LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Monsieur Henri A..., demeurant à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 11 juin 1985 par la cour d'appel de Rouen (1ère et 2ème chambres civiles réunies), au profit :
1°/ de la société anonyme immobilière des 45, 47, ..., dont le siège est ... (8ème),
2°/ de Monsieur Louis B..., demeurant ... (8ème), pris en sa qualité de liquidateur de la société anonyme immobilière des 45, 47, ... (8ème),
3°/ de la société "COMPAGNIE DU CHEMIN DE FER DE BAYONNE", dont le siège social est à Biarritz (Pyrénées-atlantiques),
défendeurs à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; * - 2 - 1052
LA COUR, en l'audience publique du 10 novembre 1987, où étaient présents :
M. Baudoin, président, M. Nicot, rapporteur, MM. :
Perdriau, Defontaine, Dupré de Pomarède, Peyrat, Cordier, Louis C..., Sablayrolles, conseillers, MM. Z..., Le Dauphin, conseillers référendaires, M. Montanier, avocat général, Madame Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Nicot, les observations de Me Choucroy, avocat de M. A..., de la SCP Lesourd et Baudin, avocat de la société anonyme immobilière des 45, ..., les conclusions de M. Montanier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Donne défaut contre M. Louis B... et contre la société "Compagnie du Chemin de fer de Bayonne" ;
Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Rennes, 11 juin 1985), rendu sur renvoi après cassation, M. Y..., alors qu'il était président de la société anonyme "Société Immobilière des 45, 47, ..." (la société immobilière), mais agissant à titre personnel, a conclu avec M. A..., par deux actes sous seing privé non enregistrés, des contrats par lesquels il empruntait deux sommes à celui-ci et déclarait lui donner en gage les actions nominatives qu'il possédait et qui correspondaient au droit d'attribution dans l'immeuble propriété de la société immobilière ; qu'il était précisé, dans les actes, qu'il était procédé sur les registres de la société à un transfert des actions et que M. A... a produit aux débats un "certificat nominatif portant un numéro surchargé, signé de M. Y... et, semble-t-il, par un représentant de la compagnie du chemin de fer de Bayonne, administrateur de la société immobilière" ; qu'ensuite, M. Y... a obtenu du Conseil d'administration qu'il présidait, son retrait de la société immobilière et l'attribution en pleine propriété de l'appartement correspondant aux actions dont il était titulaire ; qu'ultérieurement et malgré cette attribution, M. Y... a signé une convention avec M. A... contenant promesse de vendre à celui-ci les actions données en gage, mais qu'à la même date, M. A..., par une contre-lettre a déclaré renoncer à cette vente ; qu'ensuite encore, M. Y... a obtenu d'autres prêts de divers prêteurs en leur consentant une hypothèque de premier rang sur l'appartement et a vendu la nue-propriété de celui-ci ; que ses agissements ont été révélés lorsque M. A... a voulu faire vendre les actions ; qu'il a alors assigné M. Y..., qui est depuis lors décédé, en état de liquidation des biens, ainsi que les autres personnes physiques et morales défenderesses au pourvoi, en responsabilité ; qu'un premier arrêt de cour d'appel, qui avait condamné la société immobilière et les administrateurs à paiement envers M. A..., a été cassé ; que la cour de renvoi a soulevé d'office la qualification du gage sur laquelle les parties se sont expliquées contradictoirement ; Sur l'irrecevabilité opposée par la défense :
Attendu qu'il est soutenu que le moyen serait irrecevable en sa première branche comme proposé pour la première fois devant la Cour de Cassation ; Mais attendu que le moyen, qui fait valoir que les exigences de l'article 2074 du Code civil concernant les conditions auxquelles a lieu le privilège du créancier gagiste à l'égard des tiers ne sont pas applicables au gage de titres nominatifs, n'implique l'appréciation d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond ; qu'ainsi le moyen est de pur droit ; que la fin de non recevoir doit donc être écartée ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que M. A... reproche à la cour d'appel d'avoir déclaré inopposable à la société immobilière le gage constitué par l'inscription sur les registres des transferts de la mise en gage de titres nominatifs, et d'avoir refusé de mettre en oeuvre la responsabilité de la société et de ses administrateurs, à la suite du transfert par le débiteur de ses actions en méconnaissance des droits du créancier gagiste, alors que, selon le pourvoi, l'exigence de l'article 2074 du Code civil, portant sur la rédaction d'un écrit authentique ou privé, ayant date certaine, répond à la seule nécessité d'empêcher la fraude consistant à modifier la date de la constitution du gage ; qu'en matière de nantissement de titres nominatifs cette exigence se trouve satisfaite par l'inscription sur les registres de la société, dont la vocation est à la fois d'assurer l'opposabilité aux tiers et de conférer date certaine au gage ; qu'en pareille matière l'inscription sur le registre des transferts réalise, à elle seule, la double condition des articles 2074 et 2075 du Code civil ; d'où il suit qu'en exigeant que le créancier gagiste des titres nominatifs procède à l'enregistrement de l'acte, la cour d'appel a méconnu l'article 91, alinéa 3 du Code de commerce, ainsi que les articles 1er et 10 du décret du 7 décembre 1955 ; Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que le privilège du créancier gagiste en matière civile n'a lieu à l'égard des tiers qu'autant qu'il y a d'une part un acte authentique ou un acte sous-seing privé dûment enregistré et d'autre part, mise en possession du créancier, celle-ci s'opérant, en ce qui concerne des titres nominatifs, par le transfert sur les registres de la société et que la réalisation de cette seconde condition n'a pas pour effet de dispenser de l'exigence de la première ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, loin de méconnaître les textes visés au pourvoi, en a fait une juste application ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu que M. A... reproche en outre à la cour d'appel d'avoir rejeté ses demandes alors que, selon le pourvoi, d'une part, et en tout état de cause, un acte sous seing privé qui n'a pas acquis date certaine est opposable aux tiers qui en ont eu effectivement connaissance ; que la société immobilière pleinement informée de la constitution du gage sur ses registres, ne saurait se prévaloir de l'absence de date certaine de cette opération qu'elle a elle-même constatée ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 2074 du Code civil, et alors que, d'autre part, le tiers complice de la violation d'une obligation contractuelle engage sa responsabilité sur le plan délictuel ; que, par suite, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 1382 du Code civil, exonérer de toute responsabilité la société immobilière et ses administrateurs qui, bien qu'informés de la constitution du gage par la formalité de l'inscription du transfert, n'en ont pas moins passé outre et permis au débiteur, au mépris des droits du créancier gagiste, d'avoir la libre disposition des titres nominatifs, ce qui a permis à celui-ci de se retirer de la société et de vendre librement l'immeuble auquel ces titres donnaient droit ; Mais attendu que, contrairement à ce qu'affirme le pourvoi, il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt attaqué, qui a seulement constaté, d'une part, que l'acte sous seing privé non enregistré, signé par M. Y... et M. A... précisait qu'il était procédé sur les registres de la société à un transfert des actions et, d'autre part, que M. A... a produit aux débats un "certificat nominatif portant un numéro 183 surchargé daté du 29 novembre 1973, signé de M. Y... et semble-t-il par M. X..., représentant la compagnie des chemins de fer de Bayonne, administrateur de la société immobilière", que cette société, ainsi que ses administrateurs, ont eu effectivement connaissance de la constitution du gage ; d'où il suit que le moyen, en ses deuxième et troisième branches, manque en fait ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi