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22/04/1986 | FRANCE | N°84-95759

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 avril 1986, 84-95759


CASSATION sur le pourvoi de :
- X... Décé,
- Y... Bougoury épouse X...,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 novembre 1984, qui, dans une procédure suivie contre eux du chef d'omission de porter secours à personne en péril, s'est déclarée incompétente ;
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'homme, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale,
" en ce que la décision attaquée a re

fusé de statuer sur la recevabilité de la constitution des parties civiles, avant de ...

CASSATION sur le pourvoi de :
- X... Décé,
- Y... Bougoury épouse X...,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 novembre 1984, qui, dans une procédure suivie contre eux du chef d'omission de porter secours à personne en péril, s'est déclarée incompétente ;
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'homme, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale,
" en ce que la décision attaquée a refusé de statuer sur la recevabilité de la constitution des parties civiles, avant de statuer sur sa compétence,
" aux motifs que la juridiction répressive a le pouvoir et le devoir d'examiner, même d'office et en premier lieu, la question d'ordre public que constitue sa compétence ; qu'en l'espèce, le tribunal n'avait pas, et aujourd'hui la Cour n'a donc pas, contrairement aux conclusions des prévenus, à rechercher si les trois parties civiles qui avaient soulevé l'incompétence du tribunal, étaient ou non recevables en leur constitution puis en leur exception d'incompétence ; que, dès lors, le tribunal n'a pas, de ce chef, porté atteinte aux droits de la défense ;
" alors que toute personne a droit à ce que sa cause soit équitablement entendue ; que le fait d'entendre en leurs plaidoiries, que ce soit sur une exception de compétence ou sur le fond, des personnes qui se sont constituées partie civile, avant de statuer sur la recevabilité de leur constitution, lorsque celle-ci est contestée, aboutit à infliger au prévenu un traitement inéquitable, et conduit du reste à une violation des droits de la défense dans la mesure où l'audition des parties civiles est susceptible d'avoir une influence sur la décision du juge, même si le juge a le pouvoir de soulever d'office les moyens proposés par les parties civiles ; "
Attendu, d'une part, qu'à bon droit les juges d'appel, dès lors qu'ils constataient l'incompétence de la juridiction correctionnelle, n'ont pas prononcé sur l'exception d'irrecevabilité des constitutions de partie civile qui leur était soumise par les prévenus ; que leur incompétence, en effet, excluait qu'ils eussent à apprécier la régularité desdites constitutions ;
Attendu, d'autre part, qu'en procédant à l'audition des parties civiles et de leur conseil, bien que la recevabilité des constitutions de partie civile fût contestée, la Cour d'appel, devant qui les prévenus et leur propre conseil ont eu la parole les derniers, n'a en rien méconnu les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 388, 485 et 593 du Code de procédure pénale, violation des articles 5 § 2, 6 § 3a de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense,
" en ce que la décision attaquée a confirmé la décision des premiers juges constatant que les faits qui leur étaient déférés sous la qualification de non-assistance à personne en danger sont de nature à entraîner une peine criminelle, et se déclarant incompétents ;
" aux motifs qu'en l'espèce, à la suite d'un réquisitoire introductif délivré contre X...et X du chef de non-assistance à personne en danger et d'homicide involontaire, de l'inculpation des époux X... du chef du premier des délits précités, d'un réquisitoire supplétif demandant la requalification d'homicide involontaire en crime de coups ou violences volontaires sur mineure de quinze ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et enfin d'un réquisitoire définitif retenant dans ses motifs à la charge des époux X... à la fois l'excision de l'enfant et la non-assistance à personne en danger, une ordonnance de règlement est intervenue qui, d'une part, a dit n'y avoir lieu de suivre en l'état contre quiconque du chef de coups ou violences volontaires sur mineure de quinze ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner et, d'autre part, a renvoyé X... Décé et X... Bougoury devant le tribunal correctionnel du chef de délit de non-assistance à personne en danger ; que cette ordonnance adoptait purement et simplement les motifs de fait retenus par le réquisitoire définitif, lequel visait expressément l'ensemble des faits reprochés aux deux prévenus, savoir à la fois les violences volontaires et mutilantes sur mineure de quinze ans ayant entraîné la mort sans que l'auteur ait eu l'intention de la donner, et la non-assistance à personne en danger ; qu'une telle décision, intervenue dans ces conditions, et même non frappée d'appel, n'interdit pas à la Cour d'examiner à son tour la qualification légale des faits et sa compétence, et que ces faits, à les supposer établis, consisteraient en ceci que les époux X... ont demandé à une femme non identifiée l'excision du clitoris de leur petite fille Bobo, alors âgée de deux mois et 25 jours, et ils ont aidé l'exciseuse à pratiquer l'opération, qui a consisté en une excision complète à la suite de laquelle l'enfant devait, aux termes d'une expertise médicale, décéder d'une hémorragie externe ; qu'à les supposer établis, de tels faits sont, par leur matérialité et par l'intention coupable, de nature à entraîner la peine criminelle prévue par l'article 312 alinéas 1er et 3 et alinéa 2-2° nouveau du Code pénal ;
" alors que les juridictions répressives ne peuvent statuer, que ce soit au fond ou pour la détermination de leur compétence, que sur les faits dont ils sont saisis ; qu'en l'espèce actuelle, les demandeurs n'avaient été renvoyés devant le tribunal correctionnel que sous l'inculpation de non-assistance à personne en danger ; que le juge d'instruction n'avait donc retenu parmi les faits énoncés par le réquisitoire définitif et, du reste, conformément aux conclusions dudit réquisitoire, que le fait, pour les parents de la jeune Bobo X..., d'avoir continué à vaquer à leurs occupations, la mère à son foyer, le père sur les lieux de son travail, se bornant à suivre l'évolution de l'état de santé de l'excisée, qui souffrait d'une hémorragie ayant entraîné au fil des heures un état d'anémie prononcée avec perte d'appétit, et finalement la mort, sans pour autant faire appel avant l'issue fatale à un médecin ou à un service hospitalier, à l'exclusion de tout autre fait ; qu'il avait, au contraire, dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ; qu'en se déclarant incompétents par le motif que le fait pour les parents d'avoir eu recours à une exciseuse, et de l'avoir aidée à pratiquer l'opération dont l'enfant est décédée, constituerait le crime prévu par l'article 312 alinéa 1er 3° et alinéa 2-2° nouveau du Code pénal, les juges du fond se sont prononcés sur la qualification de faits dont ils n'étaient pas saisis ; "
Vu lesdits articles, ensemble l'article 512 du Code de procédure pénale ;
Attendu que s'il appartient aux juridictions correctionnelles de modifier la qualification des faits et de substituer une qualification nouvelle à celle sous laquelle ils leur étaient déférés, puis de se déclarer incompétentes si cette dernière apparaît criminelle, c'est à la condition qu'il ne soit rien changé ni ajouté aux faits de la prévention et que ceux-ci restent tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Bobo X..., enfant d'environ quatre mois, étant décédée des suites d'une excision du clitoris, ses parents Décé X... et Bougoury Y... ont été inculpés d'omission de porter secours à personne en péril et, par ordonnance en date du 28 septembre 1983, renvoyés sous cette prévention devant le tribunal correctionnel ; que, par la même ordonnance, le juge d'instruction, sans avoir procédé à aucune autre inculpation, disait n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de coups et blessures volontaires sur mineure de 15 ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;
Attendu que, pour dire incompétente la juridiction correctionnelle, la Cour d'appel relève que selon les termes du réquisitoire définitif, dont les motifs ont été expressément adoptés par l'ordonnance de renvoi, Décé X... et Bougoury Y... ont eux-mêmes décidé de faire procéder à l'excision qui a mis en péril la vie de leur enfant ; qu'à cette fin, ils ont fait appel à une femme qui n'a pas été identifiée et que, pour que celle-ci pût procéder à l'ablation du clitoris de Bobo X..., ils immobilisaient la victime pendant que la mutilation était opérée ; que la plaie ainsi faite ne s'étant pas refermée, l'enfant est morte exsangue le lendemain ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les faits pouvant constituer le crime de coups et blessures volontaires sur mineure de 15 ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner, dont les prévenus n'avaient pas été inculpés, avaient été exclus de la poursuite par l'ordonnance de non-lieu, conforme aux réquisitions du Ministère public, et alors que ce crime est distinct en ses éléments constitutifs du délit prévu par l'article 63 alinéa 2 du Code pénal, seul retenu par la prévention, les juges du fond ont ajouté aux faits de la poursuite et ainsi excédé leur pouvoir ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 6 novembre 1984 et, pour qu'il soit statué à nouveau, conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Amiens.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 84-95759
Date de la décision : 22/04/1986
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Disqualification - Pouvoirs du juge.

1° et 2° S'il appartient aux juridictions correctionnelles de modifier la qualification des faits et de substituer une qualification nouvelle à celle sous laquelle ils leurs étaient déférés, puis de se déclarer incompétentes si cette dernière leur apparaît criminelle, c'est à la condition qu'il ne soit rien changé ni ajouté aux faits de la prévention et que ceux-ci restent tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine (1). En conséquence, les juges saisis de la seule prévention d'omission de porter secours à personne en péril ne sauraient, sans ajouter aux faits de la poursuite, se déclarer incompétents au motif que serait constitué à l'égard des prévenus le crime de coups et blessures volontaires sur mineure de quinze ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner (2).

2° OMISSION DE PORTER SECOURS - Eléments constitutifs - Coups et blessures volontaires sur mineure de quinze ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner - Distinction.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 1984-11-06 1984

(1) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1964-05-06, bulletin criminel 1964 N° 153 p. 341 (Cassation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1968-03-05, bulletin criminel 1968 N° 75 p. 177 (Cassation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1985-02-21, bulletin criminel 1985 N° 84 p. 221 (Rejet). Cour de Cassation, chambres réunies, 1869-04-22, bulletin criminel 1869 N° 91 p. 147 (Annulation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1953-10-07, bulletin criminel 1953 N° 264 p. 459 (Cassation). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1971-03-30, bulletin criminel 1971 N° 113 p. 289 (Rejet). (2) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre criminelle, 1954-01-21, bulletin criminel 1954 N° 25 p. 45 (Rejet). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1954-11-04, bulletin criminel 1954 N° 316 p. 546 (Rejet). Cour de Cassation, chambre criminelle, 1980-06-24, bulletin criminel 1980 N° 202 p. 527 (Rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 avr. 1986, pourvoi n°84-95759, Bull. crim. criminel 1986 N° 136 p. 346
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1986 N° 136 p. 346

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Berthiau, Conseiller le plus ancien faisant fonctions.
Avocat général : Avocat général : M. Rabut
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Zambeaux -
Avocat(s) : Avocats : M. Ryziger et la Société civile professionnelle Lesourd et Baudin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1986:84.95759
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