986 ;
" aux motifs que cette commission rogatoire internationale en Italie avait pour objet de faire entendre différents témoins, afin de déterminer avec le plus de précision possible la position des bateaux, de la victime, de l'inculpé et de Z... au moment des faits et de porter les indications données sur le plan transmis ; qu'il est certain que par erreur sur les dessins dressés par les enquêteurs, la position de la victime se trouve inversée, pieds vers l'arrière, alors qu'il résulte de tous les documents antérieurs qui sont concordants que la position était pieds vers l'avant du bateau ; que cette altération a faussé les résultats de cette enquête et que les conclusions qui en ont été tirées concernant la trajectoire de la balle qui a atteint la victime et la position de la victime ne peuvent pas être retenues, sans qu'il soit besoin cependant d'annuler ce procès-verbal de synthèse ni les procès-verbaux d'interrogatoire faits à Rome et leur traduction, les plans étant exacts en ce qui concerne la positions des bateaux mais que la portée des réponses des personnes interrogées dans ces conditions est très limitée ; que les procès-verbaux qui résultent de cette commission rogatoire sont sans incidence sur l'instruction, s'agissant de personnes déjà entendues dans des conditions régulières et qu'ils n'apportent pas d'éléments nouveaux ;
" alors qu'en laissant ainsi figurer au dossier comme éléments d'information des dépositions et un rapport de synthèse dont il est dûment constaté qu'ils sont dépourvus de toute valeur parce que recueillis sur une fausse donnée communiquée par erreur par les enquêteurs, la décision attaquée préjudicie ainsi d'emblée aux droits de la défense, dans la mesure où, quelles que soient les réserves que la chambre d'accusation a émises sur la valeur probante de ces éléments, ceux-ci sont susceptibles d'être exploités lors des débats devant la cour d'assises et sont de nature tout autant à influencer les témoins dans leur déposition en jetant le trouble dans leur esprit qu'à induire en erreur la Cour et le jury, de sorte que la manifestation de la vérité se trouve d'emblée compromise et prive l'accusé par là même de l'assurance d'un procès équitable ;
" et alors que, d'autre part, qu'en tout état de cause, la chambre d'accusation qui a elle-même constaté que les conclusions de l'enquête diligentée sur la commission rogatoire du 27 novembre 1985 concernant la trajectoire de la balle qui a atteint la victime et la position de celle-ci ne pouvaient être retenues par suite d'erreurs commises par les enquêteurs, ne pouvait sans entacher sa décision d'une contradiction de motifs flagrante prétendre, pour refuser de prononcer la nullité des éléments ainsi recueillis en exécution de ladite commission rogatoire, qu'ils ne présentaient pas de caractère nouveau " ;
Attendu qu'en constatant que certaines des conclusions de l'enquête effectuée sur commission rogatoire ne pouvaient être retenues par elle en raison d'erreurs matérielles commises par les enquêteurs la chambre d'accusation a souverainement apprécié la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis ;
Que cette appréciation ne saurait entraîner l'annulation des actes rapportant les opérations contestées, en l'absence de violation des règles prescrites à peine de nullité ;
Que devant la juridiction de jugement, le demandeur aura toute latitude, s'il échet, de faire valoir au cours du débat oral et contradictoire l'inexactitude des conclusions qui pourraient être tirées desdits actes non retenus par la chambre d'accusation ; qu'il s'ensuit qu'aucune atteinte ne saurait être portée à son droit à un procès équitable ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 309 et 311 du Code pénal, 211, 214, 293 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de Victor Emmanuel X... devant la cour d'assises sous l'accusation de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;
" aux motifs que Victor Emmanuel X... n'a pas eu l'intention de causer des blessures avec sa carabine à Dirk Y... qu'il ait jamais vu et qu'il n'est pas établi non plus qu'il ait eu de telles intentions à l'égard de Z..., à qui il avait donné seulement un coup de poing ou de quiconque ; que cependant, il a commis une faute d'une part, en tirant même en l'air un coup d'une arme de guerre très puissante dans des conditions où il n'était pas sûr que la balle, compte-tenu des mouvements d'oscillation du bateau, ne serait pas déviée ; qu'il y a eu dans ce geste, un acte volontaire dont il n'avait pas mesuré les conséquences ; que même si la blessure avait été causée, ce qui n'est pas démontré, par la deuxième balle, partie accidentellement au moment de la chute, il était aussi en tort, la carabine étant en position armée pour cette deuxième balle, donc dangereuse, alors qu'il est rapporté par l'expertise balistique que l'arme avait été modifiée avec une détente plus souple que normale et qu'ainsi les coups pouvaient partir plus facilement d'une manière intempestive ; qu'il ne s'agit donc pas d'un homicide involontaire car Victor Emmanuel X... aurait dû prévoir les conséquences possibles de son comportement volontaire ;
" alors que, d'une part, le crime prévu et puni par l'article 311 du Code pénal suppose pour être constitué que les coups et blessures aient été commis volontairement, c'est-à-dire avec intention de porter atteinte à l'intégrité corporelle d'autrui ; que la chambre d'accusation qui, après avoir constaté elle-même qu'il n'était nullement établi que Victor Emmanuel X... ait eu l'intention de causer des blessures à quiconque, retient néanmoins cette accusation à son encontre en prétendant se fonder sur le caractère non accidentel du premier tir tiré en l'air dans un but d'intimidation et subsidiairement sur le fait que le second tir, dont elle reconnaît qu'il a été purement accidentel, témoignait en tout état de cause, d'un défaut de prévoyance et de prudence de la part de Victor Emmanuel X..., n'a pas dès lors légalement caractérisé les éléments constitutifs de l'accusation de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ni par conséquent, justifié le renvoi de Victor Emmanuel X... devant la cour d'assises ;
" et alors que, d'autre part, la chambre d'accusation tout en tenant pour acquis que le second tir a été purement accidentel n'exclut en aucune manière la possibilité que ce tir ait pu causer l'accident mortel survenu à Dick Y..., se contentant de constater incidemment que cette probabilité n'est pas démontrée, n'a pas, en l'état de ces motifs parfaitement hypothétiques, dans la mesure où ils n'écartent pas la possibilité d'un homicide involontaire, davantage justifié sa décision prononçant le renvoi de Victor Emmanuel X... devant une cour d'assises sur le fondement des dispositions de l'article 311 du Code pénal " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; qu'une contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 18 août 1978, Victor Emmanuel X... aurait voulu reprendre un canot pneumatique lui appartenant dont il aurait constaté qu'il était amarré à l'arrière du bateau " Cocke ", mouillant près du sien, dans une anse de l'île de Cavallo ; qu'auparavant il se serait muni d'une carabine de calibre 30 M 1 approvisionnée d'un chargeur de 29 cartouches ; qu'il aurait, à l'aide d'un autre canot, abordé le Cocke et aurait eu alors une altercation avec Nicolas Z..., occupant de ce bateau ; qu'au cours de cet incident il aurait, avant de tomber à l'eau, tiré deux coups de feu dont l'un aurait atteint Dick Y... qui dormait sur un troisième navire couplé à celui de l'inculpé ; que la victime devait décéder le 7 décembre 1978 ; que ce décès serait la conséquence de la blessure reçue ;
Attendu que pour décider qu'il existe contre l'inculpé des charges suffisantes d'avoir commis le crime de coups ou violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner la chambre d'accusation énonce " que Victor Emmanuel X... n'a pas eu l'intention de causer des blessures avec sa carabine à Dick Y... qu'il n'avait jamais vu et qu'il n'est pas établi non plus qu'il ait eu une telle intention à l'égard de Z... à qui il avait donné seulement un coup de poing, ou de quiconque " ;
Que les juges poursuivent que l'inculpé " a commis une faute, d'une part, en tirant même en l'air, un coup d'une arme de guerre très puissante dans des conditions où il n'était pas sûr que la balle, compte tenu des mouvements d'oscillation du bateau, ne serait pas déviée ; qu'il y a eu dans ce geste un acte volontaire dont il n'avait pas mesuré les conséquences, entraîné par un mouvement de colère et de peur, en pleine nuit, dans un contexte trouble " ; qu'ils ajoutent encore " que même si la blessure avait été causée, ce qui n'est pas démontré, par la deuxième balle partie accidentellement au moment de la chute il était aussi en tort la carabine étant en position armée donc dangereuse " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations qui ne caractérisent pas de façon certaine la volonté délibérée de porter des coups ou d'exercer des violences sur une personne, la chambre d'accusation n'a pu, sans se contredire, considérer qu'il y avait charges suffisantes contre Victor Emmanuel X... d'avoir commis le crime prévu par l'article 311 alinéa 1 du Code pénal ; qu'elle n'a ainsi pas donné de base légale à sa décision et que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé :
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt du 30 juin 1983 ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bastia, du 11 octobre 1989 et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bastia, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Berthiau conseiller doyen faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Zambeaux conseiller rapporteur, MM. Dardel, Dumont, Fontaine, Milleville, Alphand, Carlioz conseillers de la chambre, Mme Guirimand conseiller référendaire, Mme Pradain avocat général, Mme Patin greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 89-86182
Date de la décision : 23/01/1990
Sens de l'arrêt : Cassation rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 1983-06-30 1989-10-11


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 jan. 1990, pourvoi n°89-86182


Composition du Tribunal
Président : M. Berthiau conseiller doyen faisant fonctions de président en remplacement du président empêché

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1990:89.86182
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