LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le cinq juillet mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MORELLI, les observations de la société civile professionnelle Jean et Didier Le PRADO avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE CASINO, partie civile,
contre un arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, du 7 juillet 1986, qui, ayant relaxé Christian X... du chef de contrefaçon de marque, l'a déboutée de ses demandes ; Vu le mémoire produit ; Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 422 et suivants du Code pénal, 1382 du Code civil, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé le prévenu X... des fins de la poursuite du chef de contrefaçon ; "aux motifs que la marque "Cafétéria", revendiquée par la partie civile, la société Casino, a été déposée le 10 août 1981 :
qu'aucune indication ne précise la date à laquelle ce dépôt a été rendu public ; qu'à admettre qu'il l'ait été le jour même, il est établi par un procès-verbal de constat du 21 juillet 1981 que l'enseigne "Cafétéria" apposée par le prévenu existait déjà, soit 20 jours avant le dépôt de la marque ; qu'en matière de contrefaçon de marque, aucune action civile ou pénale en protection de droits ne pouvant être intentée avant que le dépôt de la marque ait été rendu public, il convient de déclarer l'infraction insuffisamment caractérisée ; "alors que si les faits antérieurs à la publication de la marque ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés à la marque, il n'en est pas de même des faits postérieurs à la publication qui sont punissables ; "et qu'en l'espèce, ayant constaté que la partie civile avait déposé la marque "Cafétéria" litigieuse le 10 août 1981 et admis que la publication du dépôt avait été faite le même jour, la cour d'appel ne pouvait relaxer le prévenu, au prétexte que l'apposition de l'enseigne litigieuse était antérieure, sans rechercher si les faits d'apposition de ladite enseigne ne s'étaient pas poursuivis postérieurement à ladite publication et qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la Cour a violé les textes visés au moyen" ;
Vu lesdits articles ; Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter des motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'ayant placé, sur la façade de son restaurant, une enseigne "Cafétéria" dont les lettres, les couleurs et le graphisme reproduisaient ceux de la marque régulièrement déposée par la société Casino, afin de désigner ses propres établissements, X..., bien qu'il ait été sommé de retirer ce panonceau, a continué d'utiliser celui-ci ; Attendu que pour infirmer le jugement, qui avait condamné le prévenu du chef de contrefaçon, la juridiction du second degré relève que, la marque revendiquée par la partie civile ayant été déposée le 10 août 1981, aucune indication ne précise la date à laquelle ce dépôt a été rendu public ; qu'à admettre qu'il l'ait été le jour même il résulte d'un procès-verbal de constat établi par un huissier de justice, le 21 juillet 1981, à la requête de la société Casino, que l'enseigne "Cafétéria" existait déjà ce jour là, soit vingt jours avant ledit dépôt ; que selon la facture délivrée le 30 juin 1981 en exécution d'un devis du 5 juin à la firme gérée par le prévenu, cette enseigne aurait été apposée environ un mois avant ce constat ; Attendu que la même juridiction énonce ensuite "qu'en matière de contrefaçon de marque aucune action civile ou pénale en protection de droits ne pouvant être intentée avant que le dépôt de cette marque n'ait été rendu public, alors surtout qu'il n'est pas démontré que X... ait agi de mauvaise foi, avec la conscience de porter atteinte aux droits d'autrui, il convient de déclarer l'infraction insuffisamment caractérisée" ; Mais attendu qu'en se prononçant ainsi alors que, s'agissant d'un délit continu, les faits postérieurs au dépôt précité étaient punissables et que les juges auraient donc dû rechercher si l'apposition de la marque considérée s'était prolongée après la publication dudit dépôt, puis, dans l'affirmative, se prononcer, pour cette période, sur les agissements poursuivis, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; qu'en conséquence la cassation est encourue ; Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions civiles l'arrêt susvisé de la cour d'appel de MONTPELLIER en date du 7 juillet 1986,
Et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;