LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quatorze mars mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SOUPPE, les observations de la société civile professionnelle Philippe et Claire WAQUET et Hélène FARGE, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ; Statuant sur les pourvois formés par :
1° / Y... Raymond,
2° / Z... Sylvie,
3° / X... Jean-Pierre,
contre un arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre B, en date du 15 mai 1986 qui les a condamnés :
- Y... Raymond à 3 ans d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende pour contrefaçon, falsification ou altération de documents administratifs, usage desdits documents, recel de vols et de documents administratifs contrefaits ;- Z... Sylvie à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende pour recel de vols et de documents administratifs contrefaits ;- X... Jean-Pierre à 30 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende pour recel de documents administratifs contrefaits ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu le mémoire produit commun aux trois demandeurs ; Sur le premier moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 203, 210, 382, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ; " en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception invoquée par les prévenus, tirée de l'indivisibilité entre les faits soumis à la Cour et les faits dont se trouve actuellement saisi le juge d'instruction de Valenciennes et les a condamnés des chefs de contrefaçon de documents administratifs et usage de documents falsifiés ;
" alors, d'une part, que la jonction des procédures étant obligatoire en cas d'indivisibilité et la juridiction qui est saisie de l'infraction la plus grave étant compétente pour connaître de l'infraction la moins grave, les juges correctionnels ne pouvaient légalement écarter l'exception présentée par les prévenus et tirée de ce que le magistrat instructeur de Valenciennes était saisi de faits de nature criminelle indivisibles avec ceux dont ils étaient eux-mêmes saisis-ainsi que cela ressortait de l'étroite imbrication des procédures et des faits poursuivis entre eux-qu'autant qu'ils confrontaient dans leur décision les faits qui leur étaient déférés à ceux qui étaient soumis au juge d'instruction ; que dès lors, en se bornant par un examen purement abstrait à affirmer l'absence d'indivisibilité des deux procédures et en se déterminant uniquement sur la nature correctionnelle des faits poursuivis devant eux telle que qualifiée par l'ordonnance de renvoi sans vérifier comme ils en avaient l'obligation si ces faits pouvaient ou non se comprendre sans l'existence des autres, l'arrêt attaqué ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision intervenue ; " alors, d'autre part, qu'il résulte tant des mentions de l'arrêt que de la procédure, que les prévenus avaient été interpellés sur commission rogatoire d'un juge d'instruction près la Cour de Sûreté de l'Etat, puis après dessaisissement de cette juridiction sur commission rogatoire de M. Bancal, juge d'instruction du tribunal de grande instance de Valenciennes et inculpés par ce magistrat non seulement de vols aggravés mais aussi de recel de malfaiteurs et d'association de malfaiteurs ; de sorte que dès lors en ne vérifiant pas si les faits poursuivis sous la qualification de contrefaçon, faux, usage, recel de documents administratifs ne constituaient pas l'un des faits matériels concrétisant précisément l'association de malfaiteurs en question, l'arrêt n'a pas justifié sa décision ; " alors enfin que l'arrêt ne pouvait rejeter l'exception d'indivisibilité sans répondre au chef péremptoire des conclusions des prévenus soutenant que Sylvie Z... était inculpée devant trois magistrats différents pour un même fait, la possession d'un local..., appartement où était entreposé le butin de faits qualifiés crimes par le procureur de la République de Valenciennes, circonstance ayant amené le tribunal de Paris dans sa décision définitive du 8 décembre 1983 à surseoir à statuer et qui démontre à l'évidence que l'existence des différentes procédures poursuivies à l'encontre des prévenus ne peuvent se comprendre sans l'existence des autres, ce qui caractérise l'indivisibilité " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il a confirmé sur ce point, que pour rejeter l'exception d'indivisibilité proposée, les juges du fond, après avoir exposé les circonstances de la cause, énoncent qu'aucun des faits dont les prévenus avaient à répondre devant les juridictions correctionnelles de Paris ne peut avoir de lien avec les actes criminels faisant l'objet des poursuites en cours à Valenciennes et que c'est par une extension manifestement abusive de la notion d'indivisibilité, fondée sur une simple pluralité de poursuites relatives à des faits de nature distincte et tous dissociables, que le sursis à statuer a été sollicité ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations dépourvues d'insuffisance et de contrariété, la cour d'appel a justifié sa décision ; Que dès lors le moyen qui invite la Cour de Cassation à réexaminer un problème de pur fait souverainement tranché par les juges du fond, au vu de débats contradictoires, ne saurait être accueilli ; Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 2-5° de la loi du 4 août 1981 portant amnistie, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a refusé aux prévenus le bénéfice de l'amnistie ; " aux motifs, d'une part, que les inculpés n'ont pu faire le lien entre les agissements de droit commun qui leur ont été reprochés et des incidents politiques survenus en France de leur fait et s'inscrivant dans le cadre d'une entreprise destinée à entraver l'exercice de l'autorité de l'Etat au sens de l'article 1-5° de la loi du 4 août 1981 qui ne saurait être interprété de façon extensive ; " au motif, d'autre part, que les délits reprochés aux inculpés ont été, pour partie au moins, commis postérieurement au 22 mai 1981 puisque l'interpellation des inculpés n'est intervenue qu'à partir du 10 juin 1981 et qu'ils ne peuvent de ce fait être couverts par la loi d'amnistie ; " alors, d'une part, que les lois d'amnistie doivent être appliquées dans leurs termes mêmes ; que l'article 2-5° de la loi du 4 août 1981 vise les infractions en relation avec toute entreprise tendant à entraver l'autorité de l'Etat et que dès lors le fait pour un groupe de personnes agissant de concert pour fournir, comme l'ont énoncé les juges du fond, des documents administratifs falsifiés, à des réfugiés politiques clandestins par souci d'entraide et de solidarité politique, entre incontestablement dans le champ d'application de ce texte ;
" alors, d'autre part, que l'arrêt a admis sans autre précision qu'une partie des faits poursuivis étaient couverts par la loi d'amnistie ; qu'en réalité l'interpellation, relevée par l'arrêt de MM. Y... et X... et de Melle Z... à partir du 10 juin 1981 et la découverte concomitante dans différents locaux prétendument fréquentés par eux, de documents falsifiés ou contrefaits ou d'objets recelés ne permettaient de faire échapper à la loi d'amnistie en application de l'article 2-5° de la loi du 4 août 1981 aucun des délits poursuivis ; qu'en effet l'arrêt n'a pas constaté que le délit de contrefaçon, délit instantané reproché à M. Y..., ait été perpétré postérieurement au 22 mai 1981 et que par ailleurs l'arrêt qui a omis de s'expliquer sur la date des infractions à l'origine des recels poursuivis mais qui a implicitement admis que cette date pouvait être antérieure au 22 mai 1981 n'a pas légalement justifié le rejet de l'exception tirée de l'amnistie invoquée par les prévenus " ; Attendu que pour rejeter les conclusions des prévenus qui réclamaient le bénéfice de l'amnistie de droit prévu par l'article 2 alinéa 5 de la loi du 4 août 1981, l'arrêt attaqué et le jugement, dont il a fait siens les motifs, énoncent qu'il ne résulte pas des débats que les faits poursuivis aient été commis en relation avec une entreprise tendant à entraver l'exercice de l'autorité de l'Etat ; qu'au surplus ces faits ont été pour partie commis postérieurement au 22 mai 1981 ; Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, a sans insuffisance ni contradiction, fait l'exacte application des articles 1 et 2 alinéa 5 de la loi d'amnistie du 4 août 1981 ; Que dès lors le moyen proposé ne peut qu'être écarté ; Sur le troisième moyen de cassation proposé en faveur de X... et pris de la violation de l'article 460 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X... coupable de recel ; " alors que X... a toujours nié avoir occupé l'appartement du... au cours du recelé et que l'arrêt qui a expressément constaté qu'à l'époque où ont été découverts les objets recelés, c'est Y... qui avait accès à l'appartement, ne pouvait sans insuffisance et sans contradiction déclarer le délit de recel établi à l'encontre de Jean-Pierre X... par la seule considération que celui-ci s'identifierait à un pseudo A... et sans constater à son encontre la connaissance qu'il avait de la présence d'objets d'origine délictueuse dans ce local " ;
Attendu que les motifs de l'arrêt attaqué et ceux du jugement qu'il confirme, permettent à la Cour de Cassation de s'assurer que, contrairement à ce qu'allègue le moyen, lequel se garde de reproduire les motifs des premiers juges, les juges du fond ont caractérisé sans insuffisance ni contradiction l'ensemble des éléments matériels et intentionnel du délit de recel de documents administratifs contrefaits, imputé à X... ; Que dès lors le moyen, qui manque par le fait sur lequel il entend se fonder, ne peut qu'être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE les pourvois