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19/07/1988 | FRANCE | N°85-90767

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 juillet 1988, 85-90767


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le dix-neuf juillet mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DARDEL, les observations de Me CHOUCROY et de la société civile professionnelle ROUVIERE, LEPITRE et BOUTET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ; Statuant sur les pourvois formés par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS,
- LE COMITE D'ACTION DE LA RESISTANCE, partie civile,
contre un arrêt de ladite Cour, 11

ème chambre, du 14 novembre 1984, qui a relaxé Marc Y... du chef d'...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le dix-neuf juillet mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DARDEL, les observations de Me CHOUCROY et de la société civile professionnelle ROUVIERE, LEPITRE et BOUTET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ; Statuant sur les pourvois formés par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS,
- LE COMITE D'ACTION DE LA RESISTANCE, partie civile,
contre un arrêt de ladite Cour, 11ème chambre, du 14 novembre 1984, qui a relaxé Marc Y... du chef d'apologie de crimes de guerre et débouté le Comité d'action de la résistance de ses demandes de réparations civiles ; Joignant les pourvois, vu la connexité ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; 1 - Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général près la cour de d'appel de Paris, pris de la violation des articles 23, 24 alinéa 3, 42, 47 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé le prévenu du chef d'apologie de crimes de guerre pour la publication d'un paragraphe intitulé :
"Nouvelles d'Europe, Allemagne, Regensburg" aux motifs que l'auteur a relaté, sans toutefois les prendre à son compte, les opinions qui auraient été exprimées par le porte-parole du "Militante Nationalsozialisten Regensburg" (MNSR) dénonçant les traîtres à l'origine de l'attentat manqué contre Hitler, et que la lecture de cet écrit n'autorise pas la Cour, sans se livrer à une construction juridique essentiellement fragile, à déclarer que son auteur avait la connaissance qu'il en résultait l'apologie des crimes de guerre et de leurs auteurs ; "alors que, d'une part, il ressort tant des constatations de l'arrêt que du passage incriminé rappelé par la cour d'appel, que la publication de ce texte était de nature à inciter tout lecteur à porter un jugement de valeur morale favorable au chef du parti national socialiste allemand dont les autres dirigeants ont été condamnés comme criminels de guerre par le tribunal international de Nuremberg et constituait par là même un essai de justification au moins partiel de leurs crimes ; "et alors que, d'autre part, la connaissance par l'auteur de la publication que de celle-ci résultait l'apologie de crimes de guerre, suffit à établir le caractère intentionnel de l'infraction ;
"qu'ainsi l'affirmation de l'arrêt est en contradiction avec les faits constatés et le caractère légal qui leur appartient, les éléments constitutifs de l'infraction poursuivie étant réunis" ; 2 - Sur le moyen unique de cassation proposé pour le Comité d'action de la résistance et pris de la violation de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Marc Y... du chef des poursuites, pour apologie de crimes de guerre, exercées pour un passage de l'article intitulé "Nouvelles d'Europe - Allemagne", paru dans le numéro 39 de la revue "Notre Europe" ; "aux motifs, d'une part, que, dans l'article intitulé "Fascisme et Sac", Y... ne dissimule pas aux lecteurs sa sympathie -déjà connue- pour les régimes autoritaires, ni son antipathie, voire son hostilité à l'égard de la démocratie ; qu'il expose, à sa façon, ses conceptions sur le racisme, le fascisme le national-socialisme, qu'il entend surtout s'élever contre ce qu'il appelle une conspiration démocratique "visant à discréditer tous ceux qui refusent son principe ainsi qu'à mettre sous le feu des media et accuser de racisme, fascisme et néo-nazisme... "un groupe à abattre... " ; "qu'il reproche à ses "adversaires démocrates" de vouloir dissimuler la signification d'idéaux politiques sous une caricature destinée à en détourner tout individu normal" ; que le texte incriminé ne pouvait -même s'il présentait quelque ambiguïté- être considéré comme une exaltation, une glorification, un apologie de crimes de guerre ou de leurs auteurs ; "aux motifs, d'autre part, que l'auteur du second texte, après avoir rendu compte des conclusions d'un rapport du ministère de l'Intérieur, soulignant le glissement, au cours de l'année 1980, de l'extrême-droite vers les mouvements nationaux-socialistes et une progression sensible du nombre des actes de violence et des attentats, attribue cette évolution aux "difficultés croissantes que rencontre tout travail politique légal en faveur du national-socialisme" ; qu'une telle appréciation ne contenait pas en elle-même une justification des dirigeants nazis condamnés comme criminels de guerre par le tribunal de Nuremberg, ni, dès lors, une apologie de leurs agissements criminels ;
"aux motifs, enfin, que le dernier texte incriminé contient le compte rendu d'une réunion organisée en juillet 1981 à Regensburg par de jeunes allemands du mouvement local national-socialiste (MNSR), à l'occasion de l'attentat manqué contre Hitler ; que l'auteur relate, sans toutefois les prendre en compte, les opinions qui auraient été exprimées par le porte-parole du MNSR, "dénonçant les traîtres à l'origine de cet attentat", et par un camarade américain ; qu'il n'est pas douteux que cette relation, dont l'intérêt est contestable, prête à équivoque ; que, cependant, son auteur ne saurait être déclaré coupable du délit reproché que s'il avait présenté, même sous une forme déguisée, des crimes de guerre comme dignes d'éloges, ou glorifié ceux qui les avaient commis ou en commettraient de semblables ; que la lecture de cet écrit n'autorise par la Cour, sans se livrer à une construction juridique essentiellement fragile, à déclarer que son rédacteur avait la connaissance qu'il en résultait l'apologie de tels crimes ou de leurs auteurs ; "alors, d'une part, que l'apologie des crimes de guerre résulte non seulement de la glorification des actes criminels ou de leurs auteurs, de nature à provoquer directement le lecteur à la commission de tels actes, mais également de l'emploi de comparaisons abusives, de nature à inviter tout lecteur à porter un jugement moral favorable envers de tels crimes et leurs auteurs ; qu'en suggérant, dans un article paru dans un journal diffusé dans un pays démocratique, que le racisme, le fascisme et le national-socialisme avaient été approuvés par les peuples des pays concernés à une "écrasante majorité", l'auteur de l'article incriminé poursuit un but de réhabilitation morale de ces doctrines, dont il n'est pas contesté qu'en leur nom aient été commis des crimes de guerre, et, partant, fait l'apologie de ceux-ci ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en ce qui concerne le premier passage poursuivi, et violé l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 ; "alors, d'autre part, que, dans le deuxième passage incriminé, l'auteur suggère que les mouvements nationaux-socialistes seraient victimes d'une "répression" des institutions démocratiques, et que leur liberté d'expression conduirait à une diminution des actes de violence ; qu'une telle prétention, dont le but est de contourner la légalité instaurée dans les pays démocratiques, en faveur d'une doctrine ayant abouti à la commission de crimes de guerre, vise donc bien encore une réhabilitation morale de ces crimes, et, partant, en contient une apologie au sens de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à une simple analyse textuelle du passage incriminé, n'a pas davantage tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
"alors, enfin, que le troisième passage poursuivi fait état de ce que les conjurés contre Hitler en 1944 étaient des "traîtres" ayant envoyé à la mort des centaines de milliers de compatriotes et d'européens, et qualifiant ceux-ci de "criminels" ; que ce passage contient donc un véritable renversement des valeurs, l'instauration de l'ordre nouveau et du national-socialisme apparaissant comme éminemment désirable ; qu'il y a donc bien apologie au sens de la loi de 1881 et que, pour en avoir décidé autrement, l'arrêt de la cour d'appel doit être censuré de ce chef encore" ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel en sa qualité de directeur de publication du périodique "Notre Epoque" comme auteur du délit d'apologie de crimes de guerre prévu et réprimé par l'article 24 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 à la suite de la parution dans le numéro 39 daté de septembre 1981 de ladite publication de deux articles respectivement intitulés "Fascisme et SAC", "Nouvelles d'Europe" et retenus à raison des passages suivants" ; page 4, 9ème paragraphe de l'article "Fascisme et SAC" :
"si le racisme était l'asservissement des individus de race différente ou inférieure, si le fascisme était la trique et l'huile de ricin et le national socialisme, le meurtre industrialisé et planifié, il est évident que ni le peuple sud-africain, ni le peuple italien, ni le peuple allemand ne les auraient approuvés à une écrasante majorité..." ; page 11 "Nouvelles d'Europe, Allemagne, le ministère de l'Intérieur a rendu public le 7 août dernier son rapport annuel sur l'évolution de l'"extrémisme" politique en RFA durant l'année 1980. L'évolution de l'année précédente se poursuit, enregistrant un glissement de l'extrême-droite vers les mouvements nationaux socialistes et une progression sensible du nombre des actes de violence et des attentats dus (mais cela le rapport ne l'indique pas) aux difficultés croissantes que rencontre tout travail politique légal en faveur du national-socialisme (peines de prison d'un ou deux ans pour de simples distributions de tracts etc...)" ; page 12 "Nouvelles d'Europe Allemagne Regensburg :
"De jeunes allemands du MNSR (Militante Nationalsozialisten Regensburg) se sont réunis le 20 juillet à l'occasion de la commémoration de l'attentat manqué contre Hitler (1944). Des soldats américains stationnés en Allemagne étaient présents en particulier un militant du NSPA et un membre du Ku Klux Klan. Dans son allocution d'ouverture, le porte-parole du MNSR a condamné les actes de trahison de ces conjurés qui n'ont pas hésité à envoyer à la mort des centaines de milliers de compatriotes et d'européens unis dans leur lutte pour l'ordre nouveau. Pour lui, les traîtres qui sont à l'origine de l'attentat contre Hitler ne peuvent revendiquer le statut de résistants. Ils ne sont rien d'autres que des criminels qui ont fait le lit du communisme, du capitalisme et plus généralement du (censuré) international. Un camarade américain a ensuite pris la parole pour dénoncer les mensonges inculqués quotidiennement à notre jeunesse et appeler le monde blanc à rejoindre le combat commun... " ;
Attendu que pour relaxer Y... et débouter la partie civile, la cour d'appel énonce au sujet du premier passage que même empreint de quelque ambiguïté, celui-ci ne saurait être considéré comme une exaltation des crimes de guerre ou de leurs auteurs, à propos du deuxième passage que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il ne contenait pas en lui-même une justification des dirigeants nazis condamnés comme criminels de guerre par le tribunal international de Nuremberg ni une apologie de leurs agissements, à l'égard du troisième passage que, si celui-ci constitue le compte-rendu d'une réunion organisée en juillet 1981 à Regensburg par de jeunes allemands du mouvement local national socialiste à l'occasion de l'attentat manqué contre Hitler, les propos tenus par leur porte-parole et rapportés par l'article incriminé n'auraient été constitutifs d'apologie que s'ils avaient présenté, même sous une forme déguisée, les crimes de guerre comme dignes d'éloge ou glorifié ceux qui les avaient commis ou qui en commettaient de semblables ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations dont la Cour de Cassation a été mise en mesure de s'assurer par l'examen des textes incriminés qu'elles ne relevaient aucune incitation à porter un jugement de valeur morale favorable aux dirigeants du parti national socialiste allemand condamnés comme criminels de guerre, la cour d'appel a pu déclarer que le délit de l'article 24 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 n'était pas constitué en l'espèce ; D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE les pourvois ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 85-90767
Date de la décision : 19/07/1988
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Provocation aux crimes énumérés à l'article 24 al. 1 et 2 de la loi du 29 juillet 1881 - Apologie de crimes de guerre - Définition - Constatations souveraines des juges du fond.


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 23, 24 al. 3, 42, 47 et suiv.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 novembre 1984


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 jui. 1988, pourvoi n°85-90767


Composition du Tribunal
Président : M. LEDOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1988:85.90767
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