REJET ET CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Christiane épouse Y..., prévenue,
- Z... Paulette épouse A...,
- B... Gisèle épouse C...,
parties civiles,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Chambéry, Chambre correctionnelle, en date du 19 septembre 1985, qui a condamné X... Christiane épouse Y..., du chef d'exploitation irrégulière d'une officine de pharmacie, à la fermeture définitive de l'établissement ainsi qu'à des réparations civiles, et a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Z... Paulette épouse A... et de B... Gisèle épouse C...
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le pourvoi de Christiane X... épouse Y... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;
Sur les pourvois de Paulette Z... épouse A... et de Gisèle B... épouse C... ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation commun aux deux demanderesses et pris de la violation des articles 2, 3 et 10 du Code de procédure pénale, L. 570, L. 518 et L. 519 du Code de la santé publique, 459, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Mme C... et Mme A... qui demandaient respectivement 150 000 francs et 50 000 francs à titre de dommages-intérêts à raison des faits reprochés à Mme Y... du chef d'exploitation illicite d'une officine de pharmacie ;
" aux motifs que " le monopole des pharmaciens a été institué dans le seul but de sauvegarder la santé publique ; que la réglementation concernant les pharmacies a été établie dans l'intérêt général et non en vue de la protection particulière de chaque pharmacien, qui, propriétaire d'une officine, reste soumis à la libre concurrence commerciale ; que si les agissements de la prévenue ont pu causer un préjudice à B... Gisèle épouse C... et Z... Paulette épouse A..., il ne peut s'agir que d'un préjudice indirect qui ne découle pas directement de l'infraction ; qu'il s'ensuit que leur action civile n'est pas recevable aux termes des dispositions de l'article 2 du Code de procédure pénale et que le jugement déféré doit être infirmé de ce chef " (arrêt p. 5) ;
" alors, d'une part, que, s'il est vrai que les dispositions de l'article L. 570 du Code de la santé publique ont été édictées en vue de l'intérêt public s'attachant au domaine de la santé, elles n'en tendent pas moins également à la protection des pharmaciens auxquels la méconnaissance des prescriptions légales est de nature à causer un préjudice direct et personnel ; qu'il en va ainsi spécialement des pharmaciens installés dans la proximité immédiate de l'officine illégalement exploitée et qui subissent ainsi un effondrement de leur chiffre d'affaires résultant d'une concurrence illicite compte tenu de leur monopole légal et de leur emplacement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour a violé les articles L. 570 du Code de la santé publique et 2 du Code de procédure pénale ;
" alors, d'autre part, que la Cour ne pouvait faire droit à l'exception d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevée pour la première fois en cause d'appel par la personne prévenue " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que si la transgression des dispositions des articles L. 568 et suivants du Code de la santé publique relatifs aux officines de pharmacie porte atteinte à l'intérêt général, elle peut aussi causer à des particuliers un préjudice direct et personnel de nature à servir de base à une action civile devant la juridiction répressive ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que dans une poursuite intentée contre Christiane Y... du chef d'exploitation irrégulière d'une officine de pharmacie, Gisèle C... et Paulette A..., pharmaciennes dans la même localité, se sont constituées parties civiles et ont réclamé des dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial qu'elles avaient subi du fait de cette infraction ;
Attendu qu'après avoir retenu la culpabilité de la prévenue, la juridiction du second degré, infirmant la décision des premiers juges, a déclaré irrecevables lesdites constitutions de partie civile ;
Qu'à l'appui de leur décision, les juges d'appel énoncent " que le monopole des pharmacies a été institué dans le seul but de sauvegarder la santé publique ; que la réglementation concernant les pharmacies a été établie dans l'intérêt général et non en vue de la protection particulière de chaque pharmacien qui, propriétaire d'une officine, reste soumis à la libre concurrence commerciale " ; qu'ils en concluent " que si les agissements de la prévenue ont pu causer un préjudice à la dame C... et à la dame A..., il ne peut s'agir que d'un préjudice indirect " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
REJETTE le pourvoi de X... Christiane épouse Y... ;
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Chambéry, en date du 19 septembre 1985, en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Paulette Z... épouse A... et de Gisèle B... épouse C..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Grenoble.