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14/06/1988 | FRANCE | N°87-84020

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 juin 1988, 87-84020


REJET et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Wilfrid,
- Y... Jean,
- Z... Hugues, partie civile en qualité de maire de la commune de Saint-Philippe,
contre un arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion en date du 25 juin 1987, qui a condamné X... à 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour ingérence de fonctionnaire, Y... à 12 mois d'emprisonnement avec sursis pour complicité du même délit, les a déclarés incapables à jamais d'exercer aucune fonction publique et a débouté la partie civile de sa demande en réparation.
LA COUR,


Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ; ...

REJET et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Wilfrid,
- Y... Jean,
- Z... Hugues, partie civile en qualité de maire de la commune de Saint-Philippe,
contre un arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion en date du 25 juin 1987, qui a condamné X... à 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour ingérence de fonctionnaire, Y... à 12 mois d'emprisonnement avec sursis pour complicité du même délit, les a déclarés incapables à jamais d'exercer aucune fonction publique et a débouté la partie civile de sa demande en réparation.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur les pourvois de X... et de Y... ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-3c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,459 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense et excès de pouvoir :
" en ce que la cour d'appel statuant sur les conclusions déposées par la défense au début de l'audience du 9 avril 1987 et tendant au renvoi de l'examen de la cause à une date ultérieure, a joint l'incident au fond et a déclaré lesdites conclusions irrecevables comme tardives ;
" aux motifs que ces conclusions ont été déposées par le conseil des prévenus après l'annonce faite par le président du rejet par la Cour de la demande de renvoi formulée oralement par le même avocat dès l'ouverture de l'audience ;
" alors que, d'une part, la Cour n'a aucunement justifié le caractère tardif de ces conclusions ; qu'il ne résulte en effet d'aucune des pièces de la procédure qu'à l'audience du 9 avril 1987, elle ait rendu un arrêt de rejet de la demande de renvoi présentée oralement par la défense et ce, après avoir donné la parole au ministère public ainsi qu'aux parties ou à leurs conseils ; qu'en l'absence d'un tel arrêt, la défense était recevable à déposer des conclusions écrites matérialisant l'existence d'un incident contentieux concernant l'opportunité d'un renvoi sur lequel la Cour devait dès lors nécessairement statuer après avoir donné la parole au ministère public et aux parties en cause ; que faute de ce faire, elle a nécessairement entaché sa décision d'une nullité certaine ;
" alors que, d'autre part, la Cour devait statuer immédiatement sur la demande de remise de cause dont elle était régulièrement saisie ; qu'elle se trouvait en effet dans l'un des cas prévus par l'article 459 du Code de procédure pénale, à savoir l'impossibilité absolue de poursuivre la procédure sans avoir préalablement réglé l'incident ; que dès lors, en joignant l'incident au fond, elle a violé l'article précité et de surcroît, par une telle décision impliquant un refus de statuer, gravement porté atteinte aux droits de la défense " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que les deux prévenus présents lors des débats devant la cour d'appel étaient assistés d'un conseil et que la demande de renvoi formulée oralement à l'ouverture de l'audience par celui-ci a été rejetée ; que c'est après ce rejet que les conclusions écrites, tendant à la même fin, et fondées sur l'absence d'un second défenseur ont été déposées et jointes au fond ; qu'ensuite d'autres conclusions invoquant diverses exceptions ont encore été déposées pour X... et Y... ; que ces derniers ont été entendus sur le fond et que leur avocat a plaidé ;
Attendu qu'en cet état l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ; qu'en effet une demande de remise de cause constitue un incident extrinsèque au fond du procès auquel il peut être répondu par la décision de refus dont il est fait mention dans l'arrêt ; que les dispositions de l'article 459 du Code de procédure pénale n'interdisent pas aux juges, lorsque des conclusions ont été déposées pour provoquer un incident contentieux, de le joindre au fond ; qu'ainsi c'est sans méconnaître ni les droits de la défense, ni aucun des textes visés au moyen, que la cour d'appel, qui avait souverainement apprécié l'opportunité de la remise de cause sollicitée, comme elle en avait le pouvoir, a décidé que les conclusions qui tendaient seulement à la faire revenir sur sa décision précédente étaient irrecevables ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 681 à 684 du Code de procédure pénale,174,593 et 595 du même Code, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a, d'une part, rejeté les conclusions de la défense soulevant la nullité de toute la procédure par application des règles d'ordre public édictées par les articles 681 à 684 du Code de procédure pénale et, d'autre part, a refusé d'annuler la procédure et de dire la prescription acquise ;
" aux motifs que les dispositions des articles 174, alinéa 2, et 595 du Code de procédure pénale mettent obstacle à la recevabilité de l'exception tendant à voir déclarer nulle la procédure antérieure à l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation qui a saisi la juridiction correctionnelle, et qu'à défaut d'avoir ordonné une telle annulation, elle ne peut qu'écarter l'exception de prescription ;
" alors que, d'une part, les dispositions des articles 679 à 688 du Code de procédure pénale sont d'ordre public et qu'il est du devoir aussi bien des juridictions d'instruction que des juridictions de jugement d'en faire d'office assurer le respect ; que l'inobservation de ces dispositions peut être constatée en tout état de cause et peut être présentée pour la première fois devant la Cour de Cassation ; qu'en conséquence, la cour d'appel, saisie de conclusions régulièrement déposées tendant à voir déclarer nulle, pour dépôt tardif par le procureur de la République, d'une requête aux fins de voir désigner la juridiction chargée de l'instruction de l'affaire, tant l'enquête préliminaire que le réquisitoire introductif se fondant sur cette enquête et par voie de conséquence toute la procédure subséquente, se devait de statuer sur l'existence de cette nullité sans pouvoir se retrancher derrière une prétendue irrecevabilité qui résulterait des articles 174 et 595 du Code de procédure pénale ; qu'en refusant de statuer et de constater le vice dont était affectée la procédure, la Cour a entaché sa décision d'une nullité certaine ;
" alors que, d'autre part, l'incompétence du procureur de la République et des officiers de police judiciaire qui ont agi sous son contrôle pour procéder pendant près d'un mois à des actes d'information à l'encontre de deux personnes protégées par l'article 681 du Code de procédure pénale, a existé dès que cette qualité est apparue dans le dossier, c'est-à-dire en l'espèce, dès le dépôt de la plainte qui est à l'origine des poursuites ; qu'il s'ensuit que l'ensemble de la procédure est entachée d'une nullité radicale, de même que la décision attaquée qui était tenue de faire assurer le respect des règles de compétence " ;
Sur le troisième moyen de cassation commun aux deux demandeurs, et pris de la violation des articles 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la Cour, saisie par voie de conclusions, d'exceptions visant la nullité résultant de l'inobservation de l'article 681 du Code de procédure pénale et invoquant la prescription de l'action publique, a joint purement et simplement l'incident au fond ;
" alors que, d'une première part, elle était tenue de statuer immédiatement par une décision distincte sur ces exceptions commandées par des dispositions qui touchent à l'ordre public ;
" alors que, de seconde part, elle devait nécessairement répondre aux conclusions de la défense demandant à ce qu'il soit statué par arrêt séparé sur la nullité et la prescription et que les débats au fond soient renvoyés à une date ultérieure ; que faute de ce faire, elle a privé sa décision d'existence légale " ;
Ces moyens étant réunis ;
Attendu que, par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 13 mars 1985, rendu en application de l'article 681 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Saint-Denis a été désignée pour informer sur les faits d'ingérence imputés aux prévenus, respectivement maire et adjoint au maire de la commune de Saint-Philippe ;
Que, par un arrêt de cette chambre d'accusation en date du 18 juin 1986, ceux-ci ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel ; qu'aucun pourvoi n'a été formé contre cette décision comme l'article 684 du Code de procédure pénale autorisait les prévenus à le faire ;
Attendu qu'en cet état les juges, qui ont fait l'exacte application de l'article 459 du Code de procédure pénale en joignant au fond l'exception de nullité de la procédure dont ils étaient saisis et qui n'avaient pas à s'expliquer sur le refus implicite de rendre une décision séparée, ont, à bon droit, fait application des dispositions des articles 174, alinéa 2, et 595 du Code de procédure pénale et déclaré irrecevables les exceptions de nullité de la procédure antérieure à l'arrêt de renvoi ;
Qu'en effet, aux termes de l'article 684 précité, cet arrêt couvre, s'il en existe, les vices de la procédure antérieure ;
D'où il suit que les moyens réunis ne sauraient être accueillis ;
Sur le quatrième moyen de cassation, propre à Y... et pris de la violation des articles 175,59 et 60 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean Y... coupable du délit de complicité d'ingérence ;
" au seul motif que s'il n'apparaît pas qu'il " ait eu à quelque moment que ce fût la surveillance ou l'administration de l'opération réalisée par la commune ", en revanche, " il a sciemment prêté son concours à X... dans la prise d'intérêt dans cette opération immobilière, en acceptant notamment de se porter acquéreur en ses lieu et place " ;
" alors que la complicité exige pour être punissable, l'existence chez son auteur d'une intention coupable qui consiste non pas dans la seule participation volontaire à l'acte de l'auteur principal, mais dans la conscience de s'associer à un acte délictueux ; qu'en l'espèce, l'unique fait retenu à l'encontre de Y... de se porter acquéreur d'un terrain aux lieu et place d'une personne prévenue ultérieurement du délit d'ingérence, ne saurait caractériser la complicité d'un tel délit, faute d'établir que par cette acquisition et au moment où elle a été effectuée, Y... savait qu'il agissait en vue d'un délit ; qu'au surplus, l'arrêt n'établit pas que Y... ait acheté le terrain aux lieu et place de X... " ;
Attendu que pour déclarer Y... coupable de complicité dans le délit d'ingérence par ailleurs retenu à l'égard de X..., maire de la commune de Saint-Philippe, la cour d'appel relève que ce dernier avait demandé au prévenu, son beau-frère et premier adjoint, de se substituer à lui pour acquérir une parcelle de terrain, détachée de la propriété dont la commune faisait par ailleurs l'acquisition, parce qu'il craignait " que cette opération ne fasse jaser ses administrés " s'il la réalisait lui-même ; que les juges énoncent ensuite que X... a sollicité un permis de construire sur la moitié de cette parcelle, avec une autorisation de bâtir accordée par Y..., lequel, en sa qualité de premier adjoint au maire, lui a délivré ce permis ; que, par une appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, la cour d'appel a déduit de ces constatations que Y... avait " sciemment prêté à X... son concours dans la prise d'intérêts dans cette opération immobilière en acceptant notamment de se porter acquéreur en ses lieu et place " ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont il ressort que c'est en connaissance de cause que Y... a apporté son assistance à X... pour commettre le délit d'ingérence, la cour d'appel a suffisamment caractérisé la complicité qu'elle retient à la charge du demandeur ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le pourvoi de la commune de Saint-Philippe ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 175 du Code pénal,2,3 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté Z... autorisé à agir pour le compte de la commune de Saint-Philippe de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'il n'est pas établi qu'en l'espèce la commune de Saint-Philippe ait éprouvé un préjudice résultant directement des infractions retenues à la charge des prévenus ;
" alors qu'en niant l'existence d'un préjudice subi par la commune lié directement au délit d'ingérence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles il résulte que du fait de l'intervention des prévenus la commune a été privée de la propriété d'une parcelle qu'elle devait acquérir et qui, payée 50 000 francs par X..., valait en réalité 440 000 francs et a violé les textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont les juges du fond sont régulièrement saisis par les parties ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que devant la cour d'appel la partie civile a, par conclusions régulières, repris celles déposées devant les premiers juges auxquelles ceux-ci avaient partiellement fait droit ; que la demanderesse exposait notamment que la commune avait entendu acquérir l'ensemble d'une propriété pour un prix fixé alors que la cession à Y... d'une parcelle détachée de celle-ci l'avait privée de ladite parcelle et lui avait causé un préjudice tant en raison de la diminution de la superficie du domaine acquis que de l'emplacement et de la valeur du terrain détaché ;
Attendu qu'en se bornant à énoncer, sans mieux s'en expliquer, " qu'il n'était pas établi qu'en l'espèce la commune de Saint-Philippe ait éprouvé un préjudice résultant directement des infractions retenues à la charge des prévenus ", l'arrêt attaqué a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
Que dès lors, la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
REJETTE les pourvois de X... et Y... ;
Mais sur le pourvoi de la commune de Saint-Philippe :
CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions civiles, l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion du 25 juin 1987,
Et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 87-84020
Date de la décision : 14/06/1988
Sens de l'arrêt : Rejet et cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

FONCTIONNAIRES


Références :

Code de procédure pénale 174 al. 2, 459, 595, 681, 684
Code de procédure pénale 459

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, 25 juin 1987


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 jui. 1988, pourvoi n°87-84020, Bull. crim. criminel 1988 N° 272 p 725
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1988 N° 272 p 725

Composition du Tribunal
Président : M Berthiau, conseiller doyen faisant fonction
Avocat général : M Lecocq
Rapporteur ?: M Zambeaux
Avocat(s) : la SCP Waquet et Farge, la SCP Guiguet, Bachellier et, Potier de la Varde

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1988:87.84020
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